Lettre ouverte à Nicolas Bedos - Anne Viellet Sebagh

Lettre ouverte à Nicolas Bedos - Anne Viellet Sebagh

Nous relayons ici la belle lettre ouverte à Nicolas Bedos d’Anne Viellet Sebagh. Une parole qui a du sens et qui mérite d’être lue aussi....

Cher #nicolasbedos

Tu as de belles et grandes envolées, ta rébellion à deux balles est touchante, mais tes indignations de petit bourgeois semblent tout droit sorties d’un cerveau pour lequel, l’univers se limite au périmètre de son petit nombril ou de celui de ses petits copains et au mieux de son arrondissement.

Parce que c’est bien joli de se poser en pourfendeur d’injustices , gardien des libertés de vivre, quand on n’est pas en situation immédiate de la perdre - la vie -
Et encore moins du côté des premier(e)s de corvées qui vont s’échiner à essayer de sauver celle des autres.

Tout cela n’est que postures et gesticulations.
Je ne souhaite ni à toi ni aux tiens de faire un infarctus / un AVC/une rupture d’anévrisme ou de te fracasser la tronche ou des membres, en voiture ou 2 roues, dans les mois à venir

Je vais t’expliquer pourquoi .
Cette nuit nous échangions avec un ami médecin, chef de service dans un.CHU , inquiets que nous sommes, de la marée qui monte inexorablement dans nos hopitaux (on a à nouveau perdu le contrôle à trop vouloir ménager la chèvre et le choux)
Il m’a écrit cette phrase :
" On se prépare à de sales moments viraux. A priori on est débordé et atomisé dans 7 jours "
Tu sais ce que ça veut dire ?

Ça veut dire que, quand éventuellement, toi et tes petits copains de ripaille (ou vos proches) vous aurez besoin du SMUR, les équipes seront tellement débordées, qu’ il sera difficile d intervenir dans un temps acceptable.

Et si tu as la chance d’être pris en charge ça va être difficile de te trouver une place en réanimation ou soins intensifs (voire impossible à moins de choisir de commencer à faire un tri en fonction de l’âge ou des antécédents - et oui !)

Alors fermer les bars et les restaurants, complètement ou plus tôt , outre le fait de diminuer les zones et temps d’exposition au virus, c’est aussi limiter les déplacements et comportements à risques : tu veux que je te décrives les dommages co-latéraux liés aux soirées bien arrosées ? Les gens qu’ on va désincarcérer de leurs bagnoles ou
ramasser sous leurs 2 roues ?

Ou encore suturer après une bagarre qui aura mal tourné ?
Et j’en passe ...

Parce qu’ en temps normal, on est déjà pas assez nombreux pour gérer tout ça, alors ajoutes-y des milliers de patients supplémentaires atteints du Covid et nécessitant une prise en charge intensive ...
Je lis ici où là, des "yakafôkon" écrivant qu’il faut ouvrir plus d’hôpitaux/ de lits etc ...
Mais tu les fais tourner avec quels personnels, toi, ces services/lits supplémentaires ?
Alors qu’ il y a déjà pénurie de médecins et de soignants depuis des décennies et que tu as déjà là, tout les éléments d’une catastrophe amorcée.
Avec ou sans moyens, on va pas créer d’un coup de baguette magique, des personnels formés ...qui n’existent pas encore .

Et puis le truc c’est que des volontaires pour faire le taf, il va y en avoir de moins en moins, parce que quand on lit des conneries pareilles, des milliers d’entre nous ont juste envie de vous balancer nos blouses en pleine tronche et... de vous laisser vous démmerder tous seuls quand vous aurez besoin de nous .

Alors l’idée de devoir m’échiner au boulot ou d’y laisser la peau pour tes considérations bien futiles (même si tout ceci m’emmerde tout autant que toi) ...
Non, merci .
Sans moi .

Anne Viellet Sebagh - IDE