Georges Brassens militant anarchiste incontournable et de tous les temps !

Georges Brassens militant anarchiste incontournable et de tous les temps !

Pour le centenaire de la naissance de Brassens, qui pouvait depuis Marseille et avec tant de brio, nous conter le Brassens militant anarchiste, si ce n’est Frédéric Bories dans son ouvrage ! Cette thématique était par trop souvent gommée pour ne garder que le Georges goguenard et père pénard. Coquin de sort, à croire que par cet ouvrage, il n’est pas mort. On découvre un autre Brassens d’une incommensurable culture littéraire. Lui qui fit son école buissonnière à travers les Villon et poètes de travers. Lui qui libre pensa entre les ouvrages de Proudhon, Bakounine… Il devint même secrétaire de rédaction, en tant que journaliste autodidacte, à l’humour pinçant dans ses rubriques à démystifier les passant honnêtes, dans les colonnes du Libertaire, organe de la fédération anarchiste. Toute cette verve riche, on la retrouva dans ses chansons léchées dans une langue vivante et revigorante. Etait né le Georges Brassens que l’on croisa sur les planches où lors des différents meeting de soutien aux mouvements libertaires et antimilitaristes de son temps, Il ne renia jamais ses idées, "Mourons pour des idées, d’accord, mais de mort lente 1 ».

Brassens, c’est un peu spécial pour moi, puisque le Bartos m’a refilé le virus qu’il a contracté ado. Même que chez ses darons on écoutait des disques de Brassens et on allait le voir en concert. Le Bartos boutonneux, les esgourdes bouchées à l’huile de coude ne retenait que la rythmique à la gratte, qu’il résumait par mapoum mapoum mapoum. Les thématiques et les paroles, il s’en battait les crolles (boucles de cheveux en Ardennais). C’est bien plus tard, qu’enfin, ayant lavé son cerveau de tous ses préjugés à la Kong, il s’est mis à l’apprécier et moi avec !

La période de Brassens militant anarchiste entre 1946 et 1948 est par trop souvent passée à l’as par ses biographes. Frédéric Bories nous remet les pendules à l’heure de son engagement lors de cette période d’après-guerre. Brassens a toujours été fidèle à ses idées et à sa morale anarchiste. Dans son introduction, l’auteur nous indique à juste raison que « pour comprendre l’œuvre de Georges Brassens, il est nécessaire de connaitre l’homme, sa pensée, son éthique 2 ».
En sachant encore que le personnage de Brassens avait une personnalité d’une grande pudibonderie 3 et qui n’aimait pas exposer son nombril à la une des magazine.

Il débarque de Sète à Paname autour de 20 ans. Il est marqué par son séjour en Allemagne pour le STO. Et c’est en 1946 à l’âge de 24 ans, qu’il croise la mouvance anarchiste et sent poindre des affinités affectives et électives très fortes Il se met à dévorer les ouvrages des théoriciens : Proudhon, Kropotkine, Bakounine, la liberté chevillée au corps comme une bouée de survie. Surgissent alors les premières thématiques qui l’inspirent, contre l’Etat, l’armée, l’exploitation de l’homme et pour une indépendance de l’individu tout puissant face aux forces coercitives de la société.

« La vie d’artiste » de Léo Ferré n’a rien à envier à celle de Brassens. La mouise dans la simplicité volontaire entre la Jeanne et l’Auvergnat avant qu’on entende enfin ses éclats de voix. Que Patachou dans son cabaret le prenne sous son aile. Et le succès mugissant jusqu’à son premier passage à l’Olympia où le très réac Figaro le taxa de « Troubadour anarchiste ».
Dans l’ouvrage de Frédéric Bories, il n’est nullement question de ces périodes fastes. C’est entre 1946 et 1947 qu’il aiguise sa plume trempée dans le vitriol, qu’il publie ses chroniques pour le libertaire sous différentes pseudos. Les titres sautent au visage et sans faux sans semblants du style : « Vilains propos sur la maréchaussée » / « Le hasard s’attaque à la police » / « Au sujet de la bombe atomique » / « Aragon a-t-il cambriolé l’église de Bon-Secours ? » / « Les grandes résistances » / « Le chemin du clavaire » / »Les bienfaits de l’humanité » / « Les bienfaiteurs de l’humanité » / « Idée de patrie bouée du capitalisme »…

