Portrait de Carl Jaro

Portrait de Carl Jaro

Next (F9) vous propose des portraits de personnalités connues ou inconnues, des poètes ou des vendeurs de boutons, des gauchos ou des gauchers. L’important est de rêver. Chacune des personnalités est contactée personnellement, décide de sa photo à publier et raconte à Patrick Lowie un rêve marquant. Précision d’usage : ce portrait est un portrait onirique, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie.

Le désir c’est la distance à parcourir entre la soif et la fontaine qui recule au fur et à mesure qu’on avance vers elle, me dit d’une voix grave Dany Lafferière. Dans le rêve, nous sommes dans une galerie d’art à Montréal. Mes auteurs haïtiens préférés sont là, des amis aussi. Ce cher Rodney Saint-Éloi, qui me promet un rêve depuis si longtemps en ajoutant : sur les mangroves, je te jure. Tout ça dans un rêve qui part de Cavaillon, paysage blessé par sa douce rivière asséchée par les mensonges, des galettes de cassave emballées dans un tissu humide, humide d’on ne sait quoi. Un très beau jeune homme sort de la galerie Blanche, 221 rue Saint-Paul O et nous rejoint dans la péninsule de Tiburon. Je traverse la route, une voiture à vive allure me percute violemment. Je ne sens rien, me relève, le jeune homme s’approche et dit : vous avez de la chance d’être encore vivant. Je me présente : Carl Jaro, je suis mannequin, réalisateur engagé et acteur. Je viens de réaliser un film : « Les amants de couleur ». Il est possible que je classe ce rêve dans le tiroir des songes étranges, sans sens, des rêves allégoriques. D’autant que la colonne sonore de ces images ressemblait à une playlist de musique brésilienne des années soixante-dix. En me relevant je constate que mes amis poètes ne sont plus là, et je dis au jeune homme : moi, c’est Patrick Lowie, je sors d’un rituel vaudou de magie rouge, la devise de mon pays est « L’union fait la force », j’écris des mots dans l’herbe bleue, je ne compte plus les coups. Où sommes-nous ? Le jeune homme m’explique que nous sommes à Haïti et que nous allons marcher quelques heures. Puis me lance : c’est comment le rêve d’un Belge ? Ma réponse fut brève. Et le rêve d’un Haïtien ?, lui dis-je. Il s’arrête net, lève la tête de fierté et dit : si le 1er janvier 1804 est une date de référence pour tous les peuples opprimés du monde en quête de liberté, d’émancipation et d’indépendance, la situation actuelle du pays s’apparente à un instrument de torture, à une mixture d’avilissement, d’asservissement, d’humiliation et de souillure jetée à la face de tout Haïtien. La réussite individuelle aura toujours le goût rance de la misère qui règne en seigneur sur la terre d’Haïti. Il n’y a pas un coin du monde où des âmes haïtiennes ne pleurent dans le deuil pensant à ces vies qui se sont sacrifiées pour la liberté et qui caresse au fond de leur cœur le secret désir de s’affranchir des étreintes de l’exil. Nombreux sont morts en attendant ce jour. Le flambeau nous a été transmis non seulement pour que ce rêve vive mais aussi et surtout pour qu’il devienne réalité. Haïti hante, déroute et refuse de laisser la vie continuer sans elle. Alors, cher compatriotes, la flamme que je tiens symbolise l’amour que je porte à Haïti c’est aussi le désir ardent qui brûle en moi de voir la paix, la joie, la liberté vivre dans le cœur de tout Haïtien, mais pour ce faire nous devons nous unir pour notre Haïti. 

Ma première réaction a été l’étonnement, je pensais que le « petit prince d’Haïti » allait me parler de l’amour entre hommes aux Antilles, des amants de couleur, des tabous ravageurs, immondes, meurtriers. Le silence enveloppe nos corps qui marchent à nouveau vers la destination inconnue. Où allons-nous ? dis-je sans conviction. Silence encore et toujours, comme s’il méditait, transcendait, créait, se réinventait. Nous arrivons enfin. Où sommes-nous ? Il me répond que ce lieu s’appelle « Lohier ». Ne cherchez pas sur Google Maps, vous ne le trouverez pas. Il s’éloigne puis revient. Vous savez ce que signifie pour moi Lohier ? lui dis-je. Il me fait signe que non de la tête. Lohier est le nom de mon aïeul, à l’origine notre famille ne s’appelait pas Lowie. Que vous me m’emmenez ici dans ce rêve sur une terre inconnue qui porte le nom de mes ancêtres est particulièrement énigmatique.Y a-t-il un volcan dans le coin ? Nous échangeons un regard entendu qui ne me déplaît pas vraiment.

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