Interview de Mado Gilanton et François Roque de l’Association APAISER S&C (maladies rares)

Interview de Mado Gilanton et François Roque de l'Association APAISER S&C (maladies rares)

Nous avons décidé de donner la parole à Mado GIlanton et François Roque, respectivement Présidente et responsable de la communication de l’Association APAISER S&C qui accompagne les patients atteints de deux pathologies rares, la malformation de Chiari et la syringomyélie. Qui dit maladies rares, dit connaissance faible de la part du grand public. Nous espérons donc que cette rencontre avec ces deux "spécialistes" aidera la communication sur ces maladies et permettra de les aider, d’avoir une plus grande tolérances vis à de ces pathologies mal connues qui engendrent souffrances et incompréhension notamment.

Bonjour Mado et François, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs qui ne vous connaissent pas encore ?

Mado Gilanton : oui, je suis présidente de l’association APAISER S&C qui accompagne les patients atteints de deux pathologies rares, la malformation de Chiari et la syringomyélie qui frappent 21000 personnes environ en France. Je suis moi-même atteinte d’un Chiari et d’une syringomyélie. J’ai été opérée il y a 5 ans avec une amélioration considérable de mon état.

François Roque : je suis responsable de la communication de l’association. Après 30 ans dans la publicité, j’ai décidé de mettre mes compétences au service d’APAISER S&C puisque je souffre aussi de ces 2 maladies depuis 18 ans. C’est à l’occasion d’un tweet que j’ai posté à l’annonce de la mort de Rachid Taha que nous sommes entrés en contact, et je vous remercie de nous donner l’occasion de parler de ces maladies…

Justement, à la mort du chanteur Rachid Taha certains ont découvert qu’il souffrait de cette maladie rare, pouvez-vous nous en dire plus ?

Mado : le Chiari est une malformation du cervelet : au lieu de reposer sur la base du crâne, il s’engage dans le trou occipital par où passe la moelle épinière, et crée une pression. Le trou peut aussi être mal formé. Ceci engendre alors des troubles de l’équilibre, sensitifs, on sent mal le chaud ou le froid au niveau des mains par exemple, de sévères douleurs, des apnées du sommeil et des troubles moteurs des bras et des mains. Cette pression peut gêner la circulation du liquide céphalo rachidien, qui circule autour du cerveau et de la moelle épinière, et pénètre à l’intérieur de celle-ci…

François : …dans ce cas, une syringomyélie se forme. C’est une cavité dans la moelle épinière remplie de liquide céphalo rachidien qui comprime et détruit les fibres nerveuses. Cela génère des douleurs, des troubles sensitifs, du transit, urinaires, et surtout des troubles moteurs qui peuvent aller à la paralysie, voire la tétraplégie.

Mado : nous étions en contact avec Rachid Taha et son agent. Il y a 2 ans, il avait révélé qu’il souffrait d’un Chiari depuis l’âge de 27 ans, avec des troubles de l’équilibre et des douleurs aux mains. Il en avait assez qu’on pense qu’il était ivre, alors qu’en fait non, c’est un des effets de la maladie. Il était très pudique et sur le point de s’engager à nos côtés…

Vous militez et communiquez depuis des années je le sais pour ces maladies rares ou invisibles, parlez-nous de ces combats ?

Mado : il existe plus de 6000 maladies rares et la difficulté pour un médecin c’est d’y penser ! Nos pathologies ont « l’avantage », si je peux oser ce mot, d’être d’ordre mécanique, puisqu’il s’agit d’une malformation et d’une mauvaise circulation. Donc, pour simplifier, à problème mécanique, réponse mécanique, autrement dit, la neurochirurgie. Tout notre combat est que le diagnostic soit fait le plus rapidement possible. Or, l’errance médicale est de 6 à 8 ans avant de procéder à un examen simple, une IRM qui met immédiatement en évidence l’une ou les deux pathologies, à condition que le radiologue sache les repérer. Après, il y a une errance de prise en charge, car ce n’est pas vers une neurologue qu’il faut aller, la majorité ignorent nos pathologies, mais vers un neurochirurgien connaissant ces troubles, ce qui n’est pas non plus le cas de tous. C’est pour cela que 13 centres ont été labellisés en France et notre site, www.apaiser.org, est devenu une référence pour ces renseignements toujours mis à jour.

