Interview : Sinclair

Interview : Sinclair

On a le droit d’être jaloux de Sinclair. Il est attachant, intelligent, réussit sa vie professionnelle et personnelle et en plus dorénavant il s’émancipe. Il quitte, il coupe, prend la fuite de la route fleuris de l’industrie du disque et s’attaque seul avec les risques qui vont de paire à exposer de lui ce qu’il est. Fini la réduction de lui-même, vive l’intégral du chanteur-compositeur bête de scène. ‘Ensemble’, un, plus un, plus toi et moi cela devrait suffire à lui donner raison car forcement sa cause est juste et mérite qu’on s’y attarde.

Comment fait on pour retrouver son indépendance ?

Sinclair : « On pause son cul à un moment en se posant les bonnes questions ! la première c’est « Doit on rester victime d’un système qui ne nous convient pas ? », en ce qui me concerne cela ne me plaisait plus d’être une proie, donc ensuite est venu la seconde question « Comment fait-on pour se casser ? »

Et alors ?

Sinclair : « Là tu peux essayer de dealer ça en ami ou alors de faire la guerre. Tu t’aperçois qu’en pote ça marche pas toujours donc tu démarre une petite guerre ! tu prends des coups pour finalement en sortir vainqueur. Moi j’ai repris mon indépendance en faisant un procès à ma maison de disque en sachant que j’étais libre mais pas indépendant ! ensuite j’ai décidé de monter mon label et là tu deviens totalement affranchi ! »

Se délier d’une maison de disque, veut dire racheter son catalogue ?

Sinclair : « Tu ne le rachètes pas tu le gagnes. Comme je suis le propre producteur de mes disques, ce qui veut dire que je donne à la maison de disque d’exploiter mes albums pour une période donnée. Mes premiers albums je les ai récupérés après la fin de mon contrat chez Virgin en 1999, ensuite j’ai signé chez EMI pour 3 albums avec des closes bien précises, j’ai enregistré un album + une BO + un live et à la suite de mon procès j’ai récupéré tous mes droits. Si j’avais du les racheter je pense que cela aurait été une autre paire de manche. »

Tu comptes d’ailleurs ressortir toute ta discographie dans les mois qui viennent ?

Sinclair : « oui parce que ça me fait chier que mes disques ne sont plus en magasins. Ca me fait mal au cœur. Même si ce ne sont pas des disques qui se vendent par milliers chaque années, c’est donner la possibilité aux gens qui me découvrent à travers mes concerts de suivre mon parcours discographique. Ce qui est bien c’est que je vais enfin pouvoir sortir ces albums en mettant tout ce que je n’ai jamais pu mettre dessus : ce qui est venu un peu après l’enregistrement par exemple, des inédits qui étaient sur les maxis, etc. »

Cette sortie d’un best-of un peu spécial s’inscrivait également sous une logique de sincérité ?

Sinclair : « A la base j’ai fais un album. Un album qui arrive dans une période de ma vie ou je suis en train vraiment de changer et de m’assumer comme artiste libre qui fait ce qu’il lui plait. J’ai voulu le sortir maintenant car dans trois mois ce sera trop tard ! Je change totalement ma façon de faire de la musique et ma manière de la défendre. Il fallait clore cette période avec ce disque, en mettant ces nouvelles chansons en avant et en proposant les vieilles en bonus. A partir de lundi je rentre en studio pour faire un nouvel album. »

‘Comme je Suis’ ce nouveau projet, c’est proposer de ne plus prendre les gens pour des vaches à lait ?

Sinclair : « Je voulais combattre cette crise du disque en démontrant qu’on peut faire un double album dans un bel emballage au prix d’un simple. »

Quand tu parles que certains morceaux ne rentraient pas dans un format pour être sortis au moment de leurs enregistrements, tu veux dire quoi ?

