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Cachez donc ces êtres qui ne sont aux yeux du sens commun que des « non personnes" ! par Nadia AGSOUS

Cachez donc ces êtres qui ne sont aux yeux du sens commun que des « non personnes" !

Ce texte tente de mettre en lumière une catégorie de population d’origine étrangère qui a pris l’initiative de s’installer en France « sans avoir été invitée par les maîtres des lieux », diront certains. Des hommes et des femmes, très souvent accompagnés d’enfants mineurs, désignés sous le vocable de « Sans papiers », c’est-à-dire des individus qui n’ont pas régularisé leur situation administrative au regard du séjour et donc inexistants d’un point de vue essentiellement juridique.

« Invisibles ». « Inexistant ( e)s » et pourtant présent ( e)s, tentant tant bien que mal de sortir de l’ombre afin d’exister à la lumière du grand jour.

Elaboré à partir d’observations et d’entretiens menés auprès d’un groupe d’hommes et de femmes d’origine algérienne "sans-papiers", séjournant à Paris, ce texte est une invitation à la découverte des « expériences, des points de vue, des définitions et des situations vécues » par ces êtres dépouillés de leur humanité, désespérés et qui malgré tout, continuent à affronter la vie dans ses facettes multiples. Alors, immergeons-nous, pas à pas, à l’intérieur de « ces mondes qui sont leurs mondes ».

L’un des aspects des nouveaux visages de la migration algérienne post 1988 concerne les dynamiques de mobilité migratoire lesquelles font apparaître l’émergence d’une nouvelle catégorie de migrant( e)s qui ont de plus en plus tendance à recourir à de nouveaux types de comportements migratoires.

En effet, ces mobilités qui ont la spécificité d’intervenir dans un contexte de politique migratoire française et européenne de plus en plus restrictive semblent échapper aux Etat puisqu’elles sont le fait d’individus qui prennent le risque de défier les lois relatives au séjour dans le but de réaliser leur « rêve migratoire ».

L’une des stratégies déployées par ces hommes et ces femmes concerne l’instrumentalisation du visa de tourisme qui se manifeste par le « détournement » de ce document de sa fonction première pour l’utiliser comme moyen d’entrée et d’installation sur le territoire français. Ce comportement met en évidence deux aspects.

Primo, il traduit la capacité chez ces candidat( e)s à la migration à inventer et à créer des manières d’exister en tant qu’acteurs et actrices de leur vie. Ils/elles apparaissent comme des individus capables d’utiliser leurs compétences géographiques, législatives et relationnelles dans le but d’échapper à la routine, à l’absence de perspectives et d’impulser ainsi une dynamique de changement à leur situation.

Secundo, il permet de mettre en évidence la présence en France de la catégorie de migrant( e)s algérien( ne)s qui après expiration du délai de séjour, ne retournent pas dans leur pays. Ils/elles décident alors de se maintenir sur le territoire français et ce, malgré l’absence d’autorisation de séjour devenant ainsi des migrant( e)s « sans papiers ».

Au regard de ces éléments, l’une des caractéristiques de la donne migratoire algérienne qui semble avoir pris de l’ampleur après 1988 notamment, concerne l’émergence de la figure du/de migrant( e) algérien( ne) illégal( e) qui en transgressant les lois au regard du séjour a tendance à inscrire son acte dans une perspective pérenne s’imposant ainsi en « invité( e)s permanent( es)s malgré la volonté des maîtres des lieux » et revendiquant le « droit à la résidence qui est une affaire d’Etat, un droit qui est du seul ressort des Etats et qui ne peut faire l’objet d’un accord qu’entre les Etats ».

Dépourvu( e)s d’une « identité officielle ». N’ayant pas d’existence légale au regard du séjour, cette catégorie de migrant( e)s dont l’existence relève de l’ordre du « périphérique », du « souterrain », de l’illégalité voire de « l’indésirabilité » et de l’imprévisibilité car incontrôlables, deviennent, selon la logique d’Etat, des migrant( e)s « subi( e)s et non pas « choisi( e)s.

Du point de vue de ces migrant(e)s, l’absence de titres de séjour est conçue comme un facteur infériorisant. C’est une situation vécue sur le mode du manque et du stigmate au point de prendre l’allure d’une obsession, très souvent, de nature paranoïaque !

