A poil les naturismes !
Bernard Andrieu universitaire dans cet essai « Nudités Philosophie des naturismes », sans chemise et sans pantalon nous invite à un voyage factuel et bien réel contemporain, à travers le prisme des corporalités mises à nu. Les réseaux sociaux, chantre de la censure à la Molière ne sont pas épargnés, pas moins d’ailleurs que le consumérisme pornographique, la domination masculine, l’éclatement des genres et les tabous des corps en nudité affirmée. Intégrité et respect mutuel, l’éthique naturiste à laquelle il nous convie pourrait s’apparenter à une forme d’écologie corporelle. C’est vous qui voyez ! C’est vous qui lisez !
Mes humeurs vis-à-vis de ce livre
A poil, cet essai brûlant me défrise la pilosité développée. Car l’auteur exprime à travers le prisme de la philosophie des naturismes, tout ce qui concerne nos peaux nues dans toutes les acceptations et les tabous qui s’en suivent. Comme pour la chanson, moi, franchement j’men balance, car en tant que bestiole un peu folle n’ayant jamais été recouverte d’oripeaux, c’est un peu jouer du pipeau. Vous pouvez vous imaginez le tableau.
Poussée aux entournures par le Bartos mon mentor, mon menteur devrais-je dire. Il n’empêche, là où il y a de la geine aux entournures, il n’y a pas de plaisir, je me suis jetée à le lire. Et grand bien m’en fis-je.
Bernard Andrieu : auteur multipistes sans fard
Tout d’abord quelques mots sur son auteur : Bernard Andrieu. Outre le fait que c’est une sommité intellectuelle, à la fois philosophe et professeur en STAPS à l’université de Paname, cet homme à l’âme bien trempée anime une équipe de recherches à l’Institut des Sciences et du Sport-Santé. C’est un parigot bien de chez vous du marigot et migrant du Sud-Ouest. Et comme si ça ne lui suffisait pas, il est l’un des célèbres commissaires de l’exposition « Naturismes » au MUCEM de Marseille, qui ouvrira ses portes cet été 2024 pour plusieurs mois. C’est encore un globetrotter universitaire qui transporte ses connaissances en vadrouille dans sa valise sur tous les horizons internationaux.
Nudité, vous avez dit nudités
« La nudité nous montre tels que nous sommes sans intermédiaire. Elle nous mettrait tous et toutes à égalité alors qu’elle indique toutes les différences morphologiques, mais aussi culturelles ». (32) Pour vous en convaincre rien de tel que de vous installer sur une plage naturiste et observer discrètement et avec respect l’aéropage de corps nus qui étalent leurs pétales. C’est un condensé (pour rester polie) qui remet en question les canons du zèle de la beauté universelle.
Sans vouloir y mettre mon grain de sel et aussi bizarre que cela puisse vous paraitre : être nu, c’est devenu pas très naturel. Même si on nait nu, bien vite la layette nous recouvre de ses infectes tissus. Je parle en connaissance de votre cause. Nous les animaux, nous ne jouons pas le jeu, sauf chez Walt Disney. Nos peaux, nos fourrures nous suffisent largement pour affronter les saisons sans pour autant se cailler. « Etre nu est la condition première de l’être. (..) Car nul ne peut se débarrasser de sa nudité comme d’un habit ». (17) Bien dit !
Et se mettre à nu avec son corps et son esprit, ça consiste en quoi de précis ?
Libération du carcan des corps en naturisme accompli et épanoui.
Sur l’air de : « ce soir nous irons danser sans chemise et sans pantalon »…
« Le naturisme abolit la honte en banalisant toutes les formes corporelles. Sans jugement apparent, la présence corporelle compterait seulement pour elle-même. Car la nudité révèle pourtant bien la pesanteur du corps, l’occupation dans l’espace et les difficultés de déplacement. L’habillement, en plus de cacher cette nudité qui serait honteuse, organise la performance motrice. Comprimée et retenue dans le vêtement, la nudité devient réservée ». (47)
Pour caricaturer à peine, un peu dans le style papier glacé d’une BB. Celle-là même qui a su tenir l’affiche dépouillée à la Madrague, du temps de « Dieu créa la femme », avant d’avancer en âge et s’enticher de la cause animale dans les rangs du parti de la haine et ses ramifications.
Bien avant elle, dans la nudité adamique, (à supposer qu’il existe ou qu’il est existé), c’est le créateur qui prend conscience de la nudité de ses premiers sujets, comme le stipule l’Ancien Testament.