Durant son enfance heureuse à Sète, son antimilitarisme notoire lui est transmis par son père Louis. Georges n’en dément pas : « Je suis devenu antimilitariste parce que dès l’enfance, très jeune déjà j’ai détesté la discipline. J’ai eu horreur de recevoir des ordres et j’ai eu horreur d’en donner aussi. J’ai eu horreur de me soumettre. Alors, petit à petit, j’étais obligé de rencontrer l’antimilitarisme. (…) Je ne sais pas si c’était l’anarchie, c’était le refus de toute discipline, ça c’est inné en moi, ça a commencé très tôt 3 ».
L’école et son cortège de discipline passive à baisser la tête ne lui convient pas. Il est demeuré un élève médiocre chahuteur. Seuls dans la gymnastique et la récitation, il prenait son fade.
Paname et son premier coup de cœur remonte à l’été 1931, complété en 1937 par la visite de l’Exposition universelle. Il est subjugué par le concert de Ray Ventura et ses collégiens. Un seul lieu désormais de vie : Paris !
Puis c’est ça rencontre fulgurante avec les grands textes poétiques, en classe de troisième avec une jeune enseignant qui lui révèle Verlaine, Baudelaire, Valéry, Mallarmé. L’apothéose éclate : « On était des brutes, à 14-15 ans, et on s’est mis à aimer les poètes 4 ».
Il commence à noircir des cahiers pour y écrire ses poèmes. Il publie des recueils de poésie et est admis à la Sacem en 1942. Il ne cache pas sa forte affinités élective pour Villon. « Pendant deux ans et quand je faisais mes « humanités », je ne pensais qu’à Villon par Villon, à travers Villon. Je refaisais ses vers, je les arrangeais à ma guise, j’essayais de m’imprégner de son art. J’étais pétri de Villon 5 ».
De retour du STO, Georges reçoit l’hospitalité chez Jeanne et Marcel Planche. « Il portait un vieux pardessus élimé et des espadrilles en plein hiver, bref c’était la dèche totale 6 »
« Jeanne, d’origine bretonne, était un être assez extraordinaire, un être tout d’une pièce, un être généreux, violent, exclusif, charitable, compréhensif et en même temps, elle était autre chose : elle était un peu folle ! 7 ». Elle se fiche totalement du quand dira-t-on. « Jeanne », la chanson qu’il composa en son hommage est un pur joyau d’amitié. Marcel, son compagnon d’infortune, est peintre en carrosserie de luxe. Georges vit sous le toit ce couple et totalement dépendant de leurs maigres revenus. Sans eux, il ne serait jamais devenu ce qu’il a été. « Je leur dois tout, à elle et à son mari 8 ».

A la Libération de Paris, le 25 août 1944, toutes les passions se déchainent et les règlements de compte. Brassens ne soutiendra jamais l’humiliation que certaines femmes ont subi. « La Tondue » nous en convainc.
Il dévore alors des tronçons de littérature, de Rabelais dont il apprécie la truculence, en passant par Ovide, Céline, Marcel Aymé, Maupassant, Hugo, dont il mettra plus tard en musique certains de ses poèmes.
Les 6 et 9 août 1945, les bombardements atomiques américains le mettent dans tous ses émois.
A ses compagnons anarchistes, il aime donner des surnoms. « Emile est rebaptisé Corne d’auroch, quant à André pour son attitude hésitante, il est nommé Plésionaure indécis. Georges n’est pas en reste et surnomme Œil de mammouth 9 ».
« A Basdorf, lors de son STO, avec son ami Larue, a muri l’idée de la création d’un journal « anticonformiste, antibourgeois, ouvert aux jeunes, aux artistes, aux poètes, courageux, juste, social, humain 10 ». Quant au titre, ils tournent autour de « Au-delà des murs » ou « le cri des Gueux », en hommage à La Chanson des gueux de jean Richepin.
En mai 1946, Georges Brassens qui déteste le symbole d’adhésion adhère au groupe XV de la fédération anarchiste. Son organe de presse Le Libertaire se compose de quatre pages en format A2 et tire à cent mille exemplaires et parait le vendredi et est vendu à la crié dans les kiosques à journaux et dans certaines librairies. « A partir de 1899 sont représentées les trois grandes tendances du mouvement anarchiste français : l’individualisme, l’anarcho-syndicalisme et le communisme libertaire. En 1905, Le Libertaire devient le journal de l’organisation anarchiste, un journal antimilitariste et farouchement hostile à l’Etat 12 ».
I

