Le Guernica de Bruno Loth dépote !

Le Guernica de Bruno Loth dépote !

Dans cet opus, Bruno Loth nous donne à vivre en direct les dernières heures de Guernica et ses habitants, sous les bombes des fascistes en 1937 au pays Basque. Il distille aussi en parallèle avec grande finesse les affres créatives de Picasso à l’œuvre de sa plus célèbre toile. Il achève sa BD sur un sentiment fraternel d’espoir et de paix. Du très grand Bruno Loth, qui sera présent au resto BD de l’association BDM33, le samedi 9 février à 19 h chez Gilles et Marika à Vendays.

Depuis mon interview de Bruno Loth autour de la série Ermo en 2008, l’artiste, qui s’autoéditait à ses débuts, a trouvé depuis éditeur à sa pointure en la Boite à Bulles.
http://www.lemague.net/dyn/spip.php?article5453
Habitué des antennes de radio libertaire à Paname, il a gardé sa verve et ses engagements envers la mémoire des luttes libertaires, à travers les personnages qui égaillent son œuvre à des époques de grands espoirs sociaux et mouvementés.

Il s’inspire de personnages qui lui sont proches. Ainsi par exemple dans « Mémoires d’un ouvrier », son père Jacques, il le met en scène dans les années 36 lors du Front populaire à Bordeaux où il n’usurpe pas les aspirations de la « Class Prolo » de Kent.

“Dolorès », c’est encore un personnage haut en couleur en recherche de sa mémoire en Espagne, la péninsule ibérique chevillée au corps et aux tripes.

Bruno Loth nous raconte cette fois Guernica vu de l’intérieur.
Sans le fabuleux tableau de Picasso, il se pourrait que ce drame humain du village de Guernica réduit en cendre le 26 avril 1937 par les bombardiers allemands et italiens ait été oublié ou définitivement passé sous silence. Comme pourraient le souhaiter certains historiens spécialisés dans le révisionnisme. Je pense à José Maria Juarranz de la Fuente, un universitaire espagnol à la retraite qui aime remuer la braise et dégommer l’engagement politique de Picasso.
https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/data/23502/reader/reader.html#!preferred/1/package/23502/pub/33918/page/5
Il ne s’étrangle pas à proclamer concernant Picasso : « La peinture n’a rien à voir dans sa conception avec ce qui s’est passé à Guernica » ou encore : « Il n’avait aucun intérêt pour les affaires politiques » !

Bruno Loth ne me contredira pas. Les anarchistes sont habitués à la réécriture de l’histoire par la parole des vainqueurs, surtout en Espagne où les camps franquistes et staliniens se sont surpassés. Michel Ragon s’en est fait un vibrant écho des libertaires dans son roman et son essai qu’il consacra à « La mémoire des vaincus »

Retour en Espagne et à Guernica où Pio Moa aimerait faire croire que le nombre de morts assez faible selon lui ( !) proviendrait du fait, que le mitraillage aérien n’aurait pas pu avoir lieu à cause de l’étroitesse des rues de Guernica.
Joseph Goebbels, ministre de la propagande nazi dans son journal, semble persuadé que la légion Condor n’a pas participé au bombardement de Guernica.
Le 27 avril1937 à Salamanque, quartier général des franquistes est publié un communiqué qui rejette la « calomnie » du massacre imputée aux avions nationalistes et fait porter le chapeau aux « rouges », qui obligés de se replier auraient mis le feu à la ville.
Dans le même ordre d’idée, en France, c’est Charles Maurras le grand manitou de l’Action française qui pérorait au sujet de « la fable des avions allemands » comme une manipulation « bolchevique » servant à masquer le crime des « rouges ».

Il est temps de redevenir rationnel et camper sur le terrain l’atroce réalité qui s’est jouée à Guernica, le lundi 26 avril 1937 entre 16 h 15 et 19 h 30 et entamer le combat contre l’oubli avec cet ouvrage de Bruno Loth.
En l’espace de seulement quelques heures, l’agglomération de Guernica, un jour de marché, a été rasée de la carte avec ses civils et ses combattants républicains totalement impuissants à riposter.

Que Bruno Loth soit remercié pour son travail très sérieux digne d’un d’historien. Il a épluché les archives, s’est rendu sur le terrain, a pris des photos des lieux et s’est inspiré des mémoires de Luis Iriondo parues en 2011 dont il cite quelques extraits à la fin de son ouvrage. Luis, enfant lors des évènements, proclamait en 2011 : « Je suis le dernier des survivants du bombardement ».
Outre la berceuse de Viscaye en basque et traduit en français, on retrouve dans la bande son de la BD la célèbre chanson « Ay Carmela ».

Bruno aurait pu publier cette BD avec comme seul leitmotiv le massacre de Guernica, concernant la vie de sa population décimée en quelques instants et se complaire dans le pathos et l’éminence vengeresse. Il n’en est rien, il s’appuie certes sur la population qu’on voit vivre au quotidien ses dernières heures comptée, avec des familles déchirées par les fils partis à la guerre et issus des deux camps belligérants. Des Républicains armés légèrement les pieds en sang et épuisés. Une femme flanquée d’un bébé qui écrit à son chéri à la guerre. Un père qui descend des montagnes à cheval avec son fils pour se rendre au marché. La rencontre d’un Républicain avec la fille d’un marchand de chaussures, coup de foudre et l’envie d’une autre vie qui s’en suit. On découvre l’usine de fabrication d’armes pour la République. Un gamin, frère jumeau d’Ermo parcourt la ville. Tout ce petit monde va se croiser dans les abris pour échapper aux bombes, avant de presque tous périr.

