La complainte du « Sexagénaire » tracassé par sa libido et les femmes !

La complainte du « Sexagénaire » tracassé par sa libido et les femmes !

Roland Szydlowski héros du roman de Jean-Moïse Bratberg est un homme qui aime les femmes, mais contrairement au film de Truffaut, il ne s’attache pas. Autre différence, parvenu à 65 ans, tous ses stratagèmes sont bons pour parvenir à la conquête féminine. Journaliste et écrivain, il a le bagout pour draguer sur les sites de rencontre et est exigeant quant à la qualité de « la viande d’écriture ». Fermier intello de Dordogne, il se fiche du politiquement correct et conchie le conformisme ambiant. Il ne vise qu’à « son espérance de baise ». Même si la machine à un moment ou un autre va le retourner sur les braises. Roman de maturité qui fait exploser tous les clichés. Du grand œuvre de littérature de qualité à lire d’urgence où l’humour voire l’auto-dérision du personnage nous mène à tourner toutes les pages jusqu’à l’extase !

« Le sexagénaire » ou comment le sexe génère chez Roland, le héros de ce roman sa focalisation sur ce qu’il appelle, « son espérance de baise ». A se réaliser dans les plus brefs délais, en tant que mâle. Il se définit lui-même tel « un vieux libidineux qui veut encore profiter sans avoir les moyens de ses ambitions ». (p.39) Mais aussi comme « un résistant à l’universelle connerie ». (p.28)
Au milieu de la soixantaine, être retraité sans compter ses sous, ce n’est pas la panacée existentielle de Roland Szydlowski, héros malgré lui de ce roman. Avec ses 2000 euros tout compris par mois, se chauffer au bois et vivre de son jardin, sans avoir de gros besoins, c’est Byzance pour lui de s’afficher intello gentleman fermier, dans sa demeure paumée au fin fond de la Dordogne. En étant pauvre, il vit comme un prince.

Dès les premières pages, il se cogne au calcul de ses histoire de cul et de ses orgasmes. Il actionne la calculette et les situe au nombre de 20 000 et ses 3000 coïts « plus ou moins réussis entre les cuisses de cent-vingt-trois femmes laborieusement conquises ». (p. 17) C’est en quelque sorte, au mitan de ce bilan de son existence qui défile devant lui à un train d’enfer, qu’il va se prononcer pour son futur, sans renier pour autant son passé décomposé.
Autant en emporte le vent, son temps lui est compté. Le sablier égrène et sème la camarde en échardes. Il se rend compte qu’il n’a pas réussi grand-chose et se résigne à « s’donner à la seule occupation raisonnable pour un homme de mon âge : jouir autant que je peux tant qu’il est encore temps ». C’est devenu son obsession première et convulsive. Toujours sur le qui-vive, quitte à se doper à la petite pilule miracle de Cialis pour que Popaul monte en graine et ne crie pas migraine en figure de virgule fanée, auprès de la gent féminine.

Je vous rassure ce sujet éculé de l’homme terminal, à la fin de non-recevoir de ses terminaisons nerveuses, qui ne voit que le par le bout de son gland, c’est dépassé. Il me rappelle un blanc bec qui a créé tout le toin-toin et le baratin à l’aune de tous ses bouquins. A coups de becs incessants d’un Michel Houellebecq lancinant, voguant à vue et matou-vu entre son machisme exacerbé et son romantisme bon enfant. Point de cela dans le roman de Jean-Moïse Braiteberg. Où la finesse du personnage emporté dans les méandres de son esprit torturé parvient même à nous le rendre un chouilla sympathique. Car point de faux semblants et fuites en avant de la part de son héros.
Il règle ses comptes avec une mère, qui, sans être juive revête toutes les caractéristiques et les arguments de la génitrice castratrice. « Du reste, je ne suis pas le seul à devoir porter le poids phénoménal d’une mère qui, sous couvert d’amour, se sentait autorisée à me posséder, m’envahir, à tenter, après m’avoir expulsé de son ventre, de m’y faire retourner pour combler le vide que j’y avais laissé ». (p.236) De fil en aiguille, Il s’interroge aussi fréquemment sur ses aïeux gazés et partis en fumés par les nazis. Il en porte la douleur et les stigmates dans ses chairs mises à nu. A tel point, qu’il se revendique souvent comme « le fils de rescapé d’Auschwitz ». (p.119)
Autre héroïne du roman, tout, tout, tout, vous saurez tout de Bordeaux, de ces scènes de sexe d’autrefois, de ses différents maires qui se sont succédés pour marquer de leur emprunte la géographie physique des lieux. « Dans les années 1970, avant que Jacques Chaban-Delmas ne se mette en tête de faire sortir son hideux « Bordeaux 1980 », le nom de Mériadeck évoquait les vieux clodos revendiquant d’antiques trésors glanés dans les poubelles de la ville sur une place qui tenait de la Cour des Miracles. C’était surtout le quartier des putes. Une sorte de Pigalle sans néons et en bien plus sordide Avec pour vie nocturne, des filles plus ou moins fraiches invitant les clients à les suivre dans des immeubles autant promis à la démolition que ces dames l’étaient à leur propre anéantissement ». (p.95)