Brassens découvre ravi la parution de son article « Un conte policier » dans le numéro du vendredi 28 juin 1946. Commence alors une collaboration au journal où il devient correcteur. Il s’entoure d’amis proches. Dans ses articles littéraires, il aborde les rives de Villon, Lachambaudie, Baudelaire et tant d’autres. Il affirme haut et fort ses convictions et ses articles prennent la forme de fabulettes à La Fontaine où il donne son point de vue.
Lors du congrès de Dijon, les 13 et 14 et 15 septembre 1946, la rédaction des articles pamphlétaires lui sont désormais réservés. Il devient secrétaire de rédaction et était rémunéré 9000 francs soit l’équivalent 776 euros en 2020.
Mais bientôt, Brassens s’épuise à la tâche. « Il souhaite être déchargé de la mission de répondre à « la prose débilitante et inepte » de certains lecteurs. Maurice Joyeux conteste son assiduité. Si Georges Fontenis reconnait son excellent travail de correction et de mise en page, il lui reproche , en revanché d’être trop pointilleux envers le français des autres camarades, de « sodomiser les mouches ». Il est vrai que Brassens aimes les textes bien écrits, « écouter ce qui palpite à l’ombre des mots ». De plus il est attaqué sur le fond. Au sein du comité national, certains de ses articles sont reniés sous prétexte qu’ils ne représentent aucun intérêt pour les lecteurs du Libertaire 13 ».
Il démissionne du comité national ainsi que du poste de secrétaire de rédaction du Libertaire, le lundi 6 janvier 1947. : « Je n’étais plus entièrement d’accord avec tout el monde, et moi quand je ne suis plus entièrement d’accord, je m’en vais 14 ».

Ce qui ne l’empêchera pas par la suite d’écrire quelques articles pour Le Combat syndicaliste. Même s’il s’éloigne du courant de la Fédération anarchiste, il y garde de nombreux amis. Il œuvre désormais presque uniquement vers la poésie et la littérature. A propos du militantisme, il s’en explique. « J’en suis parti uniquement parce que j’avais autre chose à faire. J’ai eu tout à fait tort d’arrêter de militer », même s’il reconnait ne pas être doué pour cette activité-là 15 ».
La chanson commence à le travailler. Ses textes mis en musique lui donne une renaissance. A travers ses premières chansons : « La Mauvaise Réputation », « Le Fossoyeur », Le Parapluie », « La Chasse aux papillons », « j’ai mélangé deux genres : la chanson et ce que j’avais appris sur la poésie, la vraie 16 ».

Au début, il se sent aussi lourdingue dans sa stature physique qu’un Boris Vian figé sur scène et espère devenir invisible au regard du public. « Je pense que la chanson n’est pas faite pour les yeux mais pour les oreilles ». Il comprend très vite l’âpreté et la rugosité du milieu de la chanson qui tourne à l’aileron de requin. « On ne place pas une chanson comme une maison, une police d’assurance ou un trait d’esprit. Mille auteurs de conneries attendant leur tour dans cette foire où celui qui braille le plus fort est celui qu’on entend le mieux. La fortune n’est pas pour ce soir 17 ».
Puis c’est Patachou qui s’intéresse à lui. Ses chansons ne passent pas encore sur les canaux officiels du fait de la censure. C’est seulement à partir de 1955 avec la création d’Europe 1 qu’il devient enfin audible sur les ondes.
Il participe à différents galas de la fédération anarchiste où ses compagnons le découvrent sous un autre visage et surtout une voix qui porte.
Certaines de ses chansons suscitent des interrogations. Ainsi « L’Auvergnat » message par excellence de solidarité humaine. Dans le milieu des curetons, certains s’en emparent comme de leur nouvel étendard. Il s’explique sur la question de Dieu. « Je parle souvent de Dieu sans trop y croire et dans « L’Auvergnat », par exemple, je souhaite pour ceux qui m’ont tendu la main à un certain moment la vie éternelle, une vie éternelle dans laquelle je ne crois pas 18 ».
La Bretagne catho, les curetons recommandent à leurs ouailles de ne pas aller aux concert de Brassens où se produit « Le Mécréant ». Ca me rappelle l’image d’un Prévert giflant un curé et sauvé de justesse par ses potos. Brassens avec le même bon sens, la rationalité et la franchise qui animent toutes son œuvre leur répond : « Je ne crois pas en Dieu, je ne l’ai jamais rencontré. Je serais plutôt tendance anticléricale, tout en étant moins virulent que dans le temps, parce que je me suis aperçu que là aussi, certains (hommes de religion) étaient bien 19 »
Il se fait encore écharper avec ses deux chansons « Les Deux Oncles » et « La Tondue ». « Vingt ans après la fin de la seconde guerre mondiale, Brassens déplore que cet esprit de résistance perdure envers les Allemands et exacerbe l’esprit patriotique français. Au contraire, il souhaite en finir avec ce conflit dans la tête des gens et prône la réconciliation entre les peuples 20 ». En quelque sorte, la revanche humaniste de l’homme fraternel contre l’homme voué de haine éternelle.
« La Tondue » s’oppose à tout esprit nationaliste machiste qui désigne les femmes comme premières victimes de la guerre, surtout si elles ont couché avec l’ennemi au lieu du héros franchouillard. En plus, comme toujours chez lui, il a de la suite dans les idées et ne s’en laisse pas compter par les poncifs habituels. Au point qu’en 1972, pour remettre les pendule à l’heure, il sortira « Mourir pour des idées ». Il s’inspire de ces quelques lignes issus de la Peste d’Albert Camus : « J’en ai assez des gens qui meurent pour une idée. Je ne crois pas à l’héroïsme. Je sais que c’est facile et j’ai appris que c’est meurtrier. Ce qui m’intéresse c’est qu’on vive et qu’on meure de ce qu’on aime 21 ».