François : pour la petite histoire, mon généraliste, en 40 ans de carrière n’a vu qu’un seul cas : moi ! Les premiers symptômes sont souvent identiques à des pathologies ordinaires comme migraines, torticolis, lumbagos, nerf coincé, etc. Sauf que lorsque cela se répète, s’installe, reste rebelle aux traitements usuels, la tendance est souvent de glisser sur le terrain psy : « vous êtes stressé, c’est psychosomatique, etc ». Et le patient finit même par en être convaincu ! Il s’agit de prendre plus en compte la parole du patient et que le généraliste pense à quelques tests basiques qui peuvent éveiller un soupçon neurologique qui, au passage, peut être autre chose que nos pathologies, comme une tumeur ou une sclérose en plaque, cette dernière maladie ayant d’ailleurs des symptômes et effets très similaires à la syringomyélie…

Mado : d’où l’idée de ne pas hésiter à faire pratiquer une IRM. Notre combat est de réduire l’errance. Plus vite nos pathologies sont diagnostiquées, plus vite elles peuvent être traitées - dans la grande majorité des cas - par des neurochirurgiens membres des centre labellisés. Dans 80 % des cas après intervention, la maladie est stoppée ou sensiblement ralentie, et le patient peut espérer une vie quasi normale… Plus le diagnostic est tardif, plus les dégâts faits de façon sournoise sont irréversibles ! J’ai eu la chance d’être diagnostiquée rapidement après des symptômes « bruyants » (sensation de brulure sur une main et perte de la sensation de chaud-froid). Mon mari qui est médecin m’a prescrit une IRM, ne pensant pas du tout à cette maladie qu’il n’avait jamais rencontrée avant. À l’époque j’étais cadre dans le secteur pharmaceutique et connaissais le système des maladies rares ; j’ai pris tout de suite un rendez-vous au centre de Référence et été prise en charge par un des neurochirurgiens. J’ai peu de symptômes résiduels, si ce n’est la perte de chaud-froid et les sensations de brulure car ces symptômes sont irréversibles. Mais une semaine avant l’intervention, j’avais une jambe qui m’échappait. Si je n’avais pas été opérée à temps, probablement aujourd’hui, je serai obligée de m’aider d’une canne. Le cas est fréquent chez nos adhérents.

François : je n’ai été diagnostiqué qu’à 40 ans, alors que depuis une dizaine d’années je souffrais de trucs bizarres. l’IRM a montré un Chiari et une importante syringomyélie. J’ai été opéré 4 fois. Si je suis en principe « stabilisé », ma moelle épinière est trop abimée : j’ai perdu une partie de l’usage d’un bras, plus des douleurs et divers désagréments…

Est-ce que le rapport de certaines personnes par rapport aux maladies mal connues est une forme de racisme qui a pour conséquence du rejet ou de la stigmatisation ?

Mado : en 2017, nous avons produit un dessin animé ciblé sur les cas chez les enfants. Avant je dois préciser que nos pathologies peuvent toucher n’importe qui à n’importe quel âge et peuvent aussi résulter d’un accident ! Je reviens sur le dessin animé, qui est visible sur notre site et notre compte Youtube, où justement on insiste sur la souffrance morale avant diagnostic : les enfants sont accusés de jouer la comédie, de faire semblant, etc. Effectivement il peut y avoir des rapports difficiles entre le malade et son entourage… Cela se produit aussi dans le monde du travail où la personne est prise pour un malade imaginaire.

François : 80 % des personnes handicapées en France souffrent d’un handicap invisible. C’est ça qui est terrible à faire comprendre. Les réactions des uns et des autres sont variables. Les proches d’un malade, parents, conjoints, enfants, les comprennent par la force des choses. Mais il est vrai que c’est souvent compliqué. On reçoit des messages de malades qui ne savent plus quoi faire pour expliquer à leur employeur qu’ils sont perclus de douleurs et ne peuvent pas venir travailler. Ajoutez à cela des médecins désemparés ou ignorant des pathologies qu’ils ont pourtant vues à la fac…

Faut-il plus de moyens politiques et financiers pour lutter contre ces maladies ?

Mado : le 3e Plan National Maladies Rares est enfin sorti cet été après un an de tergiversation, mais il n’est pas à la hauteur. Les associations de patients avaient demandé que les ministères de l’éducation et du travail soient aussi concernés par ce plan. Ce n’est pas le cas. Des budgets alloués aux Centres de Référence pour qu’ils accomplissent leur mission, sont versés aux hôpitaux, mais n’arrivent pas toujours au Centre concerné. Comme APAISER S&C est associée à la gouvernance de notre Centre de Référence (Chiari et malformations vertébrales et médullaires rares) et à la filière NeuroSphinx, nous avons adressé une lettre de demande de contrôle au ministre de la santé ainsi qu’à l’Assemblée nationale et au Sénat. Les réponses restent politiques et « langue de bois ». On a par exemple demandé que les frais de déplacements des représentants des associations actives vers leurs Centres de Référence pour les réunions de travail soient remboursés : refusé ! Les associations fonctionnent sur un financement de dons et d’adhésions. En gros, les politiques veulent que les associations de patients travaillent mais à condition que cela ne soit pas à la charge de l’État.