Il explicite son rapport aux maux des mots, en tant que feu journaliste reporter sur tous les terrains de la planète terre et en tant qu’auteur de romans. Roland, le héros a des attributs littéraires à revendre et à défendre, en tant que personnage, loin d’être falot ou phallo, (c’est vous qui voyez) pour tirer sur tout ce qui bouge du côté des gogos.

Les femmes, c’est son sujet de prédilection qu’il affectionne à toutes les sauces. « Avec les femmes, c’est tout pareil. Ce ne sont pas les femmes qui m’intéressent, ce sont les histoires que pourraient m’inspirer mes conquêtes. Si je ne trouvais pas littéraire ma façon de draguer sur les sites de rencontres, je me contenterais de draguer sur les sites de rencontres, je me contenterais de me branler en regardant des clips pornos. Si je suis sur Meetic et sur amours-bio.com, c’est parce que j’espère pouvoir me dire : Quelle bonne viande d’écriture ». (p.101)
« La viande de porc
C’est bon quand c’est mort, bout d’boudin
Car quand c’est vivant
Ça fait du boucan ! »

« Si dans chaque homme
Y a un port latent
Dans chaque port
Y a une femme qui attend
Dans chaque homme,
Il y a donc une femme
Le port de la jaquette est obligatoire ! »
(« La viande de porc » Ramon’Pipins Odeurs (Costric – Brantalou / Pipin) / concert Ramon Pipin’s Odeurs : Comment éclairer votre intérieur, Théâtre du Rond-Point, 6 mai 2018)

Roland, malgré tout son cynisme à porté de voix, est conscient de la situation qui l’anime. Il n’hésite pas d’user de l’auto-dérision à bon escient lors d’un mémorable monologue, à rendre gaga la tirade de Lucky d’« En attendant Godot » de Beckett où l’on crève d’ennui !
« Mais redescends un peur sur terre connard ! Tu ne t’imagines tout de même pas qu’à soixante-cinq balais, tu vas enfin réaliser tout ce que ta morale communiste féministe coincée du cul et surtout ton peu d’attractivité physique t’ont empêché de faire jusque-là. Et quand bien même tu trouverais une ou deux gonzesses sur un site de rencontre, tu imagines un peu une partouze avec des morues de ton âge ? Ou même avec des petites jeunes de cinquante piges qui courent encore après le grand amour ? ». (p.138 / 139)

Quel traquenard de draguer pour parvenir à ses fins sur les sites de rencontre, quand on est à la fois intello et jardinier et qu’on vit dans un lieu paumé ! A moins d’être très ouverte de corps et d’esprit, pas facile pour ses éventuelles proies de se prononcer envers la qualité de l’homme, qu’il met en avant, assumant toutes ses contradictions. D’autant que sa cible précise vise les femmes entre 45 et 58 ans. Puisque « A mon âge, les femmes de la cinquantaine me semblent jeunes ». (p.38) En espérant à cette partie de poker, tirer le gros lot !
J’avoue, qu’éprise, je dirai même plus sous l’emprise du héros, je me suis prise à fredonner du Dick Annegarn, tant j’entrais entre les pages de ce roman côté jardin.
« C’est vous les légumes
Enfin je présume
Vous n’êtes pas reconnaissables
Il vous faut dire
Que l’hiver vient de partir
Le temps est encore variable
Un coup d’arrosoir avant la tombée du soir
Un coup de râteau autour des poireaux » (Sacré géranium)

