Ramon Pipin : « chants électriques », branchés sur secteur éclectique !

Ramon Pipin : « chants électriques », branchés sur secteur éclectique !

Il y a longtemps un belge chantait « Noir c’est noir il n’y a plus d’espoir ». A bien des égards ça pourrait correspondre à l’état d’esprit de ce nouvel opus de Ramon. Mais ne vous fiez pas aux apparences. Plus rock l’humour, tu meures ! Chiadées ses 13 chansons rassemblent à la fois le style déconnade, fantaisie, nostalgie et réalités sociales. Entouré par des musicos pas manchots et des voix féminines pas grises mines, une perle rare au sein de la médiocrité hexagonale et triviale que nous ratiocine nos radios commerciales. « Chants électriques » toujours aussi éclectiques à cracher à la chique du décervelage ambiant nous remue les tripes au vin blanc. Merci encore une fois Ramon, tu dépotes et comme le bon vin tu bonifies de la sorte.

Comme chaque année, Ramon Pipin nous propose un ou des albums, un ou des concerts et autres réjouissances à ne surtout pas bouder notre plaisir !
Après le coffret du « Best œuf », avec plus de 100 titres, petit chef d’œuvre de la revisitation sans coquilles, allez les loups ya, de son parcours atypique et ses cachoteries de fond de tiroir, dont je n’avais pas eu la primeur de chroniquer, faute de trop à dire. Un roman n’aurait pas été suffisant ! (Feignarde me taxe le Bartos avec raison). Mais bon…. Je vais tenter de rattraper le coup.

Je bats ma coulpe sous les tentacules de Jojo le poulpe. Fin 2024, c’est la parution de treize nouvelles chansons inédites, soit le septième album solo après plus de cinquante printemps à tirer sur le manche de sa gratte, en ziziques. Au titre évocateur et sans peur « « Chansons électriques ». Ca déménage et ça nous astique la chique. A croire que Ramon, la belle personne a de beaux restes à nous proposer à partager.
https://www.ramonpipin.fr/music-clips/les-disques/les-disques/34/

Autre manquement grave de ma part, encore en décembre 2024, Ramon le célèbre casanier parigot était sorti de sa tanière pour atterrir en Gironde. Par chez moi et subjuguer ses notes, en compagnie de ses musicos sur scène, tout, en haut du Rocher de Palmer, la meilleure salle de concert de tout Bordeaux. A croire que le monde qui tourne est tout petit, puisqu’il a croisé et retrouvé à cette occasion unique, Guy Khalifa, disparu de sa vision depuis trois décennies et chanteur d’Odeurs de « Youpi la France » qui devrait devenir l’hymne national, mais aussi « La viande de porc » l’hymne de tous les bouchers.
Pas bravache, j’ai pas dit : mort aux vaches, même si je le pense. En Père Noël qui a fait ses classes à l’école buissonnière, il a déposé dans mes petits souliers vernis son album branché sur le secteur. Vous aurez compris qu’il m’aura fallu pas moins d’un mois entre deux bananes au rhum pour le digérer tout cru et vous refourguer mes impressions nettes de coffrage et j’espère pas trop sages.

Qui dit album, dit aussi pour Ramon un livret fourni d’images et de textes, à la fois de ses chansons et ses propres impressions. En effet, chez Ramon, et c’est encore sa marque de fabrique, ses chansons s’écoutent et se lisent. Et comme il n’est pas bégueule textuel, il s’amuse avec les mots, joue des sonorité et des sens. Il va chercher Jarry et Queneau dans leurs retranchements et lieux-dits. Et ça franchement c’est unique, j’accroche et je lui décoche un clin d’œil fraternel et mes remerciements en pagaille. Surtout, si on ose encore tourner le bouton des radios, on est marron ! La paille dans l’esgourde nous remonte des rots sordides et solides, à entonner en chœur ce tube pas trop creux :
« J’ai le mauvais gout dans la bouche..
L’odeur, le fruit de mes entrailles
De mon gosier sortent des mouches
Sitôt que je m’éveille et baille
 »
(« J’ai le mauvais gout dans la bouche » de Vauvillé / Pipin, in Ramon Pipin’s Odeurs)

