Interview : Francis Cabrel

Interview : Francis Cabrel

Faire le tour de la question d’une carrière, quand il s’agit de Cabrel, n’est pas évident. De ses début dans les années 70 avec son premier album ‘Ma Ville’ country rock français sorti en pleine mode disco jusqu’à ce ‘Beaux Dégats’ de 2004 en pleine mode « soupe », Cabrel s’est toujours comporté loyalement avec sa musique. Loin des aventures rocambolesques du star-système mais préoccupé par les inégalités de toutes sortes que cet humaniste chasse dans ses chansons, Francis laisse glisser son accent chantant sur des mots brûlants. D’Astaffort (son village) à Marseille en passant par Roubaix (pendant 3 soirs) partout un public conquis vient le saluer et rendre hommage à sa probité d’artiste.

Le rythme quinquennal que tu emploies entre chaque nouvel album est un rythme présidentiel ?

Francis Cabrel : « Finalement est ce que je me comporte comme un président ? (rire) Je ne sais pas mais je pense que je pourrais faire plus vite. Je devrais faire plus vite même. Mais un peu par paresse je me laisse vivre. »

Cette flemmardise est somme toute le bon côté de la vie d’artiste ?

Francis Cabrel : « La vie de chanteur proprement dite n’est pas forcément ce que j’aime le plus. C’est un peu tumultueux, encombré. Ce sont des journées à multiples rendez-vous. Sans parler de la scène qui me fout pas mal le trac. Une fois qu’il n’y a plus ça, je suis assez heureux. Je suis content de le faire mais quand ça s’arrête c’est bien aussi. »

Sur ton dernier opus on peut entendre une ambiance plus jazzy qu’à ton habitude, c’était pour couper avec des habitudes qui pourraient devenir mauvaises ?

Francis Cabrel : « Dans cet album, le but c’était de finir de présenter les choses qui me plaisent. J’aime bien le rythme n’blues, la chaleur jazzy des pupitres de cuivres. Mettre une écriture douce et sensible et ces instruments en relation me procurait du plaisir. Le problème c’est que je n’ai plus d’idées après celle là. C’était ma dernière ! »

Par contre, grâce à Dylan, en reprenant l’une de ses chansons, tu dédies une sorte de sacrement à la Télécaster ?

Francis Cabrel : « C’était la guitare de tous les jeunes qui débutaient à mon époque. C’était la guitare parfaite mais inaccessible car trop chère. Une fois que tu l’avais dans les mains tu devenais le roi du monde. Elle avait beaucoup de pouvoir. Avec cette pêche d’envoyer du volume sans artifice.

Si tu devais choisir entre une guitare sèche et une guitare électrique ?

Francis Cabrel : « Sans hésiter une guitare sèche. En partie car le son est plus doux mais surtout car je sais mieux l’utiliser. »

ON parle beaucoup de ta passion pour tous ces guitares héros, mais j’aurais aimé que tu me dises ce que tu penses de la nouvelle génération anglo-saxonne ?

Francis Cabrel : « Radiohead pour moi c’est ce qui se fait de mieux. Dans la qualité des chansons, le mec qui chante comme un dieu, les idées... on sent que c’est très soigné. En France, il y a M qui fait des trucs pas mal du tout. Musicalement il est de ce calibre là. Il est tout seul ce qui fait qu’il n’a pas l’alchimie que des groupes anglais savent mettre dans leurs musiques. Coldplay par exemple sont très complémentaires alors que ce ne sont pas des virtuoses. Ils ont crée un son original. »

Contrairement à ces monstres sacrés de la musique américaine (mis à part Neil Young) tu ne t’essouffles pas comme eux nous le font ressentir, est ce ton implication d’homme qui t’évite de te couper de la réalité ?

Francis Cabrel : « J’ai la passion de l’actualité. Bien que vivant à la campagne avec cette réputation de celui qui ne fait rien, je fais beaucoup de trucs, j’ai des quantités de petits projets avec les gens de mon bled. Ce qui me permet de me tenir au cœur de l’action, au cœur de la vie quotidienne. Ce qui me plait beaucoup dans le fait de ne plus être chanteur c’est de redevenir un citoyen lambda, avoir des soucis comme tout le monde. C’est peut être ça qui me permet de rester attentif, éveillé et curieux. »

Selon toi, est ce que le monde tourne mal ou alors est ce nous qui ne le voyons pas bien tourner ?

Francis Cabrel : « Le monde tourne mal car les gens tournent mal. Il y a des petites corrections à faire pour que cela tourne bien. J’ai quelques idées mais je n’ai aucun pouvoir pour que cela change demain matin...

