Le bel Hommage de Jacques Thorens à Jean-Pierre Mocky

Le bel Hommage de Jacques Thorens à Jean-Pierre Mocky

"Je le voyais devenir centenaire, car il faut dire qu’entre l’an 2000 et 2015, je n’ai pas eu la sensation de le voir vieillir, il semblait toujours avoir le même âge, 10 ou 15 de moins. Toujours fou, toujours un film par an... ou au moins des courts métrages.

Comment lui rendre hommage ? Peut-être en vous racontant la suite de l’histoire, la furie drolatique don quichotesque qu’il mettait en branle pour dénicher des lieux pour créer un cinéma. Il cherchait toujours à m’embringuer dans ce projet.

Nous étions, récemment encore, invités au même endroit en Bourgogne à Joigny (ça ne se fera pas), lui pour présenter « Le Glandeur », moi pour le livre sur la folle histoire du Brady que nous partagions. Ce cinéma acheté en 1994 pour pouvoir y montrer ses films. Après avoir lâché le Brady en 2011, après avoir lâché le Desperado en 2017 (dans un bon état, cet ex Action-écoles acquis il y a peu). Il rêvait d’une toute petite salle pour ses fans qu’il situait entre :

- 50 et 100 ans. Normal qu’ils aient peur d’aller à Château d’Eau au Brady, disait-il. A moitié sérieux je pense.
Même à l’hôpital, récemment, il cherchait encore à acquérir un théâtre.
Il avait pensé au cinéma La Clef (trop cher, semble-t-il), tenté d’acquérir le Beverley, mais le proprio ne l’aimait pas trop et, malheureusement, a vendu au plus offrant, ce ne sera plus un cinéma.

Entre parenthèses : de son côté Emmanuel Rossi voulait aussi mettre une option dessus pour rouvrir un "MIDI-MINUIT" (ça aurait été le troisième du nom, ça aurait pu être bien) avec dans son idée Thorens comme projectionniste :) décidément... Encore un rêve de cinéma. Mais revenons à Jean Pierre Mocky.

En 2015 et après, il persistait à vouloir me prendre comme projectionniste pour son nouveau cinéma, alors que je tentais de lui parler du livre.
- Monsieur Mocky, vous êtes bien sûr que je peux raconter ça ? Vous avez bien lu ? Le porno, le CNC etc. vous êtes sûr ? J’ai bien pris soin de ne pas mettre l’histoire de Gorge profonde... car ça sent un peu le boudin non ? et il répondait :
- Quoi ? Mais si ! Il faut le raconter ça, c’est drôle. Et y a prescription, on s’en fout... ils vont pas nous casser les couilles.

Difficile de mener la discussion avec lui, j’avais du mal à le concentrer sur les détails, il me relancait sur ses projets de rachats de salles. Je repartais en lui offrant le livre de Kirk Douglas sur Spartacus.

- Ah, mon ami kirque, je l’ai bien connu...
 :)
Il y a deux ans, j’allais chercher (avec mes petits bras) une copie 35 du « Roi des bricoleurs » dans son garage. Il me faisait rire :
- Mais pourquoi vous passez pas le dvd ? Pourquoi vous vous emmerdez ?
- Euh... voyons Jean-Pierre...
Je lui expliquais que c’était pas terrible et qu’en plus là où j’allais ils ne passaient que du 35.

J’avais choisi ce film pour une carte blanche à Saint-Étienne au Gran lux (avec Demons et Les Rats de Manhattan...) Je trouvais ce film délirant (du Tati déglingué sous acide) injustement méconnu.
A cette occasion, il me relançait :
- J’ai trouvé une ancienne mosquée à Belleville on pourra y faire un cinéma, je peux vous engager, mais je vous garantis un an, vous savez, je suis vieux, je vais peut être mourir bientôt.
Sur le coup, j’avoue, ses phrases abracadabrantes me faisaient mourir de rire. Je le voyais dépasser largement les 100 ans. Evidemment la mosquée décrépie n’est jamais devenue un cinéma.
Sans lui (et le maire du Xe arrondissement) le Brady serait devenu un Franprix dès 1994, sans lui le livre sur le Brady n’aurait jamais existé ou alors censuré amoindri.
Alors pour ça je vous dis mille fois merci. Il ne se prenait pas au sérieux. On le disait très susceptible. Je n’ai pas du tout vu ça. Il aurait pu d’une phrase empêcher la parution du livre : diffamation. Il ne l’a pas fait. Il était même content du relatif succès du livre.
Sous son air branquignol que l’on aime, la grande classe. Le Brady n’a pas fermé et se porte bien.

Au final, Mocky n’aura fermé aucun cinéma ! (contrairement à d’autres, soi-disant plus classieux, que je ne citerai pas) L’Action écoles faisait même plus d’entrées qu’avant son arrivée.
Même en gérant ses sociétés comme un poète (et si on gardait les clochards au Brady ? et si on passait de l’horreur, Harry Potter, Gorge profonde et mes films ?) il parvenait à garder tout à flot.
Salut l’Albatros, que ton vol soit serein.

Allez revoyons : "Les Vierges", "Y’a t’il un Français dans la salle", "Solo", "L’Etalon"...
Mes amitiés.

Jacques Thorens

Jacques Thorens est l’auteur du livre "Le Brady : Cinéma des damnés"