Car, en plus d’être un homme du terroir qui cultive et cuisine les fruits et légumes de son jardin en abondance, avec amour et à la perfection, Roland est un fervent cuisinier qui sait soigner les rares invitées qui se risquent jusqu’à ses pénates. Au point que la cuisine du Sud-Ouest n’a plus aucun secret pour lui. Ah, sa fameuse recette de la lamproie à la bordelaise, j’en ai les papilles qui frétillent. En plus, il se réalise sommelier, agrémentant ses mets délicieux à des cépages qui frisent tous les sens en effervescence de ses visiteuses.
Ce héros des temps moderne a peu de sou et les compte, au point de s’être persuadé qu’un « site de rencontre est plus économique que d’aller aux putes ». (p.29) De fait, pour rentabiliser son maigre investissement, la photo d’accroche, que de soucis, que de soucis pour un héros doué d’au-moins une double personnalité « Pour moi, être paysan, ce n’est pas seulement travailler la terre. C’est aussi et surtout faire parler les morts, leur redonner vie sous forme de fruits et légumes. En tout cas, ne doute pas qu’en montrant des légumes, j’aurai plus de chance de faire craquer les nanas que si j’avais mis la photo d’un jambon ». (p.33)
Vous aurez perçu je pense également à travers ces lignes, l’humour, voire l’auto-dérision à toutes épreuves de Roland. A tel point d’ailleurs que ses mots railleurs et d’esprit peuvent être interprétés comme des propos provocateurs assénés pour choquer et faire réagir ses interprètes féminines. Pas vraiment au goût de toutes les femmes qu’il aborde et qu’il déborde.

Pour cerner sa personnalité multi faces et complexe, rien de tel pour lui que de renouer des relations avec Marie-Louise, une lycéenne de son époque avec laquelle il a partagé les bancs du lycée de Libourne et frayé à peine à des ersatz sensuels. Et pour laquelle il voudrait conclure une extase sexuelle. Elle a créé une petite maison d’éditions à visage humain où les arts et les mots se marient à l’unisson.
La réunion des anciens du lycée, j’espère, va devenir une anthologie dans les annales de la littérature actuelle de qualité. Tant Roland se dépense et se dispense de la moutonnerie attendue au vu de son personnage hors normes qu’il est resté. Alors que tous ses collègues femmes et hommes de l’antan perdu sont rentrés dans le moule et que c’en est parfaitement désolant pour lui.
« Puis j’ai aperçu une table de vieux. C’était eux. Je ne les aurais pas reconnus dans la rue mais le souvenir de visages jeunes qui peu à peu se profilaient sous les rides a vite fait éclore leurs noms. Des hommes âgés, blanchis sous le harnais, chauves, certains ventripotents, fripés. Des femmes, pour la plupart usées, flétries, de vieilles peaux parcheminées. Des mamies. Sauf Marie-Louise Blériot. C’est qu’elle a bien vieilli la garce ! ». (p.41)

Ah oui, j’ai oublié de vous dire que Roland, raconte toutes ses frasques sexuelles à Marie-Louise. On entre alors à l’intérieur du roman dans le roman qui se construit à la suite de ses aventures excentriques dont il offre la primeur à sa première lectrice. « En confiant à Marie-Louise les récites d’aventures tantôt embellies, tantôt noircies, parfois totalement fantasmées, j’avais accepté de lui permettre de s’approprier des pans entiers de mon existence. La vraie, celle que l’on vit dans ses rêves et son imaginaire ». (p.226)
Dans ce contexte les classes sociales s’affichent et s’offrent à la comparaison, de celles et ceux qui ont réussi et nient les autres, comme la chambre d’écho du héros qui se fiche éperdument de ces jeux de rôles codés. Au point de se dévoiler franc-maçon à plusieurs reprises dans le roman. Ce qui expliquerait en partie son mode de comportement. A propos justement du supposé gommage symbolique des classes sociales, « Les francs-maçons ont un truc dans ce genre. Ils laissent disent-ils, leur « métaux » à la porte du temple. Comprendre ici les métaux comme ce qui symbolise la position sociale, en premier lieu l’argent ». (p.142)
Avec l’évolution de la société et son corollaire de l’émancipation des femmes, être un vieux beau en manque, cela requiert un parcours semé d’obstacles pour aller à la conquête du féminin qui lui turlupine la pine et entretient ses propres réflexions sur la question. « Si les femmes sont nombreuses à rechercher des hommes plus jeunes et féminins, c’est qu’elles ont-elles aussi de plus en plus, une sexualité d’homme. L’incontestable élévation sociale de beaucoup d’entre elles leur permet en outre, comme pour les hommes, de profiter désormais de leur prestige et de leur argent pour se payer des petits jeunes. La partie me semble inégale. En tout cas, difficile. Et pour être franc, sans grand espoir ». (p.39 / 40)

