« Cher corps » : 12 femmes s’expriment singulières et plurielles en BD !

« Cher corps » : 12 femmes s'expriment singulières et plurielles en BD !

Léa Bordier vidéaste sur You Tube de « Cher corps » a proposé à 12 artistes d’illustrer 12 interviews de femmes qui ont raconté leur rapport au corps. Sensibles et sensitives, elles s’accordent toutes à la mise en image de leur corps vu par les artistes. Ouvrage collectif très florissant en styles graphique et richesses humaines à conseiller et à déguster.

Encore une fois de plus Sosso la sorcière partage le visuel de couverture avec mézigue. Sosso n’aime pas trop les femmes, elle s’en méfie. D’où encore son air torve et décomplexée. Je vais lui lire l’ouvrage pour la convaincre. Ce n’est pas gagné ! Il n’empêche bon gré malgré, elle partagera des scénettes orchestrées par le Bartos lors des prochaines Estivales de la BD de Monta.
Fallait oser ! Léa Bordier qui n’a pas froid aux yeux l’a fait pourtant.
L’idée de départ consistait à interviewer des femmes volontaires pour qu’elles se racontent à corps et esprit ouverts devant la caméra en monologue expressif de moins de 20 minutes sur la chaîne You Tube de Léa Bordier. C’est une jeune femme à la plastique avenante, presque trentenaire débonnaire et décontractée. Abonné(e)s au langage épuré, gare à vos oreilles sensibles, Léa parle comme une femme de son temps, avec une phraséologie imagée et sans fioriture brute de coffrage.
Du style : gamine ayant sauté son CP elle était « toujours de bonne humeur pour de gros délires et relou avec sa grande sœur ». (in l’intervieweuse interviewee) :

Où elle raconte son parcours, ses études, ses rencontres, sa démarche…
Elle parle souvent de Mad ! Et comme il est question malgré tout de BD pour cet article, forcément j’ai pensé qu’il y avait un décalage horaire certain de plusieurs décennies entre Léa même pas née dans les années 60 et cette fameuse revue ricaine foutraque. Elle oscillait autour du dessinateur Harvey Kutzman et s’attachait à la dérision sous toutes ses formes au non-sens et l’absurde de connivence.
En fait le Mad de Léa, c’est l’abréviation de Madmoi’zelle, un site de vidéos en ligne où vous pouvez écouter la donzelle se livrer en confidences sur son évolution, comme dans le lien ci-dessus.
Un exemple et d’autres suivront de son travail d’interview pour « Cher corps » avec Marie-Paule 71 ans qui apparait dans le livre croqué par Carole Morel.

Le jeu consiste pour Léa de filmer des femmes de façon très naturelle après une discussion autour d’un café ou d’un thé. Ainsi pour Marie-Paule, elle reconnait qu’il lui est plus facile pour elle de parler de son corps à son âge que dans le passé. Quelle est très fière de vivre pleinement lorsqu’un homme jeune lui adresse un compliment sur sa beauté.
Imaginez l’embarras pour l’autrice de résumer en quelques pages seulement les propos de Mathilde. Cette difficulté extrême, ses collègues au nombre de 12, l’ont aussi rencontrée. Pas facile de garder un propos plutôt qu’un autre, sans trahir la femme interviewée et de créer ainsi une certaine hiérarchie de sens dans ses dires.
C’est aussi pourquoi, c’est très intéressant d’écouter l’interview et de lire ensuite l’illustration qui en sort du talent des artistes. C’est souvent très lumineux de sens et de respect. Quel travail altruiste et passionnel d’amour des femmes !

Le personnage de Blaise 23 ans se définit comme agenre et exprime ses soucis avec sa pilosité. Elle se rapproche des propos la BD « A quoi tu joues » déjà chroniquée où Nao se présente comme étant ni une gamine ni un gamin :
http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article9740

J’ai remarqué que pour chaque interview entendue, un jazz cool en fond sonore se distillait qui donnait encore plus de relief aux voix des femmes interrogées. Encore d’avantage pour Blaise où Lady in satin pousse la chanson et me remue les tripes sur ses propos.

A chaque nouvelle femme, un nouveau personnage se livre à un corps à corps avec sa propre existence.
Parmi le portrait de ces douze femmes, retrouvez Marie-Paule militante pour la pilule dans les années 60, Aurélie ex anorexique libérée de son fardeau, Shonah qui de médecins en médecins durant quatre années s’est cherchée et trouvée pour vivre enfin une sexualité à l’unisson, Léna 14 piges et ses visions d’ado, Emma qui a subi un viol, Sophie qui répare ses cicatrices après l’attentat du Bataclan, Lucie qui se démarque avec la peau, Mayalan superbe miss doudou à la peau cuivrée qui affronte au jour le jour les normes de la société blanche, Camille handicapée qui se sert de son handicap pour s’inventer des chorégraphies.

Mathilde qui a des rondeurs et se sent bien dans sa peau.

Mai est toujours à l’écoute de son corps coûte que coûte.


Léa Bordier, je l’ai découverte presque par hasard, à travers Karensac, dessinatrice qui sera présente aux prochaines Estivales de la BD, les 20 et 21 juillet 2019 à Monta. Elle a participé à un ouvrage collectif de dessinatrices sous la férule de Léa Bordier qui a choisi 12 interviewées et lui ont confié leur histoire en répondant à la question : « Comment définis-tu ton rapport au corps aujourd’hui ? ».
Douze artistes au service de douze femmes très différentes, avec douze styles de graphisme différents. Une réussite incontestable pour ce bel ouvrage, avec aux manettes Léa Bordier qui aime les femmes. C’est indéniable. A tel point d’ailleurs, que son grand-père âgé de 85 ans qui était toubib, en regardant ses vidéos s’est exclamé : Léa est « le médecin de l’âme ».
Je ne saurai dire mieux et c’est mérité. Idem pour les 12 artistes qui ont contribué à donner vie dans un livre à ces douze femmes au destin singulier mais tellement réel et actuel.

Cher corps, sous la direction de Léa Bordier, avec Karensac, Eve Gentilhomme, CY, Marie Boiseau, Sybilline Meynet, Mirion Malle, Anne-Olivia Messana, Daphné Colignon, Carole Maurel, Lucile Gomez, Mademoiselle Caroline et Mathou, ed Delcourt, mai 2019, 128 pages, 19,99 euros

Copyright Cher corps : © Éditions Delcourt, 2019 – Collectif