Grise, Sandrine Rotil-Tiefenbach, Sulliver

Grise, Sandrine Rotil-Tiefenbach, Sulliver

Des chapitres courts d’une extrême densité et particulièrement bien ciselés, une grande maîtrise formelle qui se dégage du début à la fin de l’oeuvre. Une temporalité théâtrale, matin, midi, après-midi et soir, où chaque mot est pesé, chaque effet est pensé avec une grande justesse, une efficacité redoutable. Comme une pierre normale qu’on aurait polie pour en faire un diamant, grâce à un savoir-faire inouï. Cette impression d’être à chaque ligne dans la substantifique moelle de la phrase, celle qui donne le plus de sens et d’émotions. "J’ai toujours eu un problème relationnel avec le temps". Une temporalité objective dans laquelle tout se disloque comme les montres molles de Dali, mais en mots si précis qu’ils touchent l’âme et le coeur. Un rythme, hypnotique, mais jubilatoire.

Une écriture tellement bluffante, unique et inventive qu’elle pourrait se passer de toute continuité narrative mais qui, pourtant, a de plus, un fond ultrasensible cohérent, une vraie montée dramatique et tous les ingrédients d’un bon roman classique dans un style qui ne l’est pas, un style plus libre, plus affranchi que ce qu’on a l’habitude de lire.
Nous sommes dans une disparition progressive, haletante, hallucinée et hallucinante.
Parfois il faut beaucoup se perdre dans sa tête pour mieux se retrouver après, corps et esprits.

"Grise" c’est l’histoire de Blanche, un prénom qui ment car elle se déclare tout sauf immaculée. Peu de femmes sont autant écrivain que l’est Sandrine Rotil-Tiefenbach et nous sommes, mine de rien, dans de la grande littérature, au coeur même d’un petit bijou romanesque. Une voix qui témoigne de cette énigme complexe qu’est la sensibilité féminine.

Blanche qui s’avère finalement être devenue grise puis translucide, comme transparente dans ce monde, dans un Paris étrange où les pendules n’avancent plus, vit une succession de situations hors normes. La perception des phénomènes les plus simples semblent altérée par une curieuse mécanique ou alors c’est le monde qui devient fou.
Réalité, fantasme, fuite, coma conscient, manifestations inconscientes, peu importe. Ce qui compte c’est la narration, quasi en direct, de tous ces ressentis intimes.

Une traversée de Paris dans un univers parallèle qui fait regretter le monde habituel. L’envie de retrouver sa maison et son chat, et lui parler encore et encore. Comme l’impression d’être, en temps réel, l’héroïne d’un film. Une errance entre deux mondes pour mieux comprendre ses désirs secrets, la profondeur de son psychisme, la multiplicité de son unique, de son originalité et de son style onirique, sublime et beau.

La Littérature c’est ce qui n’est ni la peinture, ni la musique, ni le chant, ni la danse, ni le théâtre, ni le cinéma. C’est ce qui ne se dit pas autrement que par la prose.
Celle de Sandrine Rotil-Tiefenbach est éminemment poétique, sensitive, fantasmagorique et forte, comme une empreinte, il y a une patte, une griffe, des yeux de chat sur le monde.

"Grise" est un roman pas classique qui pourrait devenir un classique de la Littérature. L’auteur est un écrivain avec laquelle il faut désormais compter.

GRISE, Sandrine Rotil-Tiefenbach, Sulliver, Postface de Jean Orizet,110 pages, 11 euros
http://www.sulliver.com/livre_sandrine-rotil-tiefenbach-grise_9782351221563.htm
https://www.youtube.com/watch?v=L1lZkvyFLRI