Roland ne respecte pour ainsi dire pas grand monde et pas grand-chose, jusqu’à porter l’estocade à ses propres frères maçons, par sa touche d’esprit qui le caractéristique. « S’ils osaient, les francs-maçons tiendraient leurs « tenues » à poil. Mais pudiquement, ils portent sous leur bedaine un tablier en peau de chèvre, qui fait office de cache sexe et, vu l’âge moyen dans les loges, tout autant de cache misère ». (p.142)

Il n’hésite pas non plus à se mettre à nu durant sa période estudiantine où il se mélange déjà les pinceaux entre cette forme d’anarchisme chanté par Lavilliers et son « N’appartiens à personne » dont il tourne le refrain en boucle. Et son côté « Mao et moi » prémonitoire à la Nino Ferrer de 1967.
« C’est Mao que je suis pour Mao contre Liou Chao-Chi
J’ai mon bréviaire de Révolutionnaire
Dans tous les bouges Moa je bois des Quarts de rouge
Le quart de rouge c’est la boisson du garde rouge »

Il raconte non sans émoi quelques épisodes de son épopée épique et révoltionnaire où préférant dépuceler une copine plutôt que de se joindre au défilé des maos dans le vif de l’action, le rouge lui monte au front.
« Tremblez, les flics, les maos sont dans la rue !... Nouvelle Résistance ! Le fascisme ne passer pas !!! Entièrement nu, je me précipitai à la fenêtre. C’étaient les camarades que j’avais lâchement abandonnés en ce jour de lutte, qui, courageusement défiaient l’ordre bourgeois sous ma fenêtre derrière un drapeau rouge claquant dans l’air comme un reproche. Alors, envahi par une irrépressible besoin de réparer ma faute, je me ruai sur le lit. Sans même prendre garde à celle qui venait de verser son sang dans notre commune lutte contre l’ordre et les préjugés, j’arrachai le drap rougi pour le suspendre à la fenêtrer en écho au drapeau des travailleurs, jetant à la face du monde et du prolétariat international la preuve de mon audace révolutionnaire en même temps que la gloire de ma bite ». (p.94 / 95)

Plus prosaïque et fleur bleu, à force de tancer les deux sites de rencontre où il est inscrit et en avoir pour son fric, le pseudo Zoé 64 émerge du lot. C’est alors que des échanges d’une mièvrerie patente, dignes de joutes amoureuses, comblent les interstices des deux tourtereaux en pamoison du style : « Je me suis réveillée ce matin avec vos mots entourant ma hanche et leur souffle est monté en moi comme une étincelante vague mousseuse. Il fait un temps radieux et glacial. Je me prélasse dans mon lit en feuilletant un livre de reproductions d’Albrecht Dürer ». (p.154)
Roland est servi par ce met de choix qui pour lui correspond à toutes ses aspirations : une femme qui a de la conversation sur à peu près tous les sujets peux communs. Il est comblé. Le beau phraseur s’éclate littéralement les neurones à s’en rendre aphone. Même si pas toujours, « Gaston, y’a le téléphon qui son mais y’a personne qui y répond » ! (Nino Ferrer)

Et le tour de force de l’écrivain Jean-Moïse Braitberg, qui à force doit se confondre avec son personnage, ne se donne pas toujours le beau rôle, comme on aurait pu s’y attendre. A tel point d’ailleurs, il reçoit un retour de bâton à la fin de son récit romanesque. Ses frasques, ses fresques ont levé un lièvre. Je devrai dire des hases pas du tout nazes, mais très conscientes du jeu de rôle du personnage Roland. Qu’elles vont apprivoiser de façon jubilatoire, comme un grand défouloir.

Jean-Moïse Bratberg n’est pas un jeunot dans le petit monde littéraire. Il a déjà publié à deux reprises chez Grasset, excusez du peu (L’enfant qui maudit Dieu en 2006 et Un juif impossible en 2009). Il fut également journaliste indépendant (Capital, VSD, L’Idiot international…) et comme grand reporter au Quotidien de Paris. Accro éditions, une toute jeune maison d’éditions belge basée à Bruxelles ma belle, tendit son regard bienveillant à son roman ? qui ne situe pas pourtant dans l’air du temps du néo-féminisme. Grand bien lui en a pris. Car si la Belgique n’existait pas il faudrait l’inventer, tant son ouverture d’esprit à la naissance du surréalisme et à son humour toujours nous gratifient des éclats de joie de vivre.

SEXAGENAIRE de Jean-Moïse Bratberg , Accro éditions, collection Lire et Relire, août 2021, 263 page, 22 euros