La chasse aux vieux

La chasse aux vieux

Tout le monde a en mémoire la nouvelle de Dino Buzzati dans laquelle une bande de jeunes se rassemble pour organiser une chasse aux vieux à grand renfort de battes de base-ball. A l’aube du troisième millénaire, le personnage du « Vieux » a pris une place prépondérante dans l’Histoire avec un grand « H ». Il occupe de plus en plus de terrain dans les médias et plus en plus de place dans les cages à poules médicalisées que le bon français, par un tour de passe-passe sémantique, appellera « maison du troisième âge ». Or, 2005, caducée de l’espèce, a vu la naissance de ce qu’il convient désormais d’appeler « le quatrième âge ».

2005, odyssée de l’espèce.

Flash-back ! : il y a quelques centaines d’années en arrière, une tradition poétique consistait à faire grimper le « Vieux » dans un arbre, à secouer l’arbre avec entrain, et comme un fruit, si le « Vieux » était trop mur, il tombait avec les fruits blets. Le « Vieux » était abattu, avec bon sens, dans l’intérêt du microcosme familial et du macrocosme social.
La question est posée : aujourd’hui, quelle place accorder à nos « Vieux » ?

Notre « Vieux » se sent menacé. Et il a raison. Notre « Vieux » se sent inutile, carne fatiguée. Partout, l’on ne cesse de faire croître dans son cœur qui se flétrit, ce sentiment d’inutilité. Monsieur Sarkozy nous l’a assez dit, il n’y a de bon citoyen que le citoyen actif, garant par sa force de travail de l’équilibre économique et donc social de la France. Alors, notre « Vieux » regarde avec tristesse sa force de travail passée. L’avenir du « Vieux » semble aujourd’hui tracé entre une purée de pomme de terres et de carottes, des jeux de cartes et de société, des piqûres dans les fesses, l’émission de radio les Grosses têtes, ou enfin la lecture de France-Dimanche et de Gala. Le « Vieux » rumine son épitaphe et chante « Merry Christmas » à ses petits-enfants effrayés par le drôle de son produit par sa trachéotomie. Nos « Vieux » ont le sentiment qu’on les délaisse. Attachés à leur chaise roulante comme des chiens au bord des autoroutes, ils attendent qu’un nouveau maître vienne les chercher.

Alors, nous nous proposons, nous, jeunes français enchômagés de nous occuper de nos « Vieux », de leur tenir compagnie, de les tenir en laisse et de les aider à grimper dans les arbres pour cueillir de jolis fruits. Nous nous engageons à les recycler. Nous sommes prêts à répondre à leur désir croissant de continuer à aider la société. Nous ferons avec leur aide précieuse de la pâte à tarte de « Vieux », du shampooing, de la lessive de « Vieux », du papier recyclé et même des cornemuses et des flûtes avec leurs os. Nous sommes prêts, nous jeunes de moins de trente ans, à organiser des battues pour égayer leurs vieux jours. En effet, quoi de plus amusant qu’un vieux monsieur claudicant avec sa cane poursuivi par une bande de jeunes armés de couteaux et de chaînes de voiture ? Ou qu’une vieille dame poursuivie par un 4x4 vrombissant ?

Nous pourrions créer une nouvelle émission de télévision que nous appellerions « La Chasse aux Vieux ». Pour pimenter le jeu, nous cacherions dans les colons des « Vieux » participants, des rubis ou des Louis d’Or, parfois un simple billet d’un dollar. L’argent recueilli par les chasseurs servirait comme dans Fort Boyard à une association caritative. Il serait reversé intégralement à une association pour la préservation des espèces en voie de disparition. Une autre émission s’appellerait « Mai 68 ! Toi aussi tu peux le faire. » qui consisterait dans un magnifique élan social à déloger toutes les personnes pour qui la révolution culturelle et sociale de 68 ne fut qu’un prétexte pour mieux se placer. Des jeunes armés de grands filets seraient chargés de les attraper suivis par une équipe de télévision réduite qui filmerait le tout avec une caméra Dolly. Les faux agitateurs de 68 seraient livrés dans des backrooms à des hordes de gérontophiles sidéens assoiffés de sexe et de révolution. Les mamies de la révolution seraient quant à elles livrées dans les cages d’escalier du Parlement Européen au politiques avides de sexe pour de grands happenings gangbangesques. Des voyants modernes seraient chargés de lire dans leurs tripes l’avenir de la France, un avenir à n’en pas douter radieux.

Alors pour une France plus joyeuse et des « Vieux » moins bougons, organisons tous ensemble ces nouveaux jeux du cirque, ces Jeux Olympiques du quatrième âge et proclamons la Chasse aux « Vieux » ouverte !