Aux vagabonds l’immensité, Pierre Hanot (la manufacture de livres)

Aux vagabonds l'immensité, Pierre Hanot (la manufacture de livres)

Nous avons lu le dernier livre de Pierre Hanot "Aux vagabonds l’immensité" publié à la manufacture de livres.

Le Pitch : Le 23 juillet 1961 est une nuit de représailles, une nuit où les chiens sont lâchés. On lui donnera plus tard le nom de « Nuit des paras ». Pendant quelques heures, Metz sera à feu et à sang, barbare. Parce que depuis des mois le FLN s’y organise. Parce que les paras s’ennuient et ont besoin d’action. Parce que la guerre d’Algérie résonne ici et que français et arabes s’observent avec méfiance dans un climat de tension raciale constante. Et cette nuit là se joue le destin des anonymes sur lesquels Pierre Hanot a décidé de se pencher.Il y a des espoirs et des déveines, des potes de chambrée, des conversations à l’usine, des soirées au dancing...Des petits riens qui font ces vies de 1961, bouleversées cette nuit-là par les coups de l’Histoire.

Notre avis : Christiane, Idir, Jean-Marie, Noureddine, Marcel, Hocine et les autres, sont les héros anonymes, véritables ou fantasmés de ce livre de Pierre Hanot au titre d’une poésie et d’une tristesse absolues et inouïes. "Aux vagabonds l’immensité", c’est juste sublime, cela marque et enchante comme un vers de Mallarmé Baudelaire ou Verlaine, lui aussi natif de Metz. Ces anti-héros devenus sans le chercher admirables et héroïques ce sont au départ des gens ordinaires qui passent à l’extraordinaire lors des guerres, des conflits, des combats et des batailles même si l’Histoire les oublie rapidement.
Parfois, pour devenir extraordinaire, c’est très simple il suffit de souffrir, d’être stigmatisés ou de mourir des dommages collatéraux de politiques qui nous échappent. Toutes les victimes dans leur tête ou dans leur chair sont des héros.

Dans ce bel ouvrage à l’Edition particulièrement soignée, imprimé sur un beau papier et magnifiquement mise en page, les petits sont grands et sont les personnages principaux du drame. Pas de name droping, ces héros-là n’ont pas besoin d’avoir des patronymes pour être des personnages à part entière. Et comme l’histoire officielle les a oubliés, Pierre Hanot prend la Littérature à témoin et nous amène dans un voyage didactique et romanesque à remonter le temps, plaisant et fluide à la recherche d’une Vérité humaine dans ses formes les plus subtiles, car, selon lui, parfois l’Histoire bégaye. C’est le livre généreux d’un auteur qui a le coeur à gauche mais pas que, toute sa vie étant tournée dans cette direction.

Comme dans tous ses livres, c’est un stylisticien qui écrit, on lit du Hanot pour bien autre chose que pour le récit, car son grand talent c’est d’être un dialoguiste hors pair et surtout un orfèvre en matière de plantation d’un décor, d’une époque et d’une ambiance entre les protagonistes. Et là en trois lignes on y est à Metz dans les années 60. On suit les amours de Christiane et Idir, la petite française qui devient sans à priori la princesse de cet immigré kabyle qu’on prend pour un arabe et qui comme d’autres dans son cas soufrent d’un racisme bien national qui n’honore pas notre pays des libertés.

Les vies se croisent avant et après cette fameuse nuit du 23 juillet 1961 qui mettra la cité messine à feu et à sang. Une violence entre les hommes comme l’histoire en a écrite de funestes.
Pour celui que je suis et qui a grandi et fait ses études à Metz, il y a un double plaisir de lecteur à retrouver des rues, des lieux, des noms de mon passé. C’est même troublant de croiser la maitresse femme fondatrice du Journal local Le Républicain Lorrain revivre ses plus belles années, celles de son grand pouvoir éditorial et politique. Ces années qui ont fait de cette femme conservatrice mais visionnaire qui fut une légende locale en développant avec succès le Journal de son père.

On n’a pas du tout envie de déflorer toutes ces interactions remarquablement pensées et écrites entre tous ces hommes et femmes attachants et uniques, ces gens qui ont des vies méritantes et respectables. Mais le drame gronde, les Para sont dans la ville, le FLN s’est organisé depuis des jours… Hanot est là pour observer ce feux d’artifice noir et rouge, il témoigne sans faux semblants et sans voyeurisme, il fait le taf.

Pierre Hanot arrive à nous emmener dans son monde, à nous transmettre sa passion de l’Histoire et des gens. Il fait revivre un moment sous haute tension qui tient toutes ses promesses au niveau littéraire, de l’intrigue et de la complexité humaine.

Amitié, amour, vie sociale intime et publique sont les matières textuelles d’un ouvrage incroyablement dense et pertinent qui nous parle de l’Humanité avec une acuité et une vérité rarement égalées.

Hanot continue son travail singulier qui, mine de rien, ressemble de plus en plus à une oeuvre cohérente et percutante qui monte en puissance à chaque opus. Il est l’hagiographe incroyablement doué des laisser-pour-compte, des différents, des prolos, des étranges et des stigmatisés, il est un Zola Rock and roll à la faconde poétique prolixe, gouailleuse et militante qui fait mouche, il a vraiment sa place dans les meilleures et les plus exigeantes bibliothèques.

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