« Je me sentais très mal et persécuté. J’avais l’impression que j’étais suivi dans le bus, dans le métro et dans tous mes déplacements. J’ai très peur d’être contrôlé par les policiers. Cette peur me poursuit jusque dans mon sommeil. Je n’existe pas aux yeux de la société française. J’ai le sentiment que personne ne me voit. Je ne suis rien. », confie Nadir.

Pour Samia, « ce sont les papiers de séjour qui te donnent un statut et qui t’aident à te faire une place dans le pays d’accueil ». Puis elle poursuit, « sans papiers, je me sens prisonnière. Je dépends toujours des autres. Je suis très dépendante de ma sœur qui est en situation régulière. C’est elle qui parle à ma place. Je me sens inférieure à elle alors que c’est moi qui suis l’aînée ».

La grande majorité des propos recueillis montrent que les papiers de séjour ont une forte influence sur l’identité personnelle de ces individus, c’est-à-dire la définition et la perception que ces migrant( e)s de « l’underground » ont de leur personne. Ainsi, être « sans-papiers », c’est se retrouver dans une situation de non-existence ». C’est avoir le sentiment d’être des « non-personnes » et d’avoir une image négative et dévalorisante de soi. En effet, vivre en France sans papiers de séjour, c’est avoir le sentiment de vivre en dehors de la société, dans une « zone d’ombre » et de « non droit », livrés à l’exploitation et à l’abus de pouvoir de la part notamment des employeurs qui ont tendance à « profiter » de cette situation et ne respectent pas la législation du travail (longues journée de travail et salaires très bas).

L’absence de titres de séjour induit une sorte de situation d’enclavement, d’insécurité, d’infériorité, d’exclusion et de marginalisation. Par conséquent, tout au long de leur séjour « illégal », ces individus ont tendance à vivre sous une identité dévalorisée, situation qui, d’une part, renforce la conviction de n’avoir aucune utilité sociale et d’être mal considérés par les autres. Et d’autre part, « conduit – les- sujets à ne retirer de leurs interactions avec autrui qu’une image négative – d’eux-mêmes – ou du moins non valorisante ».

D’une manière générale, ces migrant( e)s ont tendance à attribuer au titre de séjour une fonction essentiellement positive, structurante, libératrice voire réparatrice. En effet, dans la majorité des discours, ce document administratif représente le symbole de la sécurité, de la stabilité, de la liberté notamment de circulation aussi bien nationale que transnationale. C’est le moyen par lequel ces individus comptent valoriser leur statut social, acquérir une reconnaissance et une visibilité sociales afin d’affirmer leur existence dans le pays de résidence :

« Les papiers régleront tous mes problèmes - explique Sélim - C’est la vie. C’est une autre liberté. C’est une porte qui s’ouvre car tu peux exister au grand jour ». « Tu peux surtout travailler –renchérit Nadia – car tu as tous les droits. Si tu es exploitée, tu peux te défendre ».

Dans ce contexte, il semble important de noter qu’avoir des papiers de séjour s’explique essentiellement comme « un besoin d’individuation, c’est – à dire être reconnu dans son identité propre » et comme un besoin « d’inclusion » dans le pays de résidence.

Le retour au pays ? Perspective ô combien douloureuse !

Malgré la panoplie des dispositifs et des mesures destinées à inciter voire à obliger les migrant( e)s sans papiers à quitter le territoire français (invitation à quitter le territoire, Arrêté de reconduite à la frontière…), ces derniers, du moins pour une bonne majorité , semblent demeurer sourds aux décisions voire aux injonctions des pouvoirs publics français.

En effet, l’idée de retour au pays en cas d’obligation institutionnelle, c’est-à-dire d’expulsion semble être vécue négativement notamment par les hommes. Conçu comme la conséquence de la non concrétisation du « rêve » migratoire, l’acte de retour semble être perçu comme un retour en arrière et associé à un échec, à la honte voire au déshonneur.