« 7 « Les yeux de l’un et l’autre s’ouvrirent , ils connurent qu’ils étaient nus, et ayant cousu des feuilles de figuier, ils s’en firent des ceintures ». (…) 11 Et l’éternel Dieu dit : Qui t’a appris que tu étais nu ? » (16)
A la suite de cette révélation d’ordre maléfique chez Adam et Eve, Saint-Augustin promulgua le péché originel. Les dés étaient joués et les corps nus furent désormais désincarnés et le jardin d’Eden remisé aux objets trouvés.
Mais bien en deçà des considérations morales…
Il était une fois le naturisme en France
Pas vraiment un conte de féé, grosso merdo, quelle serait la date de naissance approximative de la naissance du naturisme ?
« Le naturisme, autrefois gymnosophie, est né avec le géographe Elisée Reclus qui y voyait en 1866 à la fois un moyen de revitalisation physique, un rapport au corps complétement différent de l’hypocrisie et des tabous qui sévissaient alors, une conception plus conviviale de la vie en société et incitation à respecter la planète ». (21) Il serait un ancêtre en quelque sorte de l’écologie politique, de la part de ce militant libertaire et grand voyageur !
Dans son prolongement, les naturiens anarchistes contrairement à un certain courant naturistes intégristes, engagent leurs corps par un retour économique à la terre et un savant cocktail entre végétalisme et anarchisme en action, cultivant leur lopin dans un état naturel en colonies.
On pourrait dire que les enfants des naturiens, actuellement, d’une certaine façon seraient les militantes et militants du tout jeune Mouvement naturiste qui s’appuient sur le concept d’écologie politique et sont adeptes d’un naturisme social ainsi que des randonues et cyclonues. La première est de plus en plus tolérée en pleine nature du moment qu’elle respecte la socialisation du respect mutuel, en se rhabillant au passage des textiles ( ceux qui se vêtent). Par contre, « La cyclonue dans le milieu urbain est sanctionnée d’exhibition sexuelle ! » (23) Du moins en France et très rarement dans les autres pays européens. Bernard Andrieu précise : « Une telle manifestation qui se veut festive et pacifique a déjà été organisée en … » : il cite au moins 34 pays où elle s’est déroulée sans encombre !
C’est seulement après-guerre, en 1950 qu’Albert Lecocq fonda la Fédération française de naturisme, d’essence familiale à la papa et dans le prolongement le CHM de Montalivet, la Mecque du naturisme qui nait des cendres de la forêt carbonisée des décombres de la guerre. Depuis et actuellement, son projet humaniste pour démocratiser le naturisme à toutes les classes sociales a pris du plomb dans l’aile. En stoppant subitement, l’été 2023 la publication de la revue naturiste La Vie au Soleil, la plus ancienne publication en France depuis au moins 70 ans, le CHM a montré l’envers du décor et son vrai visage. En tombant depuis plusieurs années déjà dans l’escarcelle du commercial carnaval, pour laquelle la revue papier, en terme capitalistique n’était sans doute plus assez rentable. Avec en retour, une grande claque assénée à sa rédactrice, une femme formidable ouverte d’esprit et sans œillères qui fut piétinée au pied levé.
« Le nudisme commercial et à plus grande échelle est né et se poursuit aujourd’hui par la mise en vente de mobil-homes à la place de vieilles caravanes historiques des naturistes, comme aujourd’hui au CHM de Montalivet ». (101)
Au siècle passé, ça bougeait aussi aux entournures en Germanie et en Suisse
Le naturisme de l’autre côté du Rhin et au pays du chocolat et des lingots
En Allemagne, « La Lebensreform (la réforme de la vie) invente ces paradis perdus par des communauté autarciques et anarchiques, pour retrouver une vie plus écologique, locale et durable. La fédération allemande de naturisme fondée en 1918 (FKK FreikörperKultur (la culture du corps libre) est la plus ancienne du monde ». (102). La presque équivalente avant l’heure de la franchouillarde FFN (fédération française de naturisme), en retard de presque demi-siècle sur son homologue germain.
