« Compte à rebours » ou comment neutraliser une cellule djihadiste en France ?

« Compte à rebours » ou comment neutraliser une cellule djihadiste en France ?

Un terroriste qui se fait passé pour mort et une cellule djihadiste qui menace des attentats sur le sol français. Tous les ingrédients de qualité de la part des auteurs dont l’ancien juge Trévédic allié à Matz et servi au dessin réaliste par Liotti concourent pour ces deux tomes, à des ouvrages de qualité haletants que je vous recommande vivement.

Sosso encore une fois occupe le visuel d’introduction avec mézigue. Le terrorisme et les guerres de religion chez les humanos, elle s’en bat le plectos. Elle rage en revanche contre les zoziaux qui ne respectent pas les règles de circulation dans les airs, quand à toute berzingue, perchée sur son aspirateur supersonique, elle raye le ciel et se taille une nique.

Quand la réalité dépasse presque la fiction. Cette BD a de quoi surprendre. En effet, Marc Trévédic qui fut juge d’instruction au pôle anti-terroriste du tribunal de grande instance de Paris a participé au scénario de Matz. Ce dernier s’en inspire pour le personnage du juge Antoine Duquesne.
Forcément avec mon humour féroce, je ne peux m’empêcher le rapprochement avec l’excellent feuilleton d’Arte sur l’espionnage en France dans les années 60. A croire que les techniques, mon général, ont évolué !

Revenons en 2016. La thématique de l’intrigue est simple mais révèle des tensions et un suspens digne des meilleurs films du genre. Douze décembre, un simple coup de fil peut semer le déclic. Lorsque qu’un couple est informé par ces mots de la mort de leur fils : « Ton fils est mort en shahid. Il est au paradis. Mes félicitations ».

Du côté des limiers de la police, c’est la joie qui prédomine avec l’élimination d’un dangereux terroriste djihadiste parti en Syrie, né Jean-Frédéric Martinez, et rebaptisé Abou Othman. Il faut recouper les données. Le juge Dusquesne émet des doutes et demande alors de mettre sous surveillance Nordine Charoui, un suspect qui avait des affinités avec le défunt. Il parait rangé des voitures et est habile pour jouer l’imposture.
Quelques jours plus tard, on lui passe les bracelets après une arrestation musclée à Lyon. Il est interrogé par le juge qui constate que les dates énoncées concernant son emploi du temps ne correspondent pas. Après une nuit blanche et une analyse précise des données, le juge déclare qu’Abou Othman est non seulement vivant et qu’il se fait passer pour un macchabée. A quelles fins ?

C’est un triptyque qui nous est proposé dont les deux premiers tomes sont parus en 2018 et 2019. Matz qui s’est spécialisé dans le polar égrène un récit enthousiasmant. On voyage dans les méandres et les questionnements du juge, au cœur de sa vie intime et les difficultés de résoudre l’équation de ses deux existences sans perdre pied. On découvre que la guerre des polices n’est pas une invention de l’esprit. Que des carrières de politiques se greffent sur les événements pour racoler le bon populo à applaudir les décisions prises.
La situation d’urgence appelle des approches distinctes de la problématique. On découvre encore les différents points de vue des acteurs de terrain qui se confrontent avec ceux des bureaux.
Le juge hypothèque sa vie de couple et son fils, tant ses absences répétées pour fait et cause de son dur labeur érodent sa vie familiale.
Les propos collent à la peau des personnages selon la casquette qu’ils portent. C’est précis sans rature. On se croirait presque dans un documentaire en immersion dans le milieu de l’anti-terrorisme.

Les décisions lourdes de sens du juge, sans compter les dégâts collatéraux qu’elles peuvent engendrer, il les assume. Il sait qu’il est un fusible en cas de grabuge.
Néanmoins, il entretient d’excellentes relations avec le commissaire Corbier, qui partage son dévouement.
Le témoignage du djihadiste arrêté s’exprime sur ses actions de « nettoyage » (dans les villages irakiens) entre chiites et yézidis. Ils aboutissaient à les « identifier, les séparer, les emmener, les tuer » (page 17) sans qu’aucune once de remord ne lui secoue les tripes.
Plusieurs films ouvrages et documentaires ont traité de cette thématique. Mais rarement avec autant d’acuité que cette BD.
Au cinéma en 2019, André Téchiné avec « L’adieu à la nuit » s’y est essayé et a réussi son pari de se poser la question qu’est-ce qui pousse un jeune presque sans histoire à s’engager dans une guerre sainte du côté de l’islam ? Sa grand-mère interprétée par Catherine Deneuve s’évertue de percer se mystère pour sauver son petit-fils.


Dans les années 60 / 70, c’était les chemins de Katmandou qui attiraient une jeunesse en recherche d’idéal à se suicider à mort lente dans la drogue et les voyages terrestres et cérébraux. De nos jours, ce sont souvent des jeunes sans idéal politique et social qui veulent jouer à la guéguerre et baiser la camarde en embuscade au nom de quoi ? D’un sentiment nihiliste d’inutilité, de paria de la société qui ne leur offre aucun avenir fraternel et laïque de partage solidaire. Les inscriptions : liberté égalité fraternité, issues des Lumières ont tendance à s’éteindre par vice de mémoire atrophiée.

Lors du tome 1, les actions terroristes de mort s’enchainent comme un entrainement pour une apothéose. A Amsterdam, le quartier chaud de la prostitution derrière les vitrines est canardé.
En France, des terroristes sont logés, mais le juge préfère suspendre l’interpellation pour les filer en voiture. Résultat : massacre sur le périphérique et l’hallali des médias contre le juge. « Le juge Dusquesne avait libéré terroriste avec le bracelet électronique, pour des raisons qui ne sont pas très claires. Dans la mesure où cet individu était connu des services de renseignement et considéré comme dangereux ». (page 57)


Dans le second tome : « Le piège de verre », suite à l’attentat sur le périphérique parisien qui dénombre 75 morts, lors de l’explosion d’une voiture piégée. Un terroriste a été blessé et interpelé. Il est interrogé. Plus intéressant encore, une clé USB a été découverte dans les débris de l’attentat. La police met tout en ordre pour la faire parler. Sur celles-ci, des armes de gros calibre, dont un missile M 16, un avion et le Louvres livrent leur visage.
Le commissaire a tendance à perdre son sang-froid vis-à-vis du terroriste arrêté. Mais le juge parvient à le réfréner de ne pas utiliser les mêmes méthodes de violence que ses adversaires.
Le dessinateur Giuseppe Liotti qui sera présent aux prochaines Estivales les 21 et 22 juillet 2019 à Monta nous révèle ses traits graphiques très réalistes à l’efficacité redoutable. On s’y croirait ! Chapeau l’artiste. Il se permet même des images en pleine page et double page très détaillées pour notre plus grand régal.

Une BD « Compte à rebours » coup de poing, qu’il est difficile de lâcher, tant le suspense est haletant, le personnage du juge est attachant de vérité humaine. A suivre le prochain tome et j’ai déjà hâte de connaitre le dénouement.

Compte à rebours tome 1 : Es-shahid (2018) et tome 2 : Le piège de verre (2019), Marc Trévédic et Matz au scénario et Giuseppe Liotti à l’illustration, éditions Rue de Sèvres, 60 pages, 15 euros

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