Portrait de David Linx

Portrait de David Linx

Next (F9) vous propose des portraits de personnalités connues ou inconnues, des poètes ou des vendeurs de boutons, des gauchos ou des gauchers. L’important est de rêver. Chacune des personnalités est contactée personnellement, décide de sa photo à publier et raconte à Patrick Lowie un rêve marquant. Précision d’usage : ce portrait est un portrait onirique, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie.

Un jeune homme à la peau noire, vêtu de noir, est assis dans un fauteuil Chesterfield 1930, en cuir marron, une revue à la main. En couverture : Interview de David Linx, le magazine est daté « octobre 1988 ». Tout en lisant, il fredonne en boucle : le temps c’est pas de l’argent, le temps c’est le temps, vous avez fait l’argent, nous avons fait le chant. [1] Le jeune homme a un charme surnaturel, une posture élégante, un brin de mystère illumine en permanence le fond de sa pupille, sa tête est droite, presque rigide, comme tenue par un câble depuis le sommet du crâne. Je suis assis à une autre table, dans un autre fauteuil Chesterfield 1930 au même cuir marron. Je ne lis rien, j’observe, je regarde les passants dans la rue. Peu importe l’époque, peu importe la ville, peu importe le rêve, je me sens serein, la mâchoire relâchée, le corps débridé. Cette sérénité trop rare cache un événement à venir, une apparition imprévue, une sensation d’équilibre, même ma voix n’est plus la même, elle est devenue gutturale et caverneuse. Lorsqu’en arrivant, j’ai demandé au jeune homme vêtu de noir, une cigarette, je n’ai pas reconnu ma voix et lui-même, qui ne me connaissait pourtant pas, avait l’air étonné de m’entendre, comme si le timbre ne correspondait pas à l’enveloppe. Je me sentais légèrement groggy, du bout des lèvres sèches, il me l’a allumée. Une jeune femme à la peau blanche s’est approchée timidement de lui : monsieur, excusez-moi de vous déranger, êtes vous un des musiciens du groupe en concert ce soir ? Il répond sans ambages : non madame, je suis le maire de cette ville.

Un homme entre dans le hall, il commande un whisky sans glace, demande de le mettre sur son ardoise au nom de Norge. Le groom rétorque qu’il ne le connaît pas. Je suis l’antiquaire de cette ville, dit-il en substance. Norge, ça me disait quelque chose, mais c’est une autre chanson. Il règne dans ce lieu désormais un écrasant silence, le jeune homme à la peau noire, le maire de la ville, dépose la revue sur la table et se lève, quitte cette scène de film, mon regard est attiré par la sortie de secours, une porte qui s’ouvre sur un immense chuintement, un homme apparaît, deux boîtes à pizza à la main, la cinquantaine, je le reconnais, c’est David Linx, nous nous connaissons depuis 1988, depuis Hungry Voices, un artiste que j’ai toujours aimé, profondément, jamais perdu de vue, il a l’air pressé, désemparé, perdu pourtant… il s’avance vers moi : Patrick Lowie, comment allez-vous ? Venez, je cherche la scène, je ne voudrais pas qu’ils commencent sans moi. Il m’emmène vers la sortie de secours, me précède dans les couloirs, et comme par magie, ce ne sont que les rêves qui nous procurent cette magie-là, nous sommes au Palais des Beaux-Arts à Bruxelles. Il me donne les deux boîtes à pizza, il ouvre une première porte qui donne sur une énorme vitre d’aquarium avec plein de poissons dedans, petits poissons, gros poissons, requins. Il la referme rapidement. Au loin, on entend un orchestre, un groupe, jouer l’introduction du concert de David Linx. Il ouvre une autre porte qui donne sur deux superbes tableaux : à droite Les Bêtes De La Mer de Henri Matisse et à gauche Jeune garçon au cheval de Pablo Picasso. Il referme la porte après avoir eu un moment d’hésitation, moi aussi, le jeune garçon sur le tableau de Picasso a la peau noire et ressemble trait pour trait au maire de la ville. Après avoir refermé cette porte il en ouvre une autre encore qui donne à nouveau dans le hall où j’étais assis. Case départ. Je dis à David Linx : avez-vous essayé la cave ? On entend le groupe répéter pour la énième fois l’introduction du concert. On descend dans la cave, on court dans les couloirs, il ouvre enfin la bonne porte, on se précipite tous les deux sur scène. Que fais-je là ? Dans la fougue de l’instant, j’ai oublié de freiner. Je suis là, ridicule, à côté de David Linx, deux boites à pizza dans les mains, comme un papier mal plié, le public applaudit, aux premiers rangs : James Baldwin, Miles Davis, Mark Murphy, Nathan Davis, Diederik Wissels, Maurane, Claude Nougaro, Viktor Lazlo, Caetano Veloso,… tout le monde est là, même le maire et son cheval blanc. Lorsque David Linx veut chanter, il se rend compte que le pied de micro est tellement haut qu’il n’arrive pas à l’atteindre, ce n’est qu’en sautant après la troisième fois sur un trampoline qu’il arrive à l’attraper, …. mais tombe.

Assis à la terrasse du restaurant le Vieux Moulin à Saint-Paul-de-Vence il me dit : je fais souvent ce rêve, je me réveille en sueur. C’est à ce moment que je lui dis qu’il existe des voix maléfiques, des voix affamées, des voix bénéfiques, des voix nourricières, des voix oubliées. L’antiquaire remonte la place en nous saluant de la main gauche et en murmurant le joli petit vent du matin qui glousse avec sa voix de satin [2], je sais que j’aurais aimé terminé par une nouvelle histoire, un nouveau blues, un autre poème, une autre magie, …. David Linx ouvre la bouche sans rien dire, j’entends le chant de la vie.

Crédit photo : Amaury Voislon

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