Portrait de Malika Madi

Portrait de Malika Madi

Next (F9) vous propose des portraits de personnalités connues ou inconnues, des poètes ou des vendeurs de boutons, des gauchos ou des gauchers. L’important est de rêver. Chacune des personnalités est contactée personnellement, décide de sa photo à publier et raconte à Patrick Lowie un rêve marquant. Précision d’usage : ce portrait est un portrait onirique, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie.

Je n’ai rien fait, j’avoue. Combien de nuits sans se réveiller ? Sans s’émerveiller ? Mes journées en apesanteur dans l’attente de nouvelles saisons saumâtres. Mes nuits sans agitation, sans regret, sans évolution. Le train fantôme avance-t-il seul dans la nuit, ne suis-je plus maître de rien ni de personne ? Libre, informer ou ouvrir un débat, qu’importe ? Je n’ai rien fait, j’avoue. Une belle femme élégante, qui n’attise pas que le désir, est assise sur un banc de musculation, endormie, épuisée, coincée contre les murailles de son labyrinthe onirique. Je ne veux pas la prendre par les mains, ni l’entraîner dans mon sillage. Il neige sur le labyrinthe végétal du parc Schönbusch à Aschaffenbourg. Mes rancœurs circulent dans les veines fines, invisibles, inutiles et se meurent dans son cœur dilaté par l’ennui. La femme se lève et se transforme en bibliothèque. Je choisis un livre, je l’ouvre, je choisis un chapitre, une ligne qu’il faut dévoiler. Je déchire la page qui s’échappe avec le vent. Je reconnais la femme-bibliothèque, c’est Malika Madi, écrivaine belge d’origine algérienne ou algérienne d’origine belge, qu’importe ! Tout devient miel, plus irréel encore. Au loin, les bâtiments de style néoclassique s’effondrent très lentement. Sans mémoire, je me demande encore, vous êtes qui ? me dit-elle d’un sourire mélancolique. Je réponds péniblement, comme si l’humanité mettait tout son poids sur mon corps dépourvu de désir : je m’appelle Patrick Lowie, je suis à la recherche de l’arbre planté au cœur de ce labyrinthe, je ne m’en sors pas dans ce monde d’impasses et de fausses pistes. Toutes les voies mènent à des culs-de-sac.

Elle me répond qu’elle aussi s’est vite perdue avec tous ces tracés sinueux et ces nombrables embranchements. Elle continue : avant votre arrivée, je dormais et en dormant je rêvais. Je parlais à un inconnu, je lui disais qu’il faisait revivre mon père, qu’il n’était pas mort, qu’ils se sont trompés à l’hôpital, que son cœur fonctionnait parfaitement et qu’il restera en bonne marche pendant longtemps encore, j’étais une gamine dans le rêve et tellement heureuse de revoir mes parents se parler à nouveau. Elle me précède dans la marche titubante pour retrouver la sortie ou l’arbre, ou les deux, guidée par le goût du miel, la nuit s’écrase sur ses mots : quelle atroce déception qui inonde notre subconscient couard au point de nous torturer au moment où nous sommes dans le lâcher prise du sommeil. Je me tourne, me retourne, reprends le contrôle de la situation. Le cœur bat la chamade, les tempes sont brûlantes, l’esprit en feu mais ma réaction est immédiate : la journée sera longue, si ce rêve s’installe dans le champ du conscient, Morphée désertera ma nuit définitivement. Alors je glisse et il reprend mes esprits. Après plusieurs tentatives, après plusieurs heures de marche laborieuse, nous arrivons enfin, le labyrinthe semble s’être déplacé dans une forêt sans canopée, sans écosystème. Un ange nu et asexué dit : Cuius est solum eius est usque ad coelum et ad inferos puis s’envole tel un hibou effrayé. L’arbre n’y est plus. Arbre abattu. Vendu au plus offrant.

Un trou, on observe les entrailles de la Terre. Là-dessous, un océan dissimulé. Malika Madi, les yeux fermés, sans se faire prier dit : tu t’accapares d’invraisemblables chemins de traverse où je marche nus pieds sur les trottoirs d’une ville inconnue…, voilà que maintenant je suis la passagère d’une voiture roulant sans chauffeur et lorsque je le réalise, je tente de gagner le volant mais au prix d’incroyables contorsions… je me dispute avec ma mère, je hurle, lui jette à la figure toutes les invectives que je thésaurise depuis des temps immémoriaux et je prends la fuite le plus loin possible en voiture, là aussi… je suis à Paris, à Alger… à Los Angeles, à Moscou… je suis dans un nouveau chez moi mais plus petit que celui réel… je fais un autre bébé… je suis dans un mensonge que je divulgue à celui à qui je mens…, je suis dans ma chambre d’enfant…, je suis sur le chemin de l’école…, je suis dans une classe ou j’anime une conférence… je suis spectatrice d’une eau qui se déchaîne au rythme d’un vent effroyable… je suis dans une rue enneigée où la bise gifle mon visage et mon corps couvert d’une simple tenue d’été… je suis loin des miens sans savoir quand je les retrouverai … je suis perdue dans une ville inconnue couverte d’eau…, je suis… lorsque le gong retentit, violemment, et me libère de ton emprise. Je me redresse, lasse, épuisée, soulagée. Le monde onirique est parfois plus douloureux que celui réel qui s’expanse autour de nous. Nos peurs tapies dans les méandres de notre esprit, plus difficile à affronter que celles que l’on regarde face à face, les yeux dans les yeux. Elle n’ouvre pas les yeux. Elle fait un geste, rien à cirer, elle n’a plus pied, elle glisse dans l’océan sous terre. Pour se libérer. Le nouveau monde est là, preuve empirique.

Pourtant, je n’ai rien fait, j’avoue.

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