Cosmo Bacchus tome 1, une plongée dans le vin des délires steineriens !

Cosmo Bacchus tome 1, une plongée dans le vin des délires steineriens !

Meybeck avec son personnage à face d’Obélix nous entraine sur la route dans une enquête autour de la biodynamie du gourou Steiner, qui a fait des émules dans le vin en France. Une enquête passionnante semée d’embuches et d’humour à déguster de la première à la dernière page. J’ai adoré !

Etrange plongée, étrange enquête d’investigation en BD dans le petit monde de la biodynamie du vin, versus Steiner !
La philosophie mène à tout même aux pires hérésies, en effet, sous le vernis d’un discours soit disant rationnel. Steiner poussa sa pensée dans les plus gros délires au nom de la nature. Steiner (1861 / 1925) le prouva en actes, quand ses intuitions ont mené (même encore aujourd’hui) par le bout du nez les adeptes de sa secte d’anthroposophie.
C’est donc une démarche très courageuse qu’à entreprise le dessinateur scénariste coloriste Meybeck de se jeter dans la gueule du loup de nos jours. Dans les cornes de la vache devrais-je dire !
Au départ de cette aventure, il y avait Meybeck lui-même en personne bouilleur de cru et bon vivant. Il rencontra Jean-Marie Lebris, un caviste breton installé dans le Sud de la France. Selon toute vraisemblance physique avec Obélix, ne serait pas fortuite. De la proposition honnête de le suivre partout chez les vignerons (dégustations comprises, hic hic hic hourra) durant un an, Meybeck accepta.

Au début je dois avouer, je n’ai pas trop accroché au graphisme et au noir et blanc tirant sur le rouge pinard, ni plus d’ailleurs à la bouille des deux compères. Même si j’ai trouvé l’idée excellente de ce road movie ou ce trip (parfois bad), pour reprendre des expressions courantes dans les années 68 pour désigner des sensations musicales sous effet de certaines substances que je suis incapable de vous nommer, puisque je n’étais pas née et je ne parle pas angliche. L’angle d’attaque ne pouvait que me plaire. Le chevelu barbu aux côtés du balèze Obélix avait de la gueule.
Première étape dans les côtes du Rhône. Et forcément la bonne humeur et l’humour triomphent de ces deux personnages biscornus. Ils ont le vin joyeux. Meybeck lit trop la littérature indigeste de Steiner au risque dans ses cauchemars de rencontrer dieu le père, Steiner, gardien du troupeau des vaches et d’être transformé en crevette pour blasphème.
Attention, Steiner à ne surtout pas confondre avec mon pote Stirner. Même consonance du blaze mais philosophie diamétralement opposée même si contemporains l’un de l’autre. Stirner visait dans ses écrits (pour aller vite) à l’émergence d’un courant anarchiste individualiste. Alors que Steiner était un illuminé dont les disciples actuels même en France cultivent ses délires.
Michel Onfray dans son pavé « Cosmos » publié en 2015 s’est intéressé au zigue. Il nous informe que 2700 fermes se réclament encore de l’agriculture biodynamique et qu’en France un label officiel certifie ces produits sous l’appellation Biodyvin. Amen. Ce ne s’invente pas !


