Interview du dessinateur et colleur Fred le Chevalier.

Interview du dessinateur et colleur Fred le Chevalier.

A Paris, tout le monde connait le travail de Fred Le Chevalier même s’ils ignorent tout de son créateur. Son travail a envahi les murs de la Capitale depuis 2010 et il fait désormais partie de la mémoire collective et personnelle des parisiens. Nous avons voulu en savoir plus sur cet artiste talentueux, positif, humble, talentueux, philosophe et simple.

1. Bonjour Fred Le Chevalier, ton travail de Street artiste est très connu des parisiens, il a une vraie notoriété et reconnaissance. Comment tout cela a commencé ? Es-tu un autodidacte ?

J’ai commencé à dessiner à nouveau (c’était une passion d’enfance qui ne subsistait qu’au coin de mes lettres, cours, notes) il y a maintenant 15 ans, à peu près, mais sans idée de les montrer. C’était une période assez sombre et j’en ai tiré l’envie de changer la façon dont je vivais, de l’exprimer, c’est passé par le dessin. L’élément déclencheur à l’époque a été la rencontre de la boutique d’une dessinatrice devenue tatoueuse nommée Béatrice myself. Son dessin me plaisait énormément tout en étant "simple". j’avais le sentiment que si j’avais continué à dessiner enfant j’aurais dessiné " bien" et que le temps perdu ne se rattrapait pas, donc que je ne deviendrai jamais celui que j’aurai pu/du être.

Cette rencontre et mon état de l’époque m’ont fait passer par dessus ces considérations très négatives. j’ai acheté cahier, feutres et je me suis mis à dessiner de façon très spontanée, rapide. Au bout de quelques temps je les ai montré à mon entourage, je les offrais, ravi que cela puisse plaire. Mes dessins d’alors étaient plus spontanés, plus naïfs, directs, maladroits. Un ami illustrateur m’a incité à ouvrir un compte my space où j’ai publié mes dessins, fait pas mal de rencontres, découvertes.
J’envoyais par la poste mes dessins à ceux qui les aimaient, ravi qu’ils ne restent pas dans des tiroirs. Rapidement les destinataires se sont mis à m’envoyer en retour des photos de mes dessins chez eux ou avec eux, je nommais ça mes "dessins voyageurs". J’ai commencé à coller dans la rue vers 2010 je pense, un peu puis beaucoup selon mon humeur, mes besoins. Je suis venu au dessin comme un refuge, une expression très spontanée, paradoxalement j’ai un peu envahi l’espace public avec une intimité devenue très impudique.

Cela en a charmé certains, agacé d’autres assez logiquement.

En 2012 première exposition, autour de cette période j’étais très focalisé sur le collage, j’appréciais ces promenades, ce temps lent à chercher des murs "moches", délaissant un peu les dessins construits pour avoir sans cesse de nouveaux personnages, dessinant parfois des personnes qui me touchaient ou inspiraient. Depuis cette date j’ai une exposition par an à paris à peu près et parfois ailleurs, assez rarement. Je suis en effet autodidacte, quand j’ai recommencé à dessiner je voulais m’exprimer, pas apprendre des techniques ni dessiner " bien".

Par contre j’ai grandi dans un environnement favorisé dans l’accès à la culture, ma mère lisait beaucoup, mon père fait de la peinture. J’ai grandi à Angoulême où l’on trouve de nombreux murs peints. c’était donc un contexte favorable pour développer une sensibilité à l’image. J’ai beaucoup écouté de musique punk où graphisme, images, fanzines offrent également beaucoup d’images. Autodidacte donc mais développant un trait avec le temps, j’ai perdu la spontanéité du début pour plus de précision, travail même si le dessin reste très répétitif chez moi avec de grands aplats noirs, des formes particulières.

2. Comment définirais-tu ton Artwork ?

Je ne suis pas très porté sur les définitions. Ce qui m’intéressait dans le dessin c’était justement d’avoir un espace où le cerveau se tait, je dis simplement que je dessine et colle, je commence à utiliser la peinture maintenant, le faire me suffit comme définition.

Tu fais régulièrement des affichages dans les rues de Paris, parfois deux fois par semaine, c’est une vraie addiction passionnée ?

Oui c’est assez juste. Parfois ça a été tous les jours d’ailleurs, Récemment beaucoup moins, des semaines sans puisque j’avais plus envie de dessiner. J’ai du mal à faire les choses, à m’installer, me poser, je tourne beaucoup autour de la table à dessin. Par contre le collage est assez facile d’accès. J’ai juste à découper, colorier et marcher. Cela donne un sens, un rythme à des promenades, permet de poser des repères, quelque chose qui existe, s’ancrer. Peut être que sans ça je serai un de ces mecs qui parlent tout seuls en marchant , je ne sais pas. Se soucier des retours c’est venu après. Actuellement je colle presque uniquement sur des trajets, quand je sors voir des amis, chercher quelque chose mais je m’y suis remis un peu plus. Je colle quand j’ai besoin, quand ça me manque, démange. Plus Paris se rendra propre moins mes personnages y auront leur place, je crois, puisque je cherche plutôt des murs sales, isolés.

3. Le dessin et le collage c’est un retour et un hommage à l’enfance ? Tes personnages en noir et blanc nous sont devenus familiers, comment sont-ils nés ?