Sinclair : « Ca veut dire que tu as parfois des envies musicales... car il y a une logique commercial qui t’empêche bien souvent de sortir ce que tu as envies. Généralement on te propose de mettre ça au dos d’un maxi, au dos d’un single pour finalement ne jamais le sortir et le laisser dans tes placards. 80 % de ma productivité ne sont pas des chansons commerciales. A mon avis, il est indispensable que les gens qui m’écoutent comprennent mon évolution. »

Avec un discours pareil tu pourrais être pris pour quelqu’un qui crache dans la soupe ?

Sinclair : « Il faut bien me comprendre, je ne suis pas en train d’expliquer que les maisons de disques m’empêchaient de faire quoi que ce soit. Elles ne m’ont jamais dis Sinclair ne fait pas ça ! Mais c’est vrai qu’à une certaine période, tu ne pouvais pas sortir de double album. L’ambiguïté c’était qu’on t’expliquais que le marché te garrottait. A partir de là, tu te trouves dans un choix crucial qui consiste soit à te marginaliser complètement, soit tu es en quête de succès parce que tu as envie que cela marche et que les gens t’entendent, et tu fais des choix... des compromis pas toujours judicieux à l’arrivée mais qui te paraissent important sur le moment. »

Cette carrière parallèle que tu souhaites exposer, te fais prendre un certain risque, en es tu conscient ?

Sinclair : « Bien sûr ! Mais je souhaite montrer qui je suis réellement. J’ai l’impression que pendant pleins de temps je ne me suis pas présenter comme j’étais, recroquevillé derrière l’image d’un mec qui fait de la musique avec une certaine prétention. Je veux que les gens me connaissent comme je suis, avec mes travers, avec des morceaux bizarre. Avoir une démarche sincère en ayant peur de rien. »

Est-ce que la tournée « club tour 2004 » que tu as entrepris était une sorte de confirmation à ta façon de penser librement ?

Sinclair : « Absolument ! On est parti sans promo, sans rien. Ca m’a permis de me dire que tous ces intermédiaires entre moi et le public n’ont pas raison ! Ils n’ont pas forcement tord mais n’ont pas raison dans la démarche. Quand ils te disent de travailler ça ou ça... ils sont tous dans une logique bizarre. Ce que je veux et c’est ce que j’ai réussit à faire c’est de mettre le moins d’entremetteur entre les gens et mon travail. Le mieux dans ce métier c’est quand même de pouvoir écrire des chansons et d’aller les chanter directement avec un public qui réagit et qui s’éclate !

Tout d’un coup tu ouvres les yeux grâce à ceux qui t’aiment ?

Sinclair : « oui ! Ce n’est pas le studio, ce n’est pas non plus l’attaché de presse qui présente ton travail en radio avec un retour qui te dis de retoucher le refrain pour finalement te retrouver perdu dans une voie de garage. En fait, ces applaudissements nous ont donné raison de nous jeter dans l’indépendance. »

Qu’est-ce qui fait une bonne chanson selon toi ?

Sinclair : « Il faut que ce soit une chanson qui passe bien et qui fasse vibrer ! Pour ma part, je ne cherche plus le tube, je souhaite faire les choses simplement avec l’idée d’arrêter les gens un instant en les empêchant de penser à ce qu’ils font le temps de l’écoute. »

Tu es l’un des seuls français à accepter cette descendance funk et groove ce qui te donne un rapport particulier avec la musique et le public ?

Sinclair : « J’ai copieusement de mal à connaître l’endroit où je me situe ? j’accepte cette étiquette car c’est une musique que j’ai beaucoup écouté et qui m’a influencé fortement dans ma manière de jouer des instruments. Ma nature et mon caractère ont trouvé à travers la musique soul et funk un répondant ! J’aime bien la fête et rigoler donc effectivement en passant par cette musique c’est encore plus simple à faire... je pense que l’on choisit la musique par rapport à ce que l’on a envie de donner, je ne crois pas que ce soit la musique qui ai changé quoi que ce soit par rapport à moi. »

Est-ce que comme le disait si bien Nougaro, le manque de pot de Sinclair c’est de ne pas être né noir ?

