Gueule de fer, gueule d’enfer de Pierre Hanot

Gueule de fer, gueule d'enfer de Pierre Hanot

Livre après livre, cela ne se dément pas, Pierre Hanot a un putain de style ! Cet écrivain musicien, expérimentateur touche-à-tout écrit avec une gouaille inimitable, on se délecte de ses expressions, de sa patte, de ses tournures jubilatoires, de cet amour des mots qui claquent et qui donnent (toujours) du sens.
Finalement il pourrait raconter n’importe quelle histoire que ça le ferait quand même, qu’on serait captivé jusqu’au bout, Hanot est le dernier stylisticien français, il écrit comme personne et c’est bien la plus belle chose qu’on puisse dire à propre du travail d’un homme de Lettres. Sauf que là, pour le coup, Pierre Hanot a trouvé un bien beau sujet, historique, original dans lequel Pierrot s’est glissé avec la bonne distance proximité. Hanot est devenu l’hagiographe romanesque d’Eugène Criqui et c’est juste une réussite totale, vintage et intemporelle à la fois, un très bon livre qui ferait un grand film !

Eugène Criqui a existé dans la vraie vie et il a eu un parcours peu commun. Mobilisé en 1914, il a été défiguré en 1915 à cause d’une balle explosive.
Cette destruction de la face n’a pas altéré son mental et son envie d’être un champion de boxe, le phoenix Criqui a eu une renaissance et il est devenu champion du monde en 1923 après une greffe d’une plaque de fer dans le bas du visage pour consolider sa mâchoire.

De manière assez incroyable Pierre Hanot devient le frangin de plume de Criqui et nous raconte l’histoire de ce drôle de boxeur à la gueule cassée par la guerre comme si on y était. L’ambiance y est, le parler aussi, les images, les métaphores, les clopes, l’alcool ("L’ivrognerie en cataplasme") et les beaux et bons sentiments, aussi.

Certains passages sont sublimes "Elle a baisé. Elle a baisé sa balafre, a embrassé sa bouche suturée, sans pathos elle a baisé tout ce qui l’humiliait puis ils ont fait l’amour".
Qui mieux que Pierre Hanot sait parler de l’unique de la différence, des petites gens, du populaire, du talent, du handicap et de la force de caractère ?

Tout est beau dans ce livre, de la couverture qui pastiche avec beaucoup d’élégance les livres anciens à la face marquante de Criqui qui a un sacré charisme malgré les accidents de la vie car la beauté ce n’est pas la perfection, c’est l’harmonie.

Le Destin de ce roi du KO est tout ce qu’on attend d’une oeuvre romanesque, il y a le fond, la forme, la tendresse, la force, la résilience, le malheur, l’amour et le courage.
Quel bel exemple de détermination qui devrait toucher le plus grand nombre et qui fait du bien dans une époque où des gens se plaignent de vivre dans un pays sans guerre et ne sortent pas de chez eux quand ils ont un bouton sur le nez. Eugène Criqui est un héros au sens noble du terme, qui choisit un sport aussi noble pour devenir le champion des champions aux Etats-Unis, une exemple de la France qui gagne.

Pas envie de paraphraser plus cette oeuvre marquante, touchante, sublime et prenante qui se dévore rapidement tant on est pris par ce beau monde narré avec tant de talent(s) et force de mise(s) en scène(s).

Pierre Hanot et son frérot Jumeau Criqui réussissent, en duo, le combat littérature parfait, victoire aux poings pour ces deux-là. Cette rencontre par les mots est un magnifique moment romanesque. Et il n’y a pas de meilleur roman sans vérité(s). On est dans l’intégrité, le respect, la dignité et l’honnêteté intellectuelle la plus grande.

A lire absolument, à posséder car cet objet-livre mérite une belle place dans votre bibliothèque. Pour les amoureux d’art, d’Humain, de littérature et de sports.

Gueule de fer, Pierre Hanot, la manufacture des livres, 2017, 18,90 euros