« Si je n’arrive pas à régulariser ma situation administrative – explique nadir – je resterai quand même en France. Si les policiers m’expulsent, je refuserai de monter dans l’avion. Je préfère me suicider plutôt que retourner là bas sans rien. Comment faire face aux regards des gens ? »

« Comment veux-tu que je justifie toutes ces années d’absence, commente Bachir. Puis il poursuit « retourner, c’est une preuve flagrante de mon incapacité à me faire une place dans ce pays ».

Pour Sélim, le retour au pays, « c’est la honte. C’est l’échec de ma vie. Tu y vas pour faire quoi ? Pour vivre comment ? Dans quelles conditions ? Il y a les parents, les copains de quartier et tous ceux à qui j’ai dit pendant des années que j’avais échappé à la routine et à l’absence de perspectives. Si j’avais beaucoup d’argent et si je possédais une voiture, l’idée du retour serait moins douloureuse. Lorsqu’on arrive les bras chargés et les poches pleines, on ne dira pas que j’ai échoué mais que mon passage en France aura servi à m’enrichir ».

D’une manière générale, les propos de ces migrants mettent en évidence une idée particulièrement importante dans le sens où ils montrent des individus fortement préoccupés par les jugements des autres, en l’occurrence des parents et de l’environnement social du pays d’origine.

Ainsi, ces migrants apparaissent comme des individus accordant une grande importance à l’image de soi dans le regard de l’autre et ainsi à « l’identification de soi par autrui », attitude qui met en évidence la peur de « perdre la face » et le désir de renvoyer une image positive et valorisante de soi associée à la réussite et à l’accomplissement de soi ».

Cette attitude se manifeste également lorsque des migrants téléphonent à leurs parents vivant au pays. En effet, pour être jugés positivement et donner l’impression que leur expérience migratoire se déroule dans de bonnes conditions, ces hommes vont jouer un « rôle de façade » et recourir à des « mensonges stratégiques » qui montrent que dans « leurs performances sociales, ils essaient de ne pas dévier de ce qui est attendu d’eux ».

« Lorsque je téléphonais à ma mère – raconte - Yacine, je me sentais obligé de mentir sur ma situation. Je lui disais que tout allait bien pour moi alors qu’en réalité je ne savais même pas où j’allais dormir le soir. Je voulais qu’elle ait une image positive de son fils »

Une stratégie similaire semble être adoptée par Djamel lorsqu’il affirme

« mes parents me disent tout le temps qu’ils sont contents de me savoir à l’étranger. Ils me parlent de l’insécurité et de la nécessité de gagner de l’argent pour que je puisse me marier et fonder un foyer. Ils me parlent également de mes copains qui traînent dans le quartier à « tenir les murs », qui galèrent, qui attendent désespérément un visa et qui demandent sans cesse de mes nouvelles. Et moi, pour les rassurer et les protéger, je leur mentais en leur disant que tout allait bien pour moi ».

Ce refus de perdre la face et de donner un sens légitime à l’acte de retour se manifeste également par la tendance à donner une importance considérable au capital économique (biens matériels, ressources monétaires …) et à le considérer comme le moyen le plus évident pour obtenir une promotion sociale et donc symbolique, « exhiber » leur « réussite » et satisfaire ainsi leurs attentes de reconnaissance familiale et sociale. A la lumière de cette vision des choses, ces migrants ont tendance à attribuer à la migration une fonction essentiellement économique et utilitaire et à concevoir la France comme un territoire d’ancrage « provisoire » qui permet la constitution d’un capital monétaire et l’acquisition de biens matériels dont le rôle symbolique vise à reconquérir leur dignité « perdue » lors de leur périple migratoire et à légitimer ainsi leur retour dans le pays qu’il ont quitté pour une vie meilleure. Pour ce groupe d’hommes, ce temps « d’installation » si temporaire soit elle, sert essentiellement à travailler afin de réaliser la capitalisation nécessaire à l’ouverture d’un commerce ou d’une entreprise au pays.

Dans ce contexte, le caractère saisonnier de cette migration peut de ce fait être assimilée au mouvement migratoire du « premier âge » de l’émigration algérienne qui était « provisoire » et « limité dans le temps » et dont les motivations étaient purement économiques puisque les candidats au départ avaient pour fonction de permettre à l’ordre paysan de se perpétuer. Cependant, contrairement à ces pionniers, le mouvement de déplacement vers la France de ces « nouveaux » migrants, s’inscrivent dans le cadre d’un acte individuel, volontaire et décidé par la personne elle-même et pour elle-même.

