MARSEILLE KHEOPS une non-interview de Jean-Claude Izzo : vu par RP Vigouroux ancien sénateur maire de Marseille

MARSEILLE KHEOPS une non-interview de Jean-Claude Izzo : vu par RP Vigouroux ancien sénateur maire de Marseille

Total Khéops en poche pour évoquer enfin dans mes chroniques le Marseille d’Izzo, j’y ai emmené mon stylo en promenade avec Robert Vigouroux, dont on ne doute pas qu’il connaisse bien sa ville et admirateur revendiqué de l’écrivain.

Sur les traces de Fabio Montale, nos pas nous conduisent à l’heure du repas Chez Etienne, rue de Lorette, où espérer manger la pizza un mardi soir sans avoir réservé relève de la gageure. Etienne n’est pas là, mais comme un clin d’oeil trône au dessus de la dernière table libre un cliché jauni du pizzaïole légendaire en compagnie de l’ancien maire de Marseille...

Tu es un habitué ?

Il y a des années que je ne suis plus venu... mais c’est une pizzeria où j’allais lorsque j’étais interne à l’Hôtel-Dieu et Etienne reste depuis un ami.

Izzo écrit "Les rues désertes. Les restaurants vides, ou presque. Sauf chez Etienne, rue de Lorette. Mais cela faisait vingt-trois ans qu’il était là, Etienne Cassaro. Et il servait la meilleure pizza de Marseille. Addition et fermeture selon humeur", etc. C’est vrai ?

C’est vrai que comme pour Manu, Ugo et Montale dans le roman d’Izzo, l’humeur d’Etienne nous a souvent nourris gratis.

Qu’est-ce que tu aimes, chez Izzo auteur de polar ?

Disons seulement qu’écrire un polar ayant pour cadre Marseille n’était pas encore une évidence. Beaucoup s’y étaient cassé les dents. Des caricatures. Le style d’Izzo, lui, est alerte, local sans devenir vulgaire, réaliste ! Les descriptions sont vivantes dans leur vérité, comme celle qu’il fait par exemple du quartier du panier, où nous sommes... ou la scène du passage à tabac qui est une petite merveille. Mais plus que ça, à travers son personnage de Fabio Montale apparaît Izzo l’ancien journaliste, égrénant des pensées, des jugements, des opinions qui ont eu leur part dans le succès de l’ouvrage.

Tu es toujours d’accord avec ce qu’il écrit ?

A l’auteur de livrer ses idées, si le lecteur n’est pas forcément d’accord, elles témoignent en tout cas de notre liberté de pensée et d’expression.

Tu as un exemple de divergence sévère avec ses opinions ?

César, par exemple... Izzo écrit d’une exposition César "Ca faisait rigoler les Marseillais. Moi ça me faisait gerber " et plus loin "Autant d’insipidité et de mauvais goût dans un lieu chargé d’histoires douloureuses me semblait être le symbole de cette fin de siècle." Bon, je ne partage pas son opinion mais je la respecte. J’aimais l’artiste, César, l’homme était un ami. Je n’ai d’ailleurs qu’un regret..., l’abandon par mon successeur d’un musée d’arts plastiques, déjà en chantier, lié à une donation du sculpteur, une centaine d’oeuvres majeures.

Quel résumé tu ferais d’un "bon" polar ?

Justement, un bon polar ne se résume pas. Il se lit, et on réfléchit. S’il est noir, on frémit. S’il est de Jean-Claude Izzo, on le vit. Un vrai scénario, d’ailleurs, prêt pour la pellicule ! De la violence certes, mais avec concision, précision ; les petits délinquants, l’action policière, de l’amour, cru mais sans jamais tomber dans le porno... , ainsi ne craint-il pas la réalité des gestes et donc celle des mots, il a sa manière. Il n’est ni un placebo pour les obsédés, ni un succédané pour les prudes. Il est dans le réel, toujours...

Vous vous cotoyiez ?

Je l’ai rencontré à plusieurs reprises, dans des Salons du livre, mais je ne l’ai pas réellement connu. Il ne parlait guère, en ces circonstances. Moi non plus. Je l’ai en réalité découvert au travers de ses livres, du polar série noire à la poésie en passant par le roman.

Quand tu as vu débarquer Total Khéops comme un ovni, avec ce titre improbable, t’as pensé quoi ?

Pas tout de suite, c’est vrai, qu’en donnant vie à Fabio Montale, Izzo allait donner vie à une école de polars noirs marseillais. Et le titre a en effet surpris plus d’un, dont j’étais. J’avais pourtant invité le groupe IAM à se joindre à moi pour un petit déjeuner, sans protocole bien sûr, parce qu’ils se lançaient à l’époque... Un peu excités mais tellement enthousiastes. On sentait la valeur ! Mais je n’ai cependant appris la signification de "total Khéops" qu’en lisant le livre "Mon coeur se mit à battre. La boucle était bouclée et j’étais vraiment dans le merdier. Total Khéops disent les rappeurs d’IAM. Bordel immense."

Tu m’as dit apprécier surtout la poésie d’Izzo, peu connue...

Izzo la définit lui-même comme "la sensualité des vies déses pérées". La poésie d’Izzo est un mélange de terre et de soleil, de silence exprimé et de bruits incertains. Elle est plus encore... mais vouloir l’exprimer c’est déjà en violer l’intimité... que chacun peut découvrir.

Et si pour découvrir sa poésie, tu nous conseillais un seul poême ?

"Approche du lointain"

J’essaierai de trouver la place de le mettre...

Il y a, assis en face de nous sous la photo de Josip Skoblar, le plus grand joueur de l’histoire de l’O.M, un monsieur qui vient de reconnaître Robert Vigouroux et lui adresse un petit signe avant de se lever pour le saluer. Nous n’avions pas reconnu Josip Skoblar, par le plus grand hasard dînant lui aussi sous sa photo à l’époque Olympique. Même dans un roman d’Izzo, on aurait du mal à le croire... C’est ce qui fait peut-être la légende de Marseille, légende aussitôt vérifiée par l’arrivée de l’addition effectivement calculée à la bonne tête du client et qui après le digeo finit de me ravir !

Approche du lointain

Un coup de bêche, au loin,
dans la sécheresse
à vif de la terre -
ou bien était-ce un cri ? -

Le silence rompt l’anonymat.

Ni visage ni nom
et la bêche et le cri :
et la terre fendue,
brèche de lumière fertile.

Ou bien d’un chien était-ce le cri ?
Survivance :
le chien appelle l’homme
et l’homme, seul,
nomme les outils nécéssaires.

Le silence implique le souvenir.

Complice silence
qui inventorie la poussière du champ à la ferme,
jusqu’au repos de l’air.

Ou bien était-ce le cri de mon corps
fouillé dans sa chair
jusqu’à sa source douloureuse ?
Plaie ouverte ?
Et les heures suppurant du ciel bleu.

Le silence fait écho au silence.

Etait-ce ailleurs jadis ?
Les ronces ne savent pas,
le ciel se tait et le soleil consentant
détourne son regard.

Etait-ce d’un chien le cri
ou le cri de mon corps ?
Il manque deux heures encore
pour que Midi
assassine le vieux rêve :

Le paysage nu est refus dans sa sécheresse.
Le silence persiste. Et la mort témoigne -
ou bien était-ce un coup de bêche
dans l’approche du lointain ?

Jean-Claude Izzo sur le net