Tout fout le camp et pas seulement du gésier. Le service public est à la ramasse avec la première radio de l’hexagone, L’Inter aphone qui glose les chanteuses et chanteurs peu jouasses. Trop occupé.e.s à se tourner le nombril dans le sens de la bile en racoles des auditrices et auditeurs, traités comme des demeurés décérébrés. De Juliette Armanet, en passant par Zaho de Sagazan et la boucle est bouclée. Avec son bateleur publicitaire, je pense en particulier à un transfuge de France culte, en la personne de Laurent Goumarre qui porte bien son blase en sautoir et nous le recrache au micro presque chaque soir. Je cite sa litanie et avanie : « Le rendez-vous de toute la scène française et plus si affinités. Une heure pour faire le tour de l’actualité musicale en live… et plus encore ». Non mais sans dec ! C’est dit ! Pas étonnant que Ramon par sa faconde ne trouve pas sa place sur ses ondes immondes.
« Ils n’aiment pas la musique / ils n’y comprennent rien / tout ce qu’ils aiment bien / c’est ce qu’ils reconnaissent / alors ils se partagent / les poires et les fromages /et ça fait bien vingt ans /que c’est eux qu’on entend / Bouvard et Pécuchet /Tartuffe et compagnie
La musique c’est tellement beau / ça vibre / ça te déchire les fibres / ça te fait sentir libre / c’est comme être amoureux / ça t’emplit, ça t’enivre / mais ça s’apprend aussi / comme l’amour ou la vie / Si, depuis qu’on est môme /on n’entend que de la soupe / on ne voit que de la merde / on devient vite des cons / abrutis de rengaines
 ».
(« La télé libre » de Nino Ferrer)

En revanche, mon petit doigt m’a dit que la plus rebelle des radios qui n’usurpe pas son nom depuis la naissance des radios libres, l’a invité à discuter de façon totalement libre. Tout n’est pas perdu pour tout le monde, encore heureux, pardi. Puisque selon lui, comme vous allez voir et entendre. Il aborde des thèmes pas vraiment consensuels, ni encore moins commerciaux. « J’y aborde des thèmes tels l’obsolescence cellulaire programmée, les amours impossibles pour incompatibilité sociale et politique, la liberté de penser et de dire aujourd’hui menacée, la beauté des corps vingtenaires, les armes chimiques vicieuses du FSB, la misère des comédies françaises etc. Bizarrement, ces sujets restent pour la plupart ignorés par la chanson française actuelle, auto-centrée et ombilicale, celle qui se déverse en un flot intarissable, envahissant et inutile. Cette « musique d’ameublement » conceptualisée par Erik Satie  ».

D’autant que cet artiste à tous les sens du terme nous enterra tous, puisqu’il est increvable et indécrottable à nous tirer la chasse. Il est monté sur ressort et même quand le sort le touche dans ses tripes et que la camarde s’acharne sur lui, avec la disparition de sa belle Clarabelle, il reste debout malgré et contre tout, toujours égal à lui-même. Chapeau l’artiste, comme si cet album retour aux sources de son rock iconoclaste l’avait galvanisé à rester vaillant pour vaincre son chagrin.

Même si sur scène et sur la couverture de cet album, il se présente en viande grillée arrimée à sa chaise, qui aurait fait péter les plombs de son compteur électrique. Il ne prend jamais au sérieux ou quoi ?

Fine oreille, à l’écoute, on perçoit ses quelques accents de mélancolie bien naturelle. Mais dans l’ensemble c’est plutôt rock inoxydable, style métal moumoute et stout assez décès, quatuor gratouilleux à cordes son Impétigo compulsif, électro pop léché, sur fond de Télecaster havre chair et j’en passe…

Où j’en étais ? Mais oui c’est bien sûr, le fameux album !
Si vous n’êtes pas réveillés de la dernière pluie et que vos esgourdes jouent des claquettes, dixit la tempète qui s’abat sur moi en ce moment où j’écris ces lignes et en clin d’œil en passant à Claude Nougaro. Alors débutez l’écoute attentive et rythmique avec «  Daisy Belle » et admirez le fabuleux jeu de mot dont Ramon raffole à l’esbrouffe, à s’en taguer la touffe. Je vous livre le clip réalisé par Jerôme Lefdup.