« Ces espaces dédiés à la pratique de la nudité collective se développent beaucoup, la plupart du temps de manière associative. Dans les centres où les naturistes dorment dans de simples tentes ou huttes, les règles à respecter sont : un choix d’aliments naturels, de nombreux exercices physiques (le sport occupe une place prépondérante), un refus du tabac et de l’alcool, ainsi qu’une grande pudeur dans les zones de vie commune, afin de combattre l’amalgame entre nudité et sexualité, qui doit rester du domaine privé ». (83)
La Suisse ne fut pas en reste à Monte Verità sur le territoire d’Ascona, la haut sur la colline qui domine le lac Majeur. En 1900 quelques artistes, créateurs, militants et intellectuels s’installèrent pour créer un univers entre ciel et terre en harmonie avec la nature mère. Des anarchistes, théosophes, spiritualistes, francs-maçons, philosophes, végétariens, hygiénistes, danseurs nus entrèrent en régénération à la marge de la société. « Bakounine, Kropotkine, Hesse, Klee, et Isadora Duncan pendant un demi-siècle, grandes figures de l’intelligentsia européenne s’y rencontrent autour de l’idée de « réformer la vie ». Le psychanalyste Otto Gross, (pionnier de la révolution sexuelle), le « poète aux pieds nus » Gusto Gräser (qui inspira les vagabonds d’Hermann Hesse), le chorégraphe Rudolf von Laban (rénovateur de la danse moderne) et l’écrivain Erich Müsham (figure de proue de la révolution allemande de 1918) y participent ». (79) Excusez du peu et donnez-moi un kilo de bananes !
Le naturisme n’est pas inné. Pour exister il s’est toujours colleté aux carcans de la morale des institutions.
Répression et censure de la nudité en extérieur
La répression fait rage, à tel point que deux militants du Mouvement naturiste, « le mouvement pour que vivent la nature et notre humaNUté », qui déroulaient une banderole à la Défense ont été arrêtés le 9 juin 1922. Ils doivent répondre de leurs actes pacifiques devant la loi.
Dans le prolongement des énormités des lois, oyez oyez, qu’on se le dise sans chemise et sans pantalon, « l’article 222-32 du Code pénal assimile la nudité publique à l’exhibition sexuelle, il précise en 1er alinéa, que « L’exhibition sexuelle est un acte ou un comportement de nature sexuelle (coït, fellation, masturbation et tout autre jeu sexuel) ou tout autre attitude agressive de nature sexuelle, volontairement provocatrice à l’égard d’un tiers » (46). A tel point, Bernard Andrieu poursuit « que l’exhibition de la poitrine d’une femme relève du délit d’expiation sexuelle » !
En résumé, si tu veux être naturiste, tu vis caché dans des lieux publics et privés dédiés à cette activité. Où la sexualité s’opère dans la sphère intime Où j’apprends encore que le naturisme a été reconnu d’utilité publique en 1936 par Léo Lagrange.
Avec son corolaire et son contraire, la nudophobie ou la peur de se mettre nu par tabou fait -il suite au dévoilement progressif des corps ? A travers les axes de la semi-nudité du monokini au string qui tirent toutes les ficelles foutraques et tellement hypocrites pour attiser le regard ?
Et pendant qu’on erre dans les sphères des phobies du corps. C’est très à la mode de chez nous. N’oublions pas les revendications contre la grossophobie. Ce que complète Bernard Andrieu avec « toutes les formes sexuées, sexuelles, de genre et de handicap que nous soyons cisgenres ou transgenres, maigres ou gros, jeunes ou vieux… » (105)
En attendant, Molière toujours à l’écran de son « couvrez ce sein que je ne saurais voir ». Puisque les tétons des femmes sont toujours bannis des réseaux sociaux que bafouent copieusement, seins nus en avant les Femen nées à Kiev en 2008 pour la promotion des droits des femmes et contre la prostitution, le tourisme sexuel et les agences matrimoniales internationales.
Chaque été on ne peut échapper au marronnier du Cap d’Agde, qui farcit les médias en manque d’écoute tactile !
Le Cap Drague en échanges friands des corps et ébats en public !
Ce qui fait dire à Bernard Andrieu : « En se dénudant, les libertins seraient sans entraves, même si les relations échangistes et libertaires suivent des règles de l nudité avec ou sans consentement. La nudité se partage en public dans des scènes de domination largement masculines, où des femmes, pour autant qu’elles aient été consentantes, sont obligées de céder ». (103)
De même si « la baie des cochons » (qui elle se démarque d’un débarquement à Cuba, sans mauvais jeu de mot), majoritairement au masculin abonde dans son sens de la chair féminine offerte à dépecer et enchainer.
