Interview : L’écrivain Alexandre Moix

Interview : L'écrivain Alexandre Moix

Rentrée littéraire 2005 : Alexandre Moix trentenaire souriant et enthousiaste, critique de cinéma et cinéphile émérites sort le 10 Février 2005 aux éditions Carnot un premier roman remarquable à plus d’un titre. "Second rôle" est un road movie intérieur à la recherche d’un Futur, générationnel, tendre, cocasse et touchant sur le thème de la fratrerie.
Un roman sincère, jubilatoire et précieux qui raconte en filigrane l’itinéraire de deux frères que tout sépare et que tout rapproche, le succès médiatique et artistique, comme l’échec. Entretien.

1) Alexandre Moix vous sortez un premier roman chez Carnot qui s’intitule "Second rôle". Votre patronyme me rappelle quelqu’un qui a déjà fait des livres. Avez-vous par hasard un lien de parenté avec Ana Maria Moix ou Candide Moix qui sont des auteurs que l’on trouve en librairie...

Moix est un nom assez peu répandu. Même en catalogne dont je suis originaire (le berceau de ma famille se situe à Lerida, près de Barcelone).

Moix est un nom « marrane » (juif espagnol) qui vient de « Moïse ». Il y en a aussi quelques uns en Suisse, ce que je ne savais pas. Ce qui a fait croire à un douanier, au moment où je passais la frontière, que j’étais du cru. J’ai eu droit à un grand sourire sans qu’il ne me demande si j’avais des choses à déclarer.

J’aurais pu bosser pour Elf Aquitaine et transporter des valises pleines de pognon sans être inquiété le moins du monde. Mon nom est sans frontière. Un vrai passeport international.

Je ne connais absolument pas Candide Moix. Anna-Maria, fait peu-être partie de ma famille. Je ne sais pas. Mais il existait un grand écrivain espagnol (mort d’un cancer en 2004), Terenci Moix, qui est un cousin éloigné de mon père. Terenci Moix est le BHL espagnol. Il a eu tous les prix littéraires les plus prestigieux, comme le
Goncourt, l’Interallié ou le Femina local.

Chose étonnante, il fut aussi critique de cinéma et a écrit beaucoup sur le 7ème art. Notamment, un livre
traduit dans beaucoup de langue : « Les derniers jours de Marlyn Monroe ». Un best seller. Le goût pour le cinéma et la littérature s’est donc transmis.

Sinon, j’ai aussi un grand frère qui porte mon nom et que j’aime beaucoup.

2. "Second rôle" est une sorte de déclaration d’amour à la littérature et au Cinéma ? A la famille aussi ?

Ce n’est pas un roman du genre « famille je vous hais » mais plutôt : « famille, aimez-moi ! » Un roman sur les dégâts que peuvent faire les « préférences » au sein d’une famille. Tel parent ou grand-parent va préféré tel frère ou telle sœur plutôt que l’autre et l’afficher ouvertement ou insidieusement. Et tout ça est ravageur.

Destructeur. Quand un membre ou plusieurs membres d’une famille pratiquent la surenchère affective, c’est souvent terrible. C’est un thème assez banal et qui touche tout le monde mais que j’ai rarement vu dans un roman.

Le plus grand livre du genre est celui de Klaus Mann, « Le Tournant » qui raconte ses difficultés d’être le fils de Thomas Mann et le neveu de Heinrich, auteur de « L’ange Bleu ». Il y a des passages très émouvants concernant les relations de jalousie entre son père et son oncle mais aussi concernant ses rapports aves tous ces gens qui adulaient son père.

Il n’a jamais pu faire un pas dans la rue sans qu’on lui parle de Thomas et de « La montagne magique ». Son père lui a dit un jour : « faudrait que tu changes de nom. Histoire de pas m’éclabousser » !! Comme Depardieu aurait souhaité que Guillaume le fasse. Terrible. Klaus Mann s’est suicidé à Nice en 1949 à l’âge de 40 ans. C’est un immense écrivain. Plus psychologue et plus intense que son père. Le vrai génie de la famille, c’était lui.