François : concernant les pensions ou allocations d’invalidité, cela relève d’un parcours du combattant parfois odieux. Trop de médecins dans des CPAM ne connaissent pas nos pathologies et prennent des décisions après n’avoir vu que 5 minutes un patient alors même qu’il a un certificat du Centre de Référence, expliquant que ses séquelles sont irréversibles ! À croire qu’il faut attendre que le patient soit dans un fauteuil, alors que son périmètre de marche est déjà réduit à 20 m avec une canne ? On voit des dossiers trainer des années avec des conditions de vie dramatiques pour certains malades ! Concernant les enfants et les adolescents scolarisés, certains nécessitent un(e) auxiliaire de vie scolaire (AVS). Il faut souvent 2 recours avant que cela aboutisse sous réserve d’AVS disponible. Or, des postes ont été supprimés cette année et dernièrement l’Assemblée a refusé de débattre sur leur rémunération et statut…

Quels sont les espoirs de la médecine dans le futur pour ces maladies ?

Mado : Dans le cas de nos pathologies, la neurochirurgie a formidablement progressé depuis une dizaine d’années tout comme l’imagerie. L’enjeu majeur, reste une fois de plus la réduction de l’errance médicale. Tout le monde sera gagnant dans l’histoire : les patients et la collectivité avec moins de frais pour la Sécurité Sociale ! Concernant les douleurs dont souffrent toutes les personnes atteintes, qui sont d’origine neuropathiques et ne peuvent être soulagées que par des psychotropes avec des effets secondaires assez gênants (somnolence, prise de poids, etc.), nous militons pour la reconnaissance du cannabis thérapeutique dont on sait son efficacité même si ce n’est pas non plus la réponse à toutes les douleurs. Nous sommes aussi très attentifs aux projets sur les reconductions neuronales. Des voies de recherche sont très intéressantes, et nous rejoignons toute la recherche sur les moelles épinières lésées. Il reste énormément de sujet de recherche, comme par exemple les troubles de la sphère intestinale très handicapants au quotidien.

François : Il y a quelques jours j’ai vu un documentaire Arte sur l’intelligence artificielle. IBM développe une IA sur le cancer, Watson, qui brasse des millions de radios, scanners, résultats de chimiothérapies, analyses, etc. pour aider un oncologue dans le traitement d’un patient. Je me suis mis à rêver d’une IA qui enregistrerait et mémoriserait tous nos rendez-vous depuis la naissance : pédiatres, médecins, ophtalmologues, etc. En consultation, on raconte souvent un petit truc bizarre, le médecin soupire, parce que ça passe comme c’est venu. Cette IA croiserait tous ces petits trucs qu’on passe sous le tapis avec des millions d’autres et pourrait un jour dire au médecin : « fais-lui passer une IRM, juste par curiosité… ». Cette IA, j’en veux bien !

Votre maladie est-elle inclue dans le Téléthon ?

Mado : l’AFM Téléthon finance en partie le fonctionnement de l’Alliance Maladies Rares dont nous sommes membres, mais cela ne va pas au-delà. Notre problématique est assez différente : notre maladie est « mécanique », elle apparait à tout âge, généralement entre 20 et 40 ans. Le « tout génétique » de la recherche du Téléthon ne nous concerne pas totalement. Comme beaucoup de maladies rares, nous fonctionnons sur nos propres budgets en répondant à des appels à projet ou organisant des collectes. Nous avons demandé au Centre de Référence de répondre à un PHRC (Plan Hospitalier de Recherche Clinique) afin de financer une recherche génétique pour la malformation de Chiari, dont nous savons qu’il y a des formes familiales. Cela a été rejeté. Nous avons encouragé le Centre de Référence à rechercher d’autres financements et c’est encore un parcours du combattant.

Un mot de fin ?

Mado : Toujours dans notre objectif de sensibiliser le grand public, mais aussi et surtout les professionnels de santé pour réduire l’errance médicale, nous allons produire en 2019 au moins 10 clips animés de 2 minutes pour donner des mots sur nos maux. Pour cela nous organisons une collecte de dons jusqu’au 31 octobre sur la plateforme Helloasso à ce lien :
www.helloasso.com/associations/apaiser/collectes/derriere-les-mots-de-nos-maux
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Si vos lecteurs veulent participer nous les remercions infiniment à l’avance !

Le dessin animé « Rare, invisible, mais vraie… la Maladie de Léo », qui a remporté en septembre 2018 un Dauphin d’argent au Cannes Corporate Media and TV Awards est visible sur youtube : https://www.youtube.com/watch?v=AJI8JSrNn5g