Sinclair : (rire) « C’est vrai mais c’est aussi un combat supplémentaire qui m’intéresse. C’est un syndrome très français d’être plus attaché au texte plutôt qu’à la musique. Nous sommes plus un pays qui préfère se plaindre que de fêter. Dans la culture afro-américaine, un enterrement est festif. Notre culture judéo-chrétienne nous tabasse dans le ciboulot des rengaines bien glauques et ce n’est pas ma façon de penser... »

En même temps avec le Latin c’est difficile ?

Sinclair : « Oui on aurait vachement de mal à faire groover le latin ! »

Le rock, la pop, le funk : n’as tu pas peur de te perdre en route parfois ?

Sinclair : « J’aurais pu me perdre à une époque mais plus maintenant. Je n’ai plus envi de partir dans 1000 directions. Je souhaite fixer des instants pour en faire un disque. Je veux que cela sorte en studio. J’ai fais le tour des productions à la Cecil B DeMille de la musique française. Je ne veux plus d’un morceau qui me demande trois mois de recherche, parce qu’au bout d’un moment cela ne change pas ta chanson ! Ma nature a tendance à être généreuse en rajoutant une tonne de trucs. Là je tourne la page avec ces manières. »

Quelle sera donc la senteur principale de ton prochain disque ?

Sinclair : « (il réfléchit) ça va sentir le bois. Le bon bois ! Ce sera technologique mais sans l’entendre. Attention, je ne vais pas faire un album de Neil Young même si j’adorerais pouvoir mais je n’arriverais pas à cette forme pure et dure. En résumé : je ne laisserais pas les arrangements et la forme prendre le dessus sur le fond. Partir sur une direction complètement épuré à base de voix. Oui : avec beaucoup de voix ! »

Tu exploses les statistiques en matière « d’attente » entre les albums ?

Sinclair : « Je ne veux plus rien attendre ! J’ai trop attendu. J’ai attendu pour rien ça donnait rien. J’ai attendu pour quelque chose ça donnait pas grand chose. Je veux gérer les choses quand elles arrivent. Bien sur je ne sortirais pas deux disques à un mois et demi d’écart avec le même titre de lancement. On va essayer de produire malin, si je sens que ce que je suis en train de faire pourrait intéresser 5000 ou 10000 personnes, je sortirais l’album en conséquence, mais ce n’est pas parce que cela n’intéressera que 5000 personnes que je ne vais pas le sortir. »

C’est exactement dans la même démarche que Jean-Louis Murat ?

Sinclair : « D’une certaine manière. Putain quand tu souhaites sortir un truc c’est important de le faire. Quand c’est là il faut pouvoir donner. »


Qu’est-ce qui restera de Sinclair avec l’épreuve du temps ?

Sinclair : « Que je suis un putain de résistant en pensant positif. »

Ton public connaît ce particularisme ?

Sinclair : « J’aime vraiment ce public qui se déplace pour me voir. Ca m’est arrivé de faire de vrais mauvais concert et pourtant ils répondaient présent. Je pense, et c’est mon cas lorsque je vois quelqu’un, que dès que la démarche est sincère tu désir suivre l’artiste. J’essaye d’instaurer une grande transparence avec mon public. Il sait qu’il n’y a pas d’escroquerie derrière. »

Qu’est-ce que c’est que ce « stick-it up » instauré sur ton site internet ?

Sinclair : « Les gens peuvent laisser des photos d’eux et pour moi c’est ça Internet : chacun doit et peut participer. On va aussi permettre aux gens d’installer des remix sur le site, qu’ils puissent mettre leurs démos, etc... »

En arriveras-tu à sortir un album sur Internet ?

Sinclair : « Le problème c’est que le MP3 c’est pas très sympa comme format ! moi ça me fait super chier, je passe des semaines en studio pour trouver la bonne fréquence et de voir ça sorti sur un MP3 pourris. En même temps j’aime tellement l’objet ‘disque’, aller l’acheter quand il est bien foutu... il faut absolument dans mon travail que cela sente la recherche artistique. »

Qu’est-ce que t’as apporté ton père dans ton métier d’artiste ?

Sinclair : « La passion de l’amour de bien faire et l’immersion dans le travail. »

Sinclair sur le net

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