Le roseau penchant, Nadalette La Fonta-Six. (Fauves Editions)

Le roseau penchant, Nadalette La Fonta-Six. (Fauves Editions)

"Les vents me sont moins qu’à vous redoutables. Je plie, et ne romps pas. » Le roseau au chêne in « Le chêne et le roseau », La Fontaine .
« L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant » Blaise Pascal

Je n’ai pas lu, j’ai dévoré ce livre de Nadalette La Fonta-Six car l’écriture y est d’une fluidité rare et que le traitement du sujet m’a véritablement enthousiasmé. Pourtant ce n’était pas gagné, je suis, terriblement, hypocondriaque et les récits « médicaux » me font, d’ordinaire, horreur. Oui mais là Nadalette casse les codes, réinvente tout, nous offre une anti-héroïne qu’on ne peut que respecter, admirer qu’on ne peut que suivre sans rechigner et qui reste digne même lorsque ses sphincters lâchent, ce qui est, avouons-le, une prouesse remarquable.

Il faut dire qu’on est, sans doute ici, au summum de l’anti-livre de la victime, de la malade, de l’handicapée. Pas de pathos, pas de culpabilisation mais une violence et une colère qui ont du sens. Cet ouvrage a valeur d’exemple(s), il donne envie de reprendre sa vie en mains quelques soient les drames et accidents de la vie, ou presque. Avec Nadalette tout parait possible… si on est vivant. On se plonge dans des lignes qu’on ne lâche qu’avec difficulté car entrainés dans une prose, un rythme, un souffle, une Ecriture avec un grand E. Un putain de style, j’ai envie de dire, un style « couillu », car le masculin/féminin est très ancré dans le personnage de Nadalette.

La différence avec un autre livre-témoignage, c’est qu’on a à affaire ici à un écrivain, pardon une écrivaine, car Nadalette est une vraie féministe qui mérite des égards, par une caricature qui vit dans le détestation de l’homme, une féministe qui rend honneur aux femmes. Ca change tout. Un style chirurgical, au scalpel, faussement froid, plein de distance, d’humour et d’un sens incroyable de l’invention, de la punchline, le tout avec beaucoup d’audaces, de provocations et de liberté(s). C’est surtout aussi un livre sans concessions. Une femme écrivaine cultivée qui cite Genêt et les Bonnes, intelligente, d’une acuité rare qui sait transformer le pire en une expérience enrichissante, passionnante tout à fait désarçonnante et dérangeante, dans le bon sens du terme. Pourtant elle ne nous épargne rien, ne cherche pas à nous plaire, on doit la prendre telle qu’elle est dans son entièreté et sa liberté de faire et dire. Avec Nadalette pas de faux semblants, pas de demi-mesures. C’est tout ou rien. Clivante là aussi mais dans le meilleur sens du terme.

Les phrases sont ciselées, les mots sont parfois crus, mais moins que la vie elle-même qui sait être tellement si cruelle.
Nadalette a une scoliose qui l’handicape depuis des années. Elle se résout enfin à se faire opérer à 59 ans et là c’est le drame, l’horreur, sa vie bascule. L’opération rate et la rend paraplégique.
Nadalette bouscule toutes nos idées reçues, elle réinvente une relation au médical, au corps, aux soins, aux malades, aux cassés de la vie, à tout ce qui nous fait peur finalement.
C’est l’histoire d’une femme debout, malgré tout, d’une femme qui ne renonce pas , d’une femme dont la lucidité, le courage… impressionnant et forcent une certaine forme d’admiration, car on sait bien, dans le fond qu’on est loin d’avoir sa puissance de caractère en telle situation.
Tout est dans ce livre. L’intellect, le physique, la famille, le lien du sang, la féminité, l’humiliation, la liberté, la survie, etc…
Sa relation aux autres, à sa famille, à ses filles, Nadalette est Cash. Elle ne prend pas de pincettes, elle affronte tout, n’élude rien.

« Le Roseau penchant » est une récit lumineux et implacable où l’esprit gagne en souplesse intellectuelle alors que le corps est diminué, ralenti, paralysé.

Ce livre sort du témoignage, sort de la réalité noire pour devenir une oeuvre littéraire blanche. C’est un peu comme si l’accident était un déclencheur, un accélérateur qui transforme une femme en attente en écrivaine, révélée. Car finalement ce livre dépasse Nadalette et sa propre histoire, il devient proprement universel, il entre dans une mémoire collective. On est là dans la définition même de la Littérature.

Une écrivaine est née. Nous avons adoré ce premier livre et nous avons hâte de lire le prochaine car l’auteur devrait, à nouveau, nous secouer, nous surprendre et nous entrainer une autre fois dans un récit qui fait du bien. Et ils ne sont pas légions les livres qui font ça de nos jours.

Nadalette La Fonta Six, Le roseau Penchant, histoire d’une merveilleuse opération, Fauves Editions, 17 euros.

https://www.fauves-editions.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=64&razSqlClone=1