Un hommage au cinéma et à la littérature ? Je fais plutôt des clins d’œil à ceux que j’aime. J’ai voulu que mon Panthéon soit sinon présent du moins cité ça et là dans le livre. Parce qu’ils ont été essentiels à certains moments de ma vie. Ils l’ont jalonnée. Truffaut, Proust, Dewaere, Musset, Schnitzler, Jules Berry, Guitry, Jouvet... bref, tous ceux qui m’ont aidé à vivre depuis des années et qui continuent à le faire et à me donner du plaisir.

Je ne peux pas passer plus de quinze jours sans voir, par exemple, une image d’un film de Truffaut ou une scène avec Dewaere ; sans relire un passage de « La Recherche du temps perdu », un texte de Zweig ou un vieux film avec Arletty. Mes amis sont, pour la plupart, des morts.

3) Une histoire de fratrie est en quelque sorte une histoire universelle,chacun peut se reconnaître dans votre ouvrage ?

Le mythe des « frères ennemis » est vieux comme le monde. Abel et Caïn, Atrée et Thyeste, frères Atrides d’Euripide, etc... L’histoire littéraire et artistique est aussi pleine d’exemples célèbres de « frères ». Thomas Mann, John Cooper Powys, Marcel Proust, Léon Daudet, les frères Renoir (« Pierre et Jean », pour jouer sur un titre de Maupassant), les frères Lumières, les frères Grimm, les frères Allégret (Marc et Yves)...

Et je ne parle pas des sœurs. Chacun d’eux ont une histoire différentes : il y a ceux qui s’adorent et qui travaillent ensemble comme les Grimm, ou Jean Renoir qui prend son acteur de frère Pierre dans ses films. Il y a ceux qui s’ignorent sans se détester : Marcel Proust et Robert son petit frère, médecin. Ceux qui s’ignorent sans qu’on sache vraiment s’ils s’aiment : Léon Daudet et son cadet Lucien, ami de Proust et traîne savate. D’autres se jalousent jusqu’à se faire mal : Thomas Mann et son frère aîné Heinrich...

Et finalement ces figures là deviennent universelles parce que tout le monde peut, suivant les cas, se retrouver en eux. Car ce qui a uni ces hommes là, même si adultes leur destin ne se croise plus, c’est l’enfance. Dans mon roman, j’explique à travers mon expérience personnelle, ce que ça fait de vivre dans l’ombre d’un frère que tout le monde adule. Inconsciemment, il y a entre mon frère et moi une sorte de rivalité artistique non avouée, une compétition qui nous fait nous maintenir éloignée l’un de l’autre depuis des années. Nous avons les mêmes goûts, aimons les mêmes gens, les mêmes écrivains, les mêmes cinéaste, la même façon de penser, de parler... alors qu’on ne se voit jamais. C’est une sorte de relation gémmélaire à distance. C’est comme deux frères jumeaux séparés par des années et plusieurs centaines de kilomètres mais qui s’habilleraient pareil au même moment.

Bizarrement, en littérature, c’est un sujet qui a rarement été abordé par les écrivains. Puisque généralement, ils préfèrent laisser leur frère de côté pour tracer leur route en solitaire. Sauf peut-être par Thomas Mann dans « Joseph et ses frères », un thème qui le hantait. Mon rêve serait par exemple de réaliser un film avec mon frère. Comme les frères Cohen. Nos goûts pour les mots et les images est un héritage familial qui nous vient de notre père.

Petits, nous voyions les mêmes étagères de livres monter jusqu’au plafond. Si mon frère me reproche souvent de vouloir l’imiter, il se trompe. Je suis comme lui. J’ai hérité des mêmes passions : la Littérature et le Cinéma.