Je ne sais trop me situer dans le rapport à l’enfance, je ne crois pas vouloir dessiner l’enfance et en tout cas pas pour des enfants mais...le trait naïf , la simplicité l’évoquent à peu près systématiquement. J’ai commencé à dessiner dans un moment de vie assez dur et sombre, peut être mon pire même si les classements sont toujours aléatoires. A cette période j’ai voulu essayer de m’attaquer à moi même, à la façon dont je vivais, j’avais besoin de m’exprimer. Le dessin était une passion d’enfance à laquelle j’avais renoncé, l’arrivée au collège avait été un brin rude et j’avais décidé de stopper tout ce qui était susceptible de me faire remarquer : lecture, dessin, prise de parole, apprendre, c’était se fondre. Il m’en restait adulte l’idée que j’aurais pu dessiner "bien" mais que ça ne se rattraperait pas, que je ne serais pas celui là. Il y a une quinzaine d’années j’ai pourtant retouché à des stylos autrement qu’en gribouillant un personnage sur coin de cahiers, j’avais croisé la route de Béatrice Myself, une tourangelle faisant des dessins qui me plaisaient beaucoup : poétiques, drôles et ...simples.

J’achetais pas mal de choses à sa boutique et j’ai fini par me dire que ce n’était pas techniquement si hors d’accès et je me suis mis à dessiner. Au départ seul, sans montrer dans de petits cahiers, avec une profusion de couleurs. je dessinais les premières années très spontanément , en très peu de temps. Sans pouvoir rien reprendre puisque je n’utilisais pas de crayons de papier. Il y avait une maladresse intéressante je crois et plus de liberté que maintenant ou je cherche le trait propre.

Au bout de quelques temps je me suis fixé sur un personnage qui était inspiré par deux films : freaks et le tambour, donc entre enfance et âge adulte par leur histoire ou apparence. Pour ceux qui apprécient mes dessins cela tient sans doute à ce côté indéfini, entre le masculin et le féminin, l’adulte et l’enfance et cette thématique de chercher des espaces de douceur entre rêves et cauchemars.

4. Il y a un vrai message de tolérance et en ouverture d’esprit à travers ces petits personnages intemporels qui ne sont d’aucuns genres ni enfants ni adultes ?

Je n’ai pas dessiné en cherchant à délivrer un message ni en m’adressant aux autres, j’étais simplement en train d’exploser et ça a fait parti d’un sursaut, d’un temps que je me donnais pour essayer de faire. Je ne parlais à personne d’autre que moi, avec des encouragements, l’idée de se poser un instant, s’ancrer et c’est une dimension que je ne voudrais pas perdre de vue. Après en faisant des expositions, collant avec signature, discutant j’ai été amené nécessairement à regarder ce que je faisais, me poser la question du sens, du contenu. Je n’ai pas spécialement aimé faire ça je crois puisque je bénéficiais du dessin comme d’un espace sans penser et ça m’allait bien. Je crois aussi qu’il y a une envie de projeter du doux, de la tolérance, ça peut parait un peu fade de l’écrire mais on est ancré dans un monde violent, avec des rapports sociaux très conflictuels, beaucoup de codes, de sarcasme, ce n’est pas la direction que j’ai emprunté ni qui me fait rêver.

Mes personnages sont androgynes, hors monde, en recherche de bulles, que chacun les identifie comme il le souhaite ou y projette ce qu’il veut me va bien mais forcément il y a un fond de liberté, de tolérance et des aspirations au doux.

5. Y’a t’il toujours un message politique ou social dans l’art même s’il est très esthétique et épuré ?

J’ai du mal à te répondre là dessus, je théorise très mal et n’ai surtout aucune leçon à donner. Je ne revendique même pas spécialement le mot art, j’aimais bien la démarche du punk de dire qu’on pouvait jouer de la musique sans être musiciens, écrire sans être un intellectuel etc...ce qui était bien entendu...politique. Refuser d’intégrer une famille, quelques lieux, en choisir d’autres ca a un sens donc on fraie forcément avec des choix politiques. Quand on axe sur le buzz, la communication, ce qu’on appelait la publicité c’est politique également.

6. En quoi le Street art est-il devenu un passage obligé à Paris ?

Paradoxalement je m’intéresse peu au Street-Art. J’ai toujours aimé voir ce que les murs racontaient, partout mais en commençant à exposer j’ai découvert un milieu aussi compétitif et codifié que tous les milieux. J’ai eu droit à un défile de personnes venant me dire que je n’étais pas généreux en collant des photocopies, qu’on me "détester dans le milieu", mon masochisme n’étant pas illimité je me suis peu intéressé au "milieu".
Je suis plus sensible à d’autres formes que ce qu’on trouve dans les expositions street art donc je n’y connais presque rien. Je regarde les murs, si quelque chose me parle je m’arrête mais ça s’arrête là. Le street art incontournable ? Sans doute parce qu’il est omniprésent et que la publicité l’aime , toujours intéressant ? Pas persuadé.

7. Quels sont tes projets artistiques ?

Je fonctionne assez peu par projets, j’ai des envies toujours mais arriver à me poser et dessiner c’est un projet en soi , que je concrétise finalement très peu ; J’essaie d’avoir des envies et leur donner vie. J’aimerais retourner exposer au Japon, continuer à faire des grands formats sur papier, donner jour à un livre avec du texte, voyager un peu plus pour coller.

Le grand projet, ça reste de tenir le coup financièrement et être autonome et en paix, grand, grand projet.

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