Autre sujet crucial et intime que se posent très souvent les hommes qui veulent tenter le naturisme dans leur propre chair intime.
« Quand je pense à Fernande je bande »
Merci en passant à monsieur Georges Brassens pour cet interlude explicite. Et pour recontextualiser notre propos, quel homme en présence de Fernande ou n’importe quelle autre femme nue dans un domaine collectif ne pourrait-il ne pas craindre que sa virilité se dresse au garde à vous ?
Kienné de Mongeot, qui sans pudeur contrairement à maintes autres penseurs naturistes, a pris un malin plaisir de parler de tous les sujets qui pouvaient passer comme tabou, même chez les naturistes propres sur eux à la papa.
Il reconnait en 1949 que « l’érection n’est pas condamnable si elle est involontaire ». Ce que Bernard Andrieu traduit par : « La véritable pudeur consiste à ne pas imposer aux autres ce qui peut leur déplaire ou leur nuire. La suppression de la puissance imaginative érotique due en partie, aux vêtements, devrait permettre la maitrise sexuelle. Le nudisme intégral devrait libérer de l’imagination des textiles pour autant que la libération par la nudité ne soit pas synonyme de licence ». (114)
A méditer à tête et les sens reposés !
Couverture frileuse
L’auteur n’est pas très racoleur. Au lieu de la photo de l’homme tronc âgé en couverture, il aurait pu miser sur une jolie petite pépée à poil et bronzée partout pour attirer vos penchants libidineux en jachère de vos rinces l’œil, peu cher ! Nada, c’est un visuel en noir et blanc d’Hervé Szydiowski (un nom prédestiné au scrabble avec lettres comptent triple), artiste plasticien et photographe de renom des nus au naturel qui a souvent œuvré au CHM de Monta, la Mecque du naturisme !
Pour vous en convaincre :https://www.herve-szydlowski.com/video/
Corps du livre
C’est un livre plutôt étoffé de 126 pages riches en perception des corps nus dans tous les domaines, des sciences humaines, de la culture et des morphologies. D’un format poche à un prix vraiment abordable, vous en aurez pour votre argent, les synapses en vadrouille, tellement vous allez en apprendre sur vous et la société actuelle et passée. Outre l’intro et le conclusion, il se compose de 8 parties, avec une bibliographie florissante et complète sur le sujet des nudités. Un petit bémol cependant, étant donné le nombre conséquent des personnes citées entre les pages, j’aurai apprécié un index des noms et ouvrages ainsi que œuvres s’y rapportant.
Au sommaire : « Le tabou / La forme / A moitié nu / Le droit à la nudité / Montrer et cacher / Nus au soleil / Sans maillot / La politique de la nudité ».
En conclusion…
La nudité sociale déjà croisée chez les naturiens remet en question le capitalisme vert qui récupère tous les mouvements à son profit en les imitant ou en les labélisant. Le naturisme n’échappe pas à la règle. « Ce jeu entre l’inventivité anarchiste et écologique, et la récupération capitaliste a toujours eu lieu, comme le rachat du fondateur végétarien de la Vie Claire, ou l’introduction des fonds de pension dans les structures d’hébergement du naturisme comme le CHM Montalivet, Euronat ou le Cap d’Agde ». (120 / 121)
Mais alors tout est perdu ? Non loin s’en faut !
Optimiste fondamentalement optimiste malgré tout, renforcé par toutes ses réflexions qu’il nous offre, Bernard Andrieu pense que la lutte continue plus que jamais et demeure d’actualité dans tous les domaines de notre existence « Reste le combat mené pour préserver, comme avec le livre, les savoirs et les pratiques naturistes, végétariennes, écologiques et pacifiques qui développent des méthodes durables, des éducations physiques et des relations d’intégrité avec les autres corps et espèce ». (121)
Franchement c’est un livre très riche à mettre entre toutes les mains qu’elles soient textiles ou naturistes à égalité et surtout sans frontières. Je le conseille, histoire de disposer de son corps dans le respect d’autrui et de son univers, avec esprit et sans tabou, pour s’épanouir en liberté absolue dans notre propre nature à nu.
A suivre prochainement sur l’écran de votre Mague préféré : l’interview de Bernard Andrieu à propos de son essai et de l’exposition les naturismes au Mucem cet été à Marseille
Bernard Andrieu : Nudités Philosophie des naturismes, ed Epures PUR, octobre 2023, 125 pages, 9,90 euros