4) Malgré la trame et le thème fort du frère, on peut pourtant dire que c’est bien davantage encore le livre générationnel d’un trentenaire ?

« J’ai trente ans » est la première phrase du livre. Car mon roman, c’est aussi ça. Qu’est-ce que le monde réserve aujourd’hui à un mec de 30 balais. Pas à un mec de 50, 40 ou même 35 ans. Non. A un mec de 30 ans. On pourrait résumer ça par une phrase du livre : « mon avenir était ce qu’il y avait de pire dans mon présent ».

Il y en a marre de ces « romanciers trentenaires » parisiens qui ont l’impression d’avoir connu la misère dans un appartement de 120 mètres carrées, carrefour de l’Odéon et qui se réfugient dans des histoires d’amour imaginaires qu’ils n’ont même pas vécues.

Ces « Tristan et Iseut » de Saint-Germain-des-Prés se flattent en se remettant des prix entre eux. Et crient sur tous les toits qu’ils sont la nouvelle génération, que le trentenaires qu’ils sont, parlent aux trentenaires qu’ils ne sont pas. Ce sont des parisiens qui font des romans parisiens pour parisiens. Et bizarrement, ces trentenaires révoltés à la mode du Flore, qui se disent avoir une forte personnalité, s’habillent tous comme BHL.

Col blanc, et cheveux longs. Je ne pense pas que Nicolas Rey ait mis une seule fois de sa vie les pieds dans une agence d’ANPE ou alors pour se marrer. Les trentenaires on les rencontre chez Manpower, Supplay, en train de déprimer devant une annonce merdeuse d’ANPE ou de synthétiser leur existence sur un recto de CV, plutôt que dans des soirées VIP des Champs Elysées.

Personnellement, c’est une littérature qui ne m’intéresse pas.
Simplement parce que, dans ce qu’ils décrivent, je ne reconnais pas la réalité. LEUR réalité n’est pas celle que je vois le matin en me levant. Je sens ma jeunesse trahie quand je lis 10 pages de ces trentenaires Bobo.

5) Bien qu’ayant des passages très émouvants et durs, votre livre ne tombe jamais dans le pathos ni le cynisme encore moins l’aigreur...

Je ne sais pas si les gens aimeront le livre. Mais une chose que personne ne pourra jamais me reprocher, c’est le manque de sincérité. J’ai toujours été moi-même, dans chaque mot. A chaque phrase. Il n’y a ni arrivisme, ni calcul, ni rien de tout ça. Juste de l’émotion brute. J’aime la sincérité. Dans un film, comme dans un livre. La sincérité fout le camp quand on commence à vouloir se prendre pour un autre.

6) Un écrivain et un réalisateur font-ils finalement le même métier ?

Dès lors qu’ils restent auteurs de leur œuvre, oui. A part ça, il n’y a pas vraiment de point commun. Un écrivain est un solitaire, presque un autiste. Il faut une force de caractère inouïe pour rester enfermé, comme Proust, 15 ans dans une chambre en essayant de rester lucide sur soi-même. A ce train-là, face à son ordinateur, certaines personnes peuvent vite se prendre pour des génies. Car personne n’est là pour les remettre en cause. Le cinéma c’est le contraire. Il y a toujours quelqu’un pour vous contredire, vous mettre le nez dans vos erreurs, vos mauvaises idées. Un scénario s’écrit à plusieurs. Le cinéma est un travail d’équipe.

Réalisateur et écrivain c’est un peu la différence entre le chef d’une équipe de Hand ball et un fou d’échecs qui s’entraînerait tout seul dans sa chambre avec son ordinateur pendant des années.

Je pense qu’écrire peut rendre fou. C’est désociabilisant. Les romanciers sont généralement hors du monde. C’est ce que je leur reproche. Ils ont pour île déserte leur nombril.

7) Les trentenaires de tous les pays vont-ils prendre le pouvoir ? Et si oui qu’en feront-ils ?