Toute sa vie il aura exulté dans ses textes et chansons l’idéal de l’anarchie qui coule dans ses veines et sa verve. Il ne se résume pas uniquement à la révolte, mais chez lui dans l’amour des hommes. « L’anarchie c’est le respect des autres (…) un sens d’une espèce de fraternité, encore que ce mot soit un peu grand, une espèce de volonté de noblesse. C’est le respect absolu de l’homme de sa liberté et de sa dignité. Je m’en prends à tous ceux qui attentent à cette liberté, à cette dignité : les armes, les képis, les chaînes 22 ».
Il était très conscient des dangers du communisme et a vu où la dictature du peuple a mené l’URSS à un état totalitaire et autoritaire du bonheur imposé.
« Les communistes disaient (…) qu’avant d’en arriver là , à cette liberté totale des hommes et des individus à la gestion des biens qui sont à tous par tous, il faudrait passer par un Etat autoritaire. Et moi, je ne le crois pas (…) car cet Etat autoritaire risque de s’éterniser 23 ».

Outre la grande richesse de cet ouvrage de nous faire découvrir toutes les facettes de Georges Brassens à la fois journaliste écrivain, poète en verve, vu de l’intérieur du militant anarchiste individualiste qu’il a toujours été, son auteur Frédéric Borie nous prouve qu’il maîtrise parfaitement son sujet. Dans la toute dernière partie du livre, il nous livre un précis historique du mouvement anarchiste du temps de Brassens qui complète parfaitement ses propos antérieurs et les enrichit. Il ne faut pas oublier qu’il est enseignant à Marseille et issu du CIRA Centre international de recherche sur l’anarchisme. Ceci expliquant sans doute cela et son travail acharné de mémoire. Chapeau bas, l’artiste et un énorme merci pour son éclairage qui manquait cruellement dans le paysage autour de la figure de Georges Brassens militant anarchiste.

Frédéric Bories : Georges Brassens militant anarchiste, éditions le Mot et le Reste, janvier 2022, 190 pages, 17 euros

notes
1 : « Mourir pour des idées » Georges Brassens
2 P.9
3 Idib p.11 : « Même si je ne le montrerai pas à mon public pour ne pas le choquer, toute ma vie, je resterai anarchiste »
4 Idib p.15
5 Idib p.17
6 Idib p.29
7 Idib p.35
8 Idib p.36
9 Idib p.38
10 Idib p.51
11 Idib p.52
12 Idib p.66
13 Idib p.121
14 Idib p.122
15 Idib p.143
16 Idib p.148
17 Idib p.151
18 Idib p. 154
19 Idib p.167
20 Idib p.168
21 Idib p.169
22 Idib 170
23 Idib p.174
24 Idib p.175