Les oiseaux de mort issus de la peste brune ont déversé des torrents de bombes explosives et incendiaires et la mitraille. En tout et pour tout, 44 avions de la légion Condor nazie et 13 avions fascistes italiens ont participé aux opérations. C’était le premier raid de l’histoire de l’aviation militaire qui s’en est pris à une cible civile sans défense. Le bilan officiel selon des sources controversées comptait 1654 morts et 800 blessés. C’était surtout pour Hitler, une sorte d’entrainement pour tester ses avions et son inspiration à des conquêtes futures, au nom du Reich tout puissant qui voudra étendre sa suprématie en Europe.

Bruno, outre son intérêt pour la population basque décimée, s’ingénie en plus à nous entretenir des doutes et des difficultés de l’artiste peintre Picasso vivant en France, à s’illustrer lors de l’exposition universelle de 1937 sous le pavillon du gouvernement républicain espagnol.
Dans son atelier parisien, son modèle Dora Maar pose, dialogue et l’encourage. Picasso se désespère : « Ca fait des mois que je cherche une idée. Et rien ne vient de vraiment bon » (page 16). C’est finalement le 30 avril lors de la diffusion des informations en images dans un cinéma parisien que Picasso a un déclic : Guernica ! Il entreprend de couvrir de ses chimères une toile de 7,50 m sur 3, 50 pour illustrer son ressenti de Guernica. « J’y retrouve toute la souffrance, l’horreur et la furie de la guerre » commenta Dora (page 65). Très complice, elle entreprend des clichés photographiques qui vont permettre au peintre d’avoir le recul nécessaire qui lui manque devant l’étendue de sa fresque monumentale. Il veut capter le public et considère cette toile comme une arme contre Franco et le fascisme. Il est à noter que Bruno a bénéficié de l’accord de la Fondation Picasso pour publier sa BD.

Bruno agit un peu comme un journaliste, un photographe ou un caméraman sur le terrain d’un conflit armé, mais aussi comme un historien des arts autour du Guernica de Picasso.
C’est d’autant plus vrai que le format de cette BD à l’italienne peut rappeler les anciens albums de photos en noir et blanc.
Il aurait pu renfermer sa BD dans le pathos de la guerre. Mais Bruno a pris le parti de la fibre humaniste lors de l’écriture de son ouvrage. Certes il se bat à bon escient pour que Guernica ne soit pas oublié après le décès du dernier survivant du bombardement. Mais ce qui est encore plus frappant à mes yeux, c’est que tout à la fin de son ouvrage il recopie la lettre de Roman Herzog, alors président de la République Fédérale d’Allemagne en 1997, à l’occasion du 60e anniversaire de son bombardement. Celui-ci stipule d’assumer au nom du peuple allemand réunifié la reconnaissance de la responsabilité de l’aviation allemande impliquée dans le pilonnage et me massacre de Guernica. La réponse rédigée au nom des survivants est toute aussi bouleversante, car elle stimule la main tendue pour la paix.
Ce n’est pas un hasard si : « Aujourd’hui, Guernica est appelée la ville de la Paix et on y trouve un bureau permanant chargé de diffuser des techniques de réconciliation ». (page 77)

Bruno devient alors un porte-parole digne du poète Manouchian qui va être exécuté par les nazis avec ses frères et sœurs de l’Affiche Rouge. Un autre poète Louis Aragon a retranscrit sa dernière lettre qui sera mise en musique par Léo Ferré. Il s’exclame :
« Et c’est alors que l’un de vous dit calmement /
Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre
Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand »

Un coup de chapeau également à Corentin, fils de Bruno, pour la mise en couleurs de cette BD de très grande qualité.

Bruno Loth infatigable artiste de BD travaille sur un projet, autour de la rencontre un 15 juillet 1927 entre l’anarchiste espagnol Buenaventura Durruti et un autre anarchiste, l’Ukrainien Nestor Makhno. Ils passent la journée à se raconter leurs aventures mutuelles et à refaire le monde.
Cet album devrait sortit début 2020.
Ca promet, il me hâte déjà de le lire et le chroniquer !

Guernica, scénario et dessin Bruno Loth / couleur Corentin Loth, éditions la Boite à Bulles, février 2018, 80 pages, 19 euros


Oyez oyez, ne boudez pas votre plaisir de rencontrer Bruno et Corentin Loth qui seront présents, à l’invitation de l’association BDM33, samedi 9 février 2019 au resto chez Gilles et Marika de Vendays Montalivet, à partir de 19 h pour discuter et dédicacer.
Entrée libre et gratuite et bienvenue à toutes et à tous, que vous soyez membres ou pas de l’association. Un repas suivra concocté avec amour comme toujours par Gilles. Réservation obligatoire au : 05 56 4170 34 pour le mercredi 6 février 2019, dernier carat.

Bruno Loth dédicacera également « John Bost » en tant que dessinateur cette fois, toujours aux éditions La Boite à Bulles.

C’est album décrit le portrait du protestant français le plus emblématique du XIXe siècle est retracé dont l’œuvre contribua à changer le regard posé sur les personnes atteintes d’un handicap physique ou mental.

Copyright des visuels, Bruno Loth, éditions La Boite à Bulles