Hélas, si les trentenaires devaient prendre le pouvoir, ce serait déjà fait. Nos parents ne nous ont laissé aucune chance de le faire. Nos 68ards ont tout verrouillé jusqu’à leur retraite, qu’ils ne veulent même pas prendre d’ailleurs. C’est aussi un des thèmes du livre. Le grand jeu des 68ards et de ridiculiser notre jeunesse pour pouvoir faire les coqs plus longtemps.

A 25 ans, ils ont viré De Gaulle à coup de pompe dans le cul, ont pris les commandes de tous les postes clés : télé, radio, journaux... Tous ces shootés lanceurs de pavés sont aujourd’hui PDG, DRH, et font la pluie et le beau temps... Eux qui montraient leur cul en plein Paris en foutant le feu au voitures nous font remplir des CV, nous font passer des entretiens d’embauches qui n’en finissent jamais.

Ceux qui gribouillaient partout qu’il était interdit d’interdire, nous interdisent aujourd’hui de nous réunir dans une cage d’escalier, de boire un verre de vin en soirée, s’offusque quand une voiture crame en banlieue. Les ex-hippie sont des vieux beaux gominés qui ne supportent plus de ne plus avoir nos 20 ans. Ils leur faut bander plus dur que nous, alors ils s’inventent le Viagra.

Ils ont peur de vieillir alors, ils repoussent leur départ à la retraite histoire de se persuader qu’ils sont toujours aussi dynamique que nous. Laissant du même coup notre jeunesse sur le carreau. Pour nous ridiculiser, ils enferment notre jeunesse dans des jeux télévisés pour débiles manteaux. « Loft Story » et compagnie sont des réality show où les 68 ards exhibent notre jeunesse en la faisant passer pour une conne. Et ça marche. Le monde s’en gaussent alors on continue de faire confiance aux vieux. C’est quand même pas Loana qui va régir le monde ! Les ex-lanceurs de pavés sont devenus ceux qu’ils dénonçaient entre deux prises de shit : des bourgeois en BMW. Moi, je verrais bien un truc dans le genre de cette nouvelle de Dino Buzzati dans « Le K ».

Une chasse au vieux. Dans mes pires cauchemar, j’imagine un jeu qui s’appellerait « La Française des Vieux », une sorte de loto où on ne gagnerait plus d’argent mais un vieux. Un vieux à recueillir chez soi tellement qu’il y en aurait. Un vieux dont il faudrait s’occuper et qui permettrait d’être exonéré d’impôts. Ça serait l’horreur. Les malchanceux qui auraient tirés les 6 bons numéros hériteraient d’un couple.

8) Avez-vous envie d’adapter cet ouvrage au Cinéma, y avez-vous pensé pendant l’écriture ?

Comme j’aime par-dessus tout le Cinéma (je vais bientôt tourner un court-métrage avec Daniel Prévost, Jackie Berroyer, Bernard Montiel et Paulette Dubost), j’ai une écriture, inconsciemment, très visuelle. Je pense que cette histoire pourrait faire un film émouvant. J’y ai déjà réfléchis. On verra.

9) Que pensez-vous apporter de nouveau à la Littérature actuelle ?

J’ai juste fait un livre. C’est tout. Il faut être Proust ou Céline pour apporter du neuf. Il y en a un ou deux par siècle. Ils sont peu-être déjà nés, les génies du XXI ème siècle. Ils n’ont peut-être que 2 ans ou 6 mois. Ce sont encore des bébés avec couches, biberons. Ils arrivent.

10) Par quoi souhaitez-vous terminer cet entretien ?

J’ai hâte de savoir si mon frère va aimer mon livre. C’est pour lui que je l’ai écrit. Comme une grande lettre d’amour que je n’ai jamais eu le courage de lui envoyer. On verra bien...


Lire la critique de ce livre par OCD

photographie : Frédéric Viniale
L’Editeur : Editions Carnot
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