Entrons brièvement dans l’antre de l’anthroposophie ou « la science de l’esprit » qui oppose de façon manichéenne deux mondes. « Celui de la modernité avec le matérialisme, le scientisme, la raison, la chimie, les engrais, la matière, la mort et celui positif de l’anthroposophie avec l’esprit, le corps éthéré, les traditions, le cosmos, l’astrologie, l’ésotérisme, l’occultisme, l’intuition, la nature ». (in Michel Onfray, Cosmos page 192).
De fait selon Steiner, si le monde continue sur sa lancée à suivre les préceptes de la modernité, il ira à sa perte. En revanche, s’il souscrit à l’anthroposophie, il trouvera sa planche de salut. Ca ne vous rappelle pas le discours sectaire qui oppose la Raison à l’intuition, avec la métaphore steinerienne : le sous-sol c’est le vivant, le dessus c’est la mort !
Meybeck dans ses recherches s’est inspiré du blog de Grégoire Perra, un ancien prof « Steiner » repenti. Revenu à la raison, il dégomme son maître à penser. L’anthroposophie… « C’est surtout une nouvelle religion… un syncrétisme associant divers éléments de l’hindouisme, du christianisme, du celtisme, d’autres religions encore… C’est un fatras de croyances en tous genres… elle prétend par exemple que les dinosaures crachaient du feu, que le bouddha s’est réincarné sur Mars… Mars qui est une planète liquide ! » (in Cosmo Bacchus, page 21)
Nos deux courageux héros s’engagent plus avant dans un stage de deux jours sur la formation des sols, destiné aux agriculteurs et viticulteurs, dans le but d’entendre l’étincelle de jouvence : la biodynamie qui couronnerait leurs recherches.
Ne vous emballez pas ! J’espère que vous avez l’estomac bien accroché. Selon Michel Onfray, le vin issu de la biodynamique est une « exécrable piquette ». Encore plus fort, il porte l’estocade : « Le vin biodynamique est un genre de vin de messe : il ne donne d’extase qu’aux croyants ». (in Michel Onfray, Cosmos, page 190)
Il y sans doute une raison à cela, puisqu’à la base de la biodynamie, vous trouverez de la bouse de vache bourrée dans une corne et enterrée pour en faire un fumier spirituel. Autre recette succulente qui vous met les papilles en extase avec un peu d’imagination racornie. Brûlez des petits rongeurs écorchés et pulvérisez leurs cendres pour éviter que leurs frangibus continuent à fiche le souk ou cousez des fleurs dans des vessies de cerfs, ou remplissez le crâne d’un chien avec des écorces de chêne. Ensuite buvez cul sec !
Je vous passe les pérégrinations de nos deux héros, qui BINGO touchent le gros lot et parviennent à s’immerger dans l’antre du vin biodynamique et ce cirent la chique.

Je passe sur l’hypothèse à creuser d’un autre délire sur la race aryenne, selon Steiner, évoquée en page 54 et 83.
Vous l’aurez compris, cet ouvrage très bien construit selon les rituels d’une enquête d’investigation sur le sujet de la biodynamie et les relents de Steiner, creuse, déterre, met en bière (ah ah je ne pouvais pas la rater ct’e blague avec le vin, d’autant que je viens de décapsuler avec les dents une bière danoise, pour me faire passer le gout du picrate évoqué entre ces pages.
Il y a les doutes, les questionnements de l’auteur qui surgissent. Meybeck les met en aplats pour son lectorat, comme un signe distinctif de complicité avérée. On avance, on recule, on s’interroge, on avance encore. En un mot c’est passionnant. Il Plonge dans ses sources d’informations qu’il nomme à la fin de l’ouvrage, comme pour nous accompagner à aller toujours plus loin. C’est pour vous dire la qualité du bonhomme et le respect qu’il accorde à son lectorat !
De toutes les BD que j’avais lues concernant la vie de château et le vin adaptées en série TV à gerber, pour une fois, je peux dire que je me suis régalée avec l’ouvrage de Meybeck.
L’auteur pousse même le bouchon très loin à la fin de la BD. Il se pose la question cruciale pour le tome 2, après la biodynamie, pourquoi ne pas aller faire un saut à la Vinexpo de Bordeaux en juin ? Obélix y va de sa verve habituelle et le dissuade. « Les magouilles des châteaux pour les appellations, les magouilles dans les caves pour maquiller les vins… » (page 84) Meybeck se tâte justement. « Le problème, c’est que si tu critiques uniquement les petits biodynamistes, on va passer pour des gros réacs ». (page 84)
Chapeau l’ouverture d’esprit, j’apprécie. D’autant plus qu’il ouvre des portes pour le second tome du côté de chez moi, à Listrac dans le Médoc. Il va donner la parole au valeureux combat de Marie-Lys Bibeyran, présidente du collectif Info Médoc Pesticides.
http://www.sudouest.fr/2017/10/09/pesticides-manif-dans-les-vignesun-long-combat-juridique-3845502-2970.php
Chapeau encore pour la qualité des propos, le travail intense et immense, l’enquête en immersion d’intérêt public qui a sécrété plusieurs mois de préparation avec l’élaboration de l’album proprement dit à la première personne du singulier. Puisque l’auteur, c’est aussi l’illustrateur, le parolier, l’homme-orchestre de cette BD formidable.


Meybeck : Cosmo Bacchus 1. Lucifer, éditions Eidola, février 2018, 86 page, 15 euros

Copyright, visuels : éditions Eidlola

Meybeck sera présent aux prochaines Estivales de la BD de Montalivet, les 21 et 22 juillet 2018.