Salopards d’enfoirés de la chanson

Salopards d'enfoirés de la chanson

Soyez les bienvenus dans un univers médiatique parallèle, celui du charity-business made in France. Le maître absolu de ce monde-là s’appelle Jean-Jacques Goldman et il règne en monarque bienveillant et inattaquable sur l’héritage gigantesque du défunt fou du roi Michel Colucci. Son assistant n’est autre que le génial et créatif Pascal Obispo ; la matrone rigolote (quand on abonde dans son sens) de service se nomme Muriel Robin et présente immuablement cet ensemble vocal et festif.

Le prétexte, c’est de ramasser le plus d’argent possible pour les Restaurants du cœur ; la punition dorée, c’est faire un immense show télévisé par an, un grand disque et une méga-tournée en bus entre stars qui s’aiment bien entre elles et vont nous saouler d’anecdotes hilarantes et de private jokes à la moindre occasion. La cerise sur le gâteau, c’est un public de pauvres et de bénévoles de l’association qui assiste à la soirée, peut presque toucher les vedettes et dire : « j’y étais » - une sorte de cirque moderne amélioré. Ce n’est bien évidemment pas la succession artistique et humanitaire coluchesque qui est à mettre en cause, mais plutôt ce que sont devenues les tournées des « Enfoirés » depuis presque une décennie. En effet, ce nom qui sonnait comme une provocation à l’époque de son créateur n’a jamais été si bien porté que ces derniers temps. Les Enfoirés sont, à présent, de gros salopards - n’ayons pas peur des gros mots - qui s’autocongratulent en réunion dans une démagogie purulente et inacceptable. Cette formidable farce en chansons télévisées promotionnelles s’est transformée, avec les années glorieuses, en un rendez-vous malsain, mondain, un lieu d’autocélébration entre artistes élus, un spectacle sans saveur et sans âme.

Tous les printemps, on nous ressort un hymne nouveau emprunté au répertoire français et repris avec une émotion dosée et marketée. La dernière en date étant une infâme version laborieuse de Rêver, de Mylène Farmer, qui pourrait assourdir des oreilles non initiées à l’exercice. Heureusement la belle et énigmatique Mylène a un nouvel amoureux en la personne de l’écrivain Marc Levy (ce qui la rend joyeuse et positive), elle touchera des droits d’auteur en plus et a bien d’autres chats à fouetter.

Le pire, c’est que personne ne s’en inquiète ni ne critique cet état de fait à part Jean-Louis Murat, qui ose titiller là où cela fait mal, mais, omerta oblige, le génie auvergnat est bien seul dans sa lutte. Car on ne tire pas sur cette usine à pognon, sur cette magnifique machine populaire qui arrange bien du monde. Les chanteurs ou artistes de cette secte du show-business, parrainés par les membres et heureux « donateurs de leur personne », profitent d’un temps d’antenne gratuit pour faire la promotion de leur dernier disque. Ils soignent leur image de vedette soucieuse du bonheur collectif et peuvent ainsi se glorifier de faire partie du gratin à la mode. Exeunt les ringards, les vieux, les inconnus ou les gens de mauvaises presse, pour « en être » il faut avoir le label « Enfoiré » et surtout ne pas trop la ramener, il faut être propre et lisse, cela va de soi. Peu importe le talent vocal ou scénique : Muriel Robin, Pierre Palmade, Josiane Baslasko, Karen Mulder et consorts viennent pousser la chansonnette sans aucun complexe, pour le bonheur de se faire voir et de participer à des moments super-sympa et drolatiques entre people.

On est bel et bien dans cette situation ubuesque aujourd’hui. Cette belle idée charitable a été récupérée par ces enfoirés calculateurs et malins pour qui « générosité » n’est pas un mot vain mais un syntagme précieux qui rime avec « plan de carrière » et « engagement qui rapporte ». Je rêve d’une soirée d’enfoirés cosmopolites présentée par Joey Starr et Michael Young, mise en musique par Bertrand de Noir Désir, Jean-Louis Murat et tous les autres intéressants de la scène musicale. C’est bon de rêver parfois.