Malheureusement d’ailleurs ! La première chose terrible qui j’espère va s’estomper c’est que les religions ne soient plus des sources de conflits. Ca va peut être prendre 50 ou 100 ans mais je pense qu’un jour on va arriver à ce genre d’harmonie. Il faut que progressivement l’on efface tous ces intégrismes qui pourrissent le monde. Cela passe par une curiosité, une attention nouvelle par rapport à son voisin. Malheureusement la télé nous rendrait plutôt craintif. Que ce soit en France ou en Amérique ils se sont servi de cette angoisse pour se faire élire. »

Tu le fais comprendre à ton public ?

Francis Cabrel : « Je n’en ai pas besoin, j’ai l’impression qu’il y a plein de gens sympathiques. Ceux qu’on appelle « La Masse » ou « Le Grand Public » sont adorables simplement ils ne sont pas représentés. Il y a une couche d’énergumènes malhonnêtes ou de profiteurs qui gouvernent la destiné du plus grand nombre. »

Pour moi le titre ‘ Les Beaux Dégâts’ induit qu’ils ne sont pas si terribles dans la vie de Francis Cabrel mais par contre qu’il y en a déjà eu beaucoup ?

Francis Cabrel : « J’avance en âge et j’ai effectivement croisé quelques tempêtes intérieures et extérieures. Après il faut prendre les choses de manière à pouvoir positiver ce genre de douleurs ou d’accidents de parcours. De toute façon tu n’as pas le choix, tu dois accepter tout ce qui t’arrive. »

Depuis ‘Hors Saisons’ des chansons plus graves sont apparues ?

Francis Cabrel : « Quand j’arrête de faire des disques, je chante dans des groupes de blues. Mon univers musical est là. On offre une empreinte très marquée sur le monde par cette musique. Je vais plutôt vers le minimum depuis quelques temps. Et le blues c’est ça... on peut compliquer les accords, trouver des harmonies différentes mais la façon d’arranger mes chansons doit paraître dévêtue. Eviter le superflu. Du moment où tu poses la note qui suffit ta chanson sera bonne. »

C’est pour cela que tu enregistres tes chansons chez toi, loin d’un studio traditionnel ?

Francis Cabrel : « Disons plutôt que c’est pour le confort. C’est aussi sophistiqué, il y a autant de matos que dans un studio mais par commodité et aussi par paresse car je n’aime pas m’éloigner de mon pays je le fais à la maison, mais je pourrais très bien enregistrer mes chansons n’importe où ! »

Si on pense à tes deux derniers albums studio, on ne relève pas de chansons phares comme tu as pu en sortir lors de ta carrière, pourtant ces deux albums marchent tout autant que les précédents ??

Francis Cabrel : « Au fil du temps j’ai habitué les gens à écouter mes albums au complet ! A savoir que même lorsqu’il y avait des chansons phares il y avait aussi des petites chansons à découvrir derrière tout aussi bonnes. Quand je fais des chansons je m’applique autant pour la dixième que pour la première. Le concept album est quelque chose que je n’ai plus besoin d’expliquer. C’est un tout. C’est comme un tableau : cela ne se divise pas ! tu ne peux pas découper une œuvre en dizaines de petits carrés. C’est ma philosophie, je n’ai jamais fait un album en considérant que je m’appliquerais beaucoup sur 3 ou 4 titres et le reste serait du déchet. »

Avec toujours ce souci d’offrir un bel objet à l’acheteur potentiel ?

Francis Cabrel : « L’emballage a toujours beaucoup compté. Je viens d’une époque où tu avais de grands vinyles avec des photos presque grandeur nature où tu pouvais rêver sur le visage du mec. Il me reste cette idée de devoir écouter en feuilletant, en regardant qui joue. Tous ces détails qui m’aident à comprendre comment c’est fait. »

Par deux fois tu as sorti un triple album Live, pourquoi ce besoin de quantité quand il s’agit de t’apprécier sur scène en disque ?

Francis Cabrel : « Comme je fais peu d’albums, je fais des spectacles conséquents. Je passe tout mon passé, si jamais c’est possible, en revue. »

Quand tu dois faire un choix de chansons pour un concert c’est difficile ?

Francis Cabrel : « J’entends toujours des mecs qui me demandent des trucs qui ne sont pas dans le set et j’ai peur de les chanter comme ça de but en blanc pour me retrouver à me planter au milieu donc une fois que j’en ai une trentaine en mémoire en général je ne sors pas trop de là. Mémoriser autant de textes et de musiques ça revient presque à faire une pièce de théâtre. »

Pourrais tu me dire s’il y aura une suite au « Rock n’Roll show » que tu avais monté en compagnie de Dick Rivers ?

