Insurrection à Paris, les nuits fauves

Insurrection à Paris, les nuits fauves

D’ici, de ce paisible petit port cossu, de ma charmante maison près du port, les images qui me parviennent de ma ville natale me montrent voitures en flamme et magasins saccagés.

Là-bas, non loin des Champs, j’ai marché retour de boîte, la tête et le corps en feu. Là, j’ai aimé, détesté, j’ai marché, boitillé un talon en moins, terminé la nuit chez de drôles de gens, dormi n’importe où et pour tout dire peu dormi. Nous vivions sur une petite planète … Madeleine, Concorde, avenue de Rivoli, les Halles, Hôtel de Ville… La Samar, le Bazar, les Magasins réunis (sur le chemin du retour), tes taxis, le bus 75… Paris était fauve et j’étais tigresse. Privilégiée. Enfant gâtée des Années 80… Insouciante… Souviens-toi, nous n’avions peur de rien… Souviens-toi, les Tuileries, pas loin les Halles, chez Benjamin tout est bien, les boîtes homos juste avant l’arrivée de la saloperie qui en a tué plus d’un d’entre nous, on en a pris des cuites et des soupes à l’oignon à 6 du mat, on en a arpenté des avenues le cœur en fièvre entre la Marguerite et l’Incognito…
Il n’y a pas que ma jeunesse qui vienne de foutre le camp. Il y a tout un monde qui s’effondre. C’est étrange, j’en ai pris conscience ce matin en voyant le feu rougeoyer devant un bistro de l’avenue de Friedland où il m’est arrivé d’aller prendre des cafés tôt le matin. Mon époque est totalement révolue. Je suis une vioque pleine de regret. Cinquante piges et des poussières, putain le temps passe trop vite et j’ai toujours quinze ans.

L’audace s’habille en jaune, une couleur qui ne me va pas au teint. Je n’ai rien contre la révolte et j’ai toujours essayé de défendre le pot de terre contre pot de fer, notamment à travers mon travail de journaliste, à mes débuts du moins. Aujourd’hui, je me contente de porter la parole de petits gars qui ont commencé à bosser à 13 ans dans des cuisines et y ont parfois gagné des étoiles à force de courage et pour des salaires minables, quand ce n’était pas à coups de pied dans le cul. Je défends aussi des marchands, des experts, pas tous des « sales bourgeois », loin s’en faut, des gens qui font du négoce certes, mais est-ce devenu un gros mot ?

Des femmes et des hommes qui ont commencé sur des coins de nappes à Vanves et fini rue Bonaparte, des gens de Biron qui savent encore sortir la bouteille de pinard pour les copains même si les temps sont durs et la cam’ de plus en plus rare. Je n’ai rien contre les pauvres gens qui manifestent leur désespoir. Je suis simplement désolée, triste. Ici, arrachée à ma confortable vie de de bobo parisienne du joli XVIIIe arrondissement, j’ai, à la faveur de ce que l’on appelle joliment « un revers de fortune » (traduire : dégringolade financière chez un riche) rencontré de « vrais gens », des employés qui gagnent 2500 balles par mois à deux, ont besoin d’une voiture pour se déplacer, des gens que les contraintes économiques poussent à se retrancher dans les campagnes environnantes parce que le littoral « c’est pour les riches ».

Ces personnes sont devenues pour certains des êtres chers. Je ne fais pas grand-chose pour eux sinon transmettre ma passion du livre, de la culture et les aider à s’exprimer autrement qu’en incendiant des bagnoles. Et encore, m’arrive-t-il de comprendre les gens qui hurlent leur désespoir ? C’est dire si j’ai évolué… Une chose toutefois me dérange dans cette affaire, c’est la hargne va-t-en-guerre d’une poignée d’hommes (je vois beaucoup moins de filles) qui se rêvent en héros pourfendeurs de l’Ancien régime et affutent des piques pour y enfoncer des têtes.

Cette violence dégradante, cette ivresse du sang, cet instinct grégaire qui excite la meute telle une fille de joie hystérique me font peur. Je déteste la foule, je déteste la vindicte populaire. Je pense qu’on pourrait faire autrement, je me dis que ce n’est pas le bon moyen. Mais je me dis aussi qu’il est trop tard, que là on est vraiment mal barré et que comme on disait dans les Eighties « ça craint un max ». On avait aussi une autre expression à la con… « c’est les nerfs ! » Ça nous faisait beaucoup rire. Aujourd’hui, j’ai tendance à rire jaune. Mais, pas d’inquiétude… c’est les nerfs…

Frédérique Maupu Flament