D’une manière générale, il semble important de souligner que la difficulté d’accéder au statut de résident et de trouver un espace d’immigration en France est un facteur qui incite une catégorie de migrants, en l’occurrence des hommes à recourir à la stratégie d’instrumentalisation des territoires migratoires. Ce comportement se manifeste par cette attitude qui consiste à prolonger les mobilités migratoires au-delà des frontières nationales françaises. Ces mobilités transnationales à travers l’espace européen montrent que le territoire français est utilisé comme un lieu de passage vers d’autres pays, en l’occurrence l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, l’Espagne, l’Angleterre, les Pays bas…

Ce phénomène fait apparaître l’émergence d’une migration de transit en France. De ce fait, ce pays cesse pour un groupe de migrants, d’être le pays d’installation privilégiée. Il devient ainsi un point d’ancrage provisoire ou encore de lieu relais qui permet le passage vers d’autres pays. D’autres ouvertures. D’autres possibilités

le 16/09/2008
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3 Messages

  • 16 septembre 2008 16:08, par Toto le moraliste, alias Voltaire dans une autre vie

    Fort bien chère Madame,
    Mais alors, nonobstant vos propos pour le moins mesuré, et je m’en félicite, il n’en demeure pas moins que vous semblez tenter de faire l’apologie de ce type de comportement, voire de le justifier sous prétexte, entre autre, que le retour au pays c’est la honte ! Mais on s’en fou, nous, que ce soit la honte !
    Les étrangers sont les bienvenus à condition qu’ils respectent les règles, et la première est d’avoir un visa en règle ... Sinon c’est l’anarchie ... Alors qu’ils ne fassent que passer, c’est encore à prouver, mais qu’ils restent alors qu’ils n’ont rien à faire d’autre qu’à pervertir la société, comme vous le dîtes très bien, en favorisant, par exemple, le travail au noir, cela n’est pas acceptable ...
    C’est en tentant de justifier cela, chère Madame, que vous faîtes le lit du Front National car le ras le bol de certains se traduit par un vote à l’extrême droite de l’échiquier politique de notre pays ...
    Et faîtes la comparaison inverse : si vous voyez des hordes de français, belges, italiens, débarquer en Algérie sans papier, sans visa donc, et venir s’installer tranquillement et modifier la structure même de la société civile algérienne, vous diriez quoi ? Hein ?
    • à quoi cela sert-il de faire des lois alors ? 17 septembre 2008 10:19

      Cher Voltaire, alias Toto le Moraliste dans une autre vie
      Ce texte n’est rien d’autre qu’une tentative d’analyse sociologique. Il est le fruit d’un travail mené dans le cadre d’une recherche. Un texte dans le cadre d’un processus qui suit son cours. Il ne cherche en aucun cas à légitimer ou à justifier encore moins à faire l’apologie d’un quelconque comportement. Ce texte tente modestement d’apporter un éclairage sur les comportements, les opinions, les représentations d’un groupe d’êtres humains qui vit en France et qui est très souvent inconnu, ignoré voire méprisé. Et en tant qu’être humain qui porte des valeurs humanistes au cœur de son Cœur, il m’est très difficile d’accepter le mépris et tout ce qui a tendance à dévaloriser la personne humaine.
      Quant à la question de savoir quelle serait l’attitude des Algériens et des autorités algériennes si…, et bien sachez, cher Monsieur, que j’avoue que je suis dans l’incapacité de répondre à votre question qui n’est en aucun cas l’objet de ce papier. La raison étant que je ne vis pas en Algérie.
      Cher Toto le Moraliste, « l’Histoire » regorge d’exemples mettant en lumière les attitudes expansionnistes et de domination territoriale, économique, politique, culturelle d’êtres humains jugés "inférieurs" et "non civilisés. Une domination qui fabrique des dominés et au détriment de ces derniers. Il suffit de le reconnaître et de s’en souvenir afin d’éviter de le reproduire.
      Bien à vous
      Nadia Ag
  • 17 septembre 2008 20:27, par J CEMELI

    "Dokument "qu’y disaient .. de 39 à 45.....avec la bénédiction de nos Préfectures ...

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