Francis Cabrel : « Non je ne crois pas. C’est dommage. Dick est toujours mon pote, on a d’ailleurs chanté ensemble lors de mes concerts à Paris mais c’était beaucoup trop de travail. C’était moi qui avait monté le projet tout seul avec de très bons musiciens mais Dick Rivers n’est pas quelqu’un qui prépare... Lui il chante mais derrière il faut tout faire un peu pour lui. C’est beaucoup de corvées dans le répertoire, le choix des titres. »

Lorsque tu parles de ton avenir, et cela dès ‘Sarbacane’, tu laisses souvent entendre que l’album que tu présentes pourrait être le dernier, pourquoi ce pessimisme ?

Francis Cabrel : « C’est du réalisme ! C’est tellement difficile de faire douze chansons. Par exemple là, je n’en ai vraiment aucune d’avance, si jamais il fallait rentrer en studio dans les semaines qui arrivent je ne sais pas ce que je pourrais raconter. Je n’ai même plus une musique en stock. En ce moment je me dis que je n’y arriverais plus, mais probablement que l’année prochaine quand tout ce sera calmé, quand j’aurais lu de nouveau et rencontré des gens j’aurais sûrement d’autres idées mais pour l’instant je suis à sec. C’est une vérité du moment. »

La littérature participe à ton inspiration ?

Francis Cabrel : « En général. J’aime un peu tout. Ca va des grands classiques jusqu’à Jean-Paul Dubois et son ‘Une Vie Française’. Sinon je vais de Joseph Kessel à Balzac jusqu’aux sud américains que j’adore. Je dévore sans avoir d’auteurs favoris. »

Tu as participé à faire éclore des gens comme Vincent Baguian, comment ressens tu son relatif anonymat face à la machine destructrice d’une Star-Academy ?

Francis Cabrel : « La Star-Ac je prends plutôt ça comme quelque chose de provisoire et je préfère avoir, ou plutôt je préférerais avoir, l’avenir de Vincent Baguian plutôt que celui d’un élève de cette école. Le socle est plus solide. Evidement c’est lent, ça se fait au jour le jour en arrivant à convaincre trente personnes aujourd’hui et cinquante le lendemain mais ils vont rester alors que pour ces pauvres candidats télévisuels l’apparat du premier jour s’évanoui dès le lendemain. »

C’est la raison qui t’a poussé à faire monter les rencontres musicales d’Astaffort à Paris ?

Francis Cabrel : « Les parisiens ne viennent pas nous voir ! 700 bornes c’est trop pour eux. Donc depuis deux ans on fait voyager le projet à Paris en essayant d’en faire parler plus, car c’est là que tout se passe. Mais les choses ne marchent pas vite. Si tu vois une Jeanne Cheral, maintenant elle rempli des salles conséquentes après avoir galéré mais je suppose que c’est mieux... qu’il faut dépasser la tête hors de l’eau avec le temps. Les gens qui arrivent comme des boulets ils ont aussitôt fait de traverser la pièce pour sortir par la fenêtre. »

Par contre tu ne collabores pas beaucoup en prêtant ton talent au service des autres artistes, pourquoi ce choix ?

Francis Cabrel : « Parce que je n’ai pas grand chose à raconter. Tout ce que j’ai à dire je le prends dans mes chansons personnelles, après il ne me reste presque plus rien pour les autres. Si je donne cette chanson là, c’est autant de moins sur mon prochain album. Toutes celles que j’ai données, je l’ai regretté par la suite au fond de moi parce que j’aurais pu en faire des trucs mieux et pour moi ! (rire) »

Si jamais, par pur bonheur, tu pouvais choisir quelqu’un à qui tu as envie de tout donner ce serait qui ?

Francis Cabrel : « Dans l’absolu j’aimerais bien produire un disque de Dylan chez moi dans ma grange. C’est juste pour l’idée d’approcher le personnage. Sinon en France, un mec comme Axel Bauer j’aimerais aussi. »

Tes détracteurs disent que tu fais des disques qui laissent une impression de qualité désuète, qu’as-tu à leur répondre ?

Francis Cabrel : « Ca veut dire que je suis démodé ? de toute façon je ne m’accroche pas férocement aux modes... je fais mes chansons dans mon coin et si par bonheur même mes détracteurs trouvent que je fais de la qualité c’est que tout va bien. »

Enfin, as tu, comme Gerard Jugnot, coupé ta moustache pour faire plus sérieux ?

Francis Cabrel : « Non, je l’ai coupée uniquement pour savoir la tête que j’avais car cela fait 25 ans que je la porte. Je voulais savoir comment je suis en vrai sans rien. »