Au cas, depuis le temps, vous n’auriez pas encore compris, Ramon le crie, le chante depuis si longtemps « Je joue de la guitare ». Je préfère lui laisser la parole pour ne pas dénaturer le sujet. « Lorsque j’ai trouvé ce riff bien stonien en batifolant sur ma Telecaster (alors que je compose majoritairement au clavier), je me suis dit que ça pourrait être efficace d’en faire quelque chose et j’ai imaginé ce piètre guitariste qui s’évertue à jouer pour oublier les news et son quotidien glauque de chauffeur de bus. (…) Ce titre a été enregistré en live avec Adrien Périer à la basse, Félix Bourgeois à la batterie et Michaël Ohayon et Brice Delage aux guitares. Ah et c’est moi qui joue les lamentables solos. Je suis un des rares à jouer mal bien  ».
Circulez, y’a rien à voir en comparaison « The man from Utopia » de Franck Zappa où le héros, pochette de Gaetano Leberatore, sur scène chasse les mouches et brise le manche de sa guitare d’une main rageuse à trop s’y accrocher. Je referme la parenthèse.

Retour vers le passé simple et décomposé, quand le narrateur chanteur de la chanson «  Dans le tiroir du bas  » fouille dans son passé un amour impossible à la lueur des lampions d’un Berlin emmuré et abonné à la lutte des classes d’une Arlette Lécuyère déphasée. On revient toujours à la notion d’électricité, sauf que cette fois, rien qu’un piano et des instruments à vent, c’est grandiose d’un contraste saisissant avec la plupart des autres chansons. En plus quelques paroles à haute voix de Ramon nous ramènent chez Truffaut. Pas le marchand de verdure, bandes de nazes, mais le réalisateur qui est mort à 52 ans d’une tumeur qui lui a rongé le cerveau.
Chapeau à Cyril Barbessol pour son toucher des notes en noir et blanc, Bertrand Auger à la clarinette et l’impeccable quatuor à cordes Impétigo que j’adore par-dessus tout.

Avec « La peur », on ne lâche pas en de si bonnes mains le langage du cinoche, où les images se liquéfieraient dans le corps des notes. Bien d’accord avec toi, Ramon, quand tu déclares : «  Avec des trémolos de cordes, un theremine, des chœurs féminins fantomatiques, on est dans un langage musical plus cinématographique où je recherche avant tout une ambiance ». Quel boulot encore, j’ai du ouvrir le dico pour chercher ce qu’est un theremine ! C’est un des plus anciens instruments de musique électronique inventé (comme par hasard, c’est moi qui rajoute) par un russe en 1920.
Ramon décline la peur au pluriel, sentiment très actuel dont se jouent les tenants de l’ordre fort. Ramon toujours bien réel et c’est pas fini !

Ramon a de la suite dans les idées pour cet album. «  Ce que je pense  » selon lui nous importe et nous transporte dans le concept de la libre expression, la libre pensée remisée en question. Sous la forme d’une fable sautillante, avec l’accent coluchien, c’est l’histoire d’un mec qui ne sait pas organiser sa pensée, l’exprimer clairement et de façon audible. J’y vois un exemple criant des gueulantes sans fond ni arguments qui déferlent sur les réseaux sociaux, aux mains à présent de milliardaires à la haine farouche envers leur prochain et roulant en bagnoles électriques pour Trump. Celui qui s’essaie de penser représente le portrait tout craché de celui qui est très content, puisque dans les deux cas, ils se retrouvent enfermés entre quatre murs. En réponse et pour clore le débat sans appel :
« Ce que tu penses / En l’occurrence / Tu peux te la mettre où je pense / Ce que tu penses / On s’en balance / Tu peux te la mettre où je pense  ».

