Julien Richard-Thomson : "Medias". Une instance de déontologie, sans pouvoir de sanction, ne servira à rien.

 Julien Richard-Thomson : "Medias". Une instance de déontologie, sans pouvoir de sanction, ne servira à rien.

Pour le cinéaste et auteur Julien Richard-Thomson, animateur du pôle Médias du think tank Démocratie Vivante et auteur d’une longue tribune sur le sujet, il faut donner un pouvoir de sanction à la future instance de déontogie de la presse.

Une instance de régulation des médias, n’est-ce pas une tentative de contrôle de l’information ?

Ce genre d’instances existe dans de très nombreux pays européens, elles ne sont pas faites pour censurer l’information mais pour améliorer la fiabilité de l’information. Je considère que l’accès à une information de qualité, non manipulée ou truquée, est un droit fondamental du citoyen. C’est sur l’information que repose le débat public démocratique. Un rapport avait été commandé par l’ancienne ministre Françoise Nyssen, qui va être rendu public, préconise la création d’un conseil de régulation des médias, autrement dit un conseil de déontologie.

L’information est-elle menacée ?

Nous n’avons jamais été autant informés et en même temps, nous n’avons jamais été aussi désinformés. Ce phénomène paradoxal on le doit évidemment, en premier lieu, à internet. Le web est un espace formidable pour s’informer, hélas l’information n’y est ni triée, ni régulée. Internet est donc comme un gigantesque "marché" concurrentiel de l’info, pollué par une quantité considérable de contenus litigieux, voire mensongers ou trafiqués. Evidemment ce sont ces contenus contestables qui sont les plus attrayants et donc les plus partagés. Internet est devenu le royaume de la fake-news et du complotisme, avec des contenus truqués diffusés à des fins de propagande politiques ou tout simplement dans un but commercial. Face au web, il reste la presse (presse en ligne, presse écrite, radio ou télévisée) mais hélas elle n’est pas exempte, parfois, de manquements.

La presse n’est pas fiable ?

Les médias traditionnels sont évidemment bien plus fiables que les contenus trouvés au petit bonheur la chance sur internet. Normalement, les informations y sont vérifiées, sourcées, recoupées...
Mais en raison de la vitesse croissante de l’information, en partie liée à l’irruption des réseaux sociaux, les rédactions travaillent vite et parfois, publient de fausses nouvelles de manière involontaire. Le problème est aggravé par le suivisme des médias, qui se copient les uns les autres. Une erreur peut donc être reproduite de multiples fois par la concurrence avant qu’on s’aperçoive de la bévue et qu’on la corrige éventuellement. Je pointe aussi une tendance regrettable à publier des titres "choc" (notamment les médias en ligne, on parle de titres "putaclics"), qui sont de nature à tromper l’opinion, d’autant que les gens lisent rarement l’article entier et s’arrêtent souvent au titre et à la photo principale...
Or la démocratie a absolument besoin d’une presse fiable et crédible, à laquelle le citoyen puisse faire confiance. Je rappelle que la presse est le "quatrième pouvoir" dans notre système démocratique. Voilà pourquoi le fait que de nombreux citoyens se méfient des médias est extrêmement grave, il faut tout faire pour renouer les fils de la confiance entre les citoyens et la presse.

Un conseil de déontologie serait la solution ?

Ce serait l’un des outils, facile à mettre en place rapidement. Mais je regrette que le rapport d’Emmanuel Hoog ne semble préconiser aucun pouvoir de sanction pour ce conseil. Je pense qu’il faut au contraire appliquer le principe pollueur-payeur : un média auteur d’un manquement à la déontologie doit pouvoir être amené à publier un correctif occupant la même surface, la même importance, que l’article ou que le reportage erroné. Cela me semble à la fois dissuasif et utile pour l’usager. Au nom du think-tank Démocratie Vivante je suggère aussi des outils pour aider les internautes à se repérer dans la jungle du net, par exemple donner la mission au conseil de déontologie de la presse d’analyser les contenus en ligne et d’imposer aux hébergeurs et diffuseurs un pictogramme d’alerte sur les contenus contestables ou litigieux. Cette voie médiane permettrait de ne pas supprimer ces contenus, afin de garantir une totale liberté d’expression sur le web (excepté pour les contenus tombant sous le coup de la loi, bien entendu), mais d’avertir les personnes qui les consultent.

https://www.democratie-vivante.fr/22/03/2019/presse-retrouver-role-de-pilier-de-democratie-julien-richard-thomson/?fbclid=IwAR0VgxayDxB9_PhT4nU7kE284_yLf7luyg0WXOCqB4doMIvM0nURxyHMTi8