Et l’amour dans tout ça ? !!! « L’anamour », c’est pas vraiment du Serge Gainsbourg. Ramon en cherchant perpétuel du son qui toucherait à la perfection nous distille le calendrier d’un amour désuni et invariable de telle sorte quand arrive la fin de l’année : « Pour décembre je suis embêté /Car aucune rime je n’ai trouvée  ».

«  Au suivant » fredonnait Brel à ne pas confondre avec Cabrel, le chanteur cow-boy du Sud. A présent, face à face avec le divertissement favori des français : «  Les comédies pas drôles ». Sur un petit air entrainant qui n’en a pas l’air et une rythmique à la guitare. On savait que Ramon était un fan des séries des années 70 qui se déroulaient à tombeau ouvert. Comme « L’homme de Picardie » toujours pressé à vrombir des moteurs dans sa péniche et élever sa fille dans son sillage.
Autre contexte et autre âge : «  Et lorsque Christian Clavier / Campe des rupins offusqués / Que par souci de diversité / On puise dans les communautés et les LGTB / Où la lumière est à chier  ».
Après cette chanson, petit exercice de style, citez au moins trois comédies pas drôles et comparez les avec nos voisins italiens !
Les Ramones parlent à Ramon : « Je me demande comment les réalisateurs et auteurs français parviennent à un tel degré de vacuité. J’ai ressorti le célèbre "Gaba-gaba-hey" des Ramones du coup ! ».

Pour « Fais de beaux rêves », par pudeur, je préfère laisser Ramon en parler-lui-même, puisque ce sujet nous touche toutes et tous et lui particulièrement et récemment.
« J’évoque dans cette avant-dernière chanson les épreuves qui peuvent nous frapper avant la décrépitude et la disparition. Pour se maintenir la tête hors de la vase, on pourra au moins rêver et évoquer la grâce de nos étreintes adolescentes. Ici encore musicalement de multiples modulations et cette jeune voix féminine doucereuse et pernicieuse pour enfoncer le clou…  ».

Et pour finir le clou justement de l’album a enfoncer au marteau pilon : « Une chanson émouvante », ou la recette de Ramon lors ses amours adolescentes, garnitures comprises, collé collé. Plus trash tu meures ! Pourtant ça avait bien commencé avec le délicat toucher du manche à 6 cordes par Michaël Ohayon, la bluette fleurette chanson d’amour qui aurait pu avoir sa place au top 50 et même à l’horreur vision d’un Youpi la France revisité, Plouf tombe à l’eau à la fin. Petit clin d’œil à Sarclo dingo et digne cousin de Ramon, côté suisse francophone. Ces deux-là s’accordent souvent à torpiller leurs chansons en fin de parcours. Marque d’humour particulier et j’en redemande ma dose.

En conclusion et pour répondre à la question judicieuse que se pose Ramon :« Où sont passés les grands créateurs d’antan ? Les Brian Wilson, Lennon, McCartney, Andy Partridge de XTC, qui nous séduisaient et nous étonnaient par leur créativité débridée ? » Je pense que sa modestie va en prendre un coup, mais Ramon tu corresponds justement à cette zizique construite et élaborée qui mêle tous les styles. Même si pour cet album, du fait de la décharge électrique que tu as encaissé sur ta chaise, forcément ça se ressent dans les guitares électriques énergiques qui peuplent les plages musicales. Avec cependant parfois encore et pour mon ravissement la présence du quatuor Impétigo et deux superbes choristes qui n’ont pas non plus déméritées. Il ne reste plus qu’à aller à ta rencontre sur scène pour t’entendre dépoter les amplis, dans ton retour vers tes origines du rock éclectique qui te colle à la peau sans défaut.
Un bel ouvrage très travaillé, comme toujours chez Ramon. Il ne se fiche pas de son public, lui !

Je laisse le top de fin à Ramon : « pour ce septième album solo, le ton est délibérément abrasif et sombre, ayant enduré ces temps derniers les affres de l’affliction. Malgré tout, j’ai tenu à ce que l’humour, dont je suis un fervent zélateur, reste omniprésent. A dire vrai, il y a de franches déconnades : on ne se refait pas ».
A suivre…

Ramon Pipin « Chants électriques », décembre 2024