Portrait de José Alessandro

Portrait de José Alessandro

Next (F9) vous propose des portraits de personnalités connues ou inconnues, des poètes ou des vendeurs de boutons, des gauchos ou des gauchers. L’important est de rêver. Chacune des personnalités est contactée personnellement, décide de sa photo à publier et raconte à Patrick Lowie un rêve marquant. Précision d’usage : ce portrait est un portrait onirique, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie.

Nothing in this book is true, I made it all up. [1] C’est à peu près ce que je pourrais écrire à propos de ces portraits oniriques lorsque nous publierons le livre. J’essaye de ne pas oublier que rien n’est réel dans ces courtes histoires humaines. Je suis assis au bord du lit à baldaquin en bois d’une chambre de l’Hôtel Castel à Canoas, petite ville proche de Porto Alegre au sud du Brésil. José Alessandro, comédien dans une de mes pièces Le Plongeoir, m’a donné rendez-vous ici dans cette ville, dans sa ville natale en insistant au téléphone : mais, surtout, ne me faites pas pleurer. Dans la pièce de théâtre, il jouait un monologue, le mystère d’une langue, il jouait un narrateur du moyen-âge, il jouait Jésus aussi. Le papier peint de la chambre est composé de boutons, boutons en bois, colorés, en céramique ou en polyester. Les évangiles sur l’appui de fenêtre. Le temps passe mal, le téléphone sonne, comme dans les vieux films, je sors de la chambre, le livre quand je sortirai d’ici de Chico Buarque et un bloc-notes vierge sous le bras, je descends, j’entends le bois des escaliers craquer sous mes pas, dans le hall de ce château, un jeune homme pousse la chansonnette. Je pense à la phrase lue et soulignée au crayon à l’instant jusqu’à ce que je frappe à la porte d’une pensée vide qui m’entraînera vers les profondeurs où je rêve d’habitude en noir et blanc [2] Le chemin s’élargit sous mes pas, et mes pieds ne trébuchent pas. Pas encore. Dehors, il pleut comme à Budapest. Je me sens comme un vieux monsieur qui a l’air de se trouver mal, mais je me persuade d’aller trop bien. J’avance et je m’étonne de voir un port dans cette ville. Au bout de la jetée, la nuit tombée, je vois José Alessandro observer les très vieux et rouillés navires chavirés se précipitant les uns sur les autres comme un jeu de domino. Vous savez José, lui dis-je, le domino me fait penser au lancer d’osselets de divination du chamane. Notre société est passée du hasard pur au hasard qui rapporte de l’argent en passant par le hasard organisé. Mais se retrouver ici, n’est pas un hasard. Sans se retourner, il me dit que l’eau était claire mais qu’elle devient sombre, de la boue, un élément fort et perturbateur allait nous ébranler. Vous voyez, me dit-il, les corps là-bas sur la plage, des corps en ciment. L’eau était claire avant, aujourd’hui tout est sombre, figé, où trouver la force pour bouger tout cela. Je pleure toujours au réveil, larmes cristallines. Je lui explique que la joie ne peut être feinte, qu’elle doit être faite de sérénité, la tranquille pensée, et d’intensité. Je m’avance encore un peu, les bateaux s’entremêlent … José, pourquoi m’avoir fait venir jusqu’ici ? Sommes-nous innocents ? Sommes-nous les meurtriers de ce monde ? Rappelez-vous le monologue… « Les délits. L’énergie négative. La violence. Les tortures. Tout ce qu’on fait subir aux autres nous revient en plein visage. » [3] Le vent s’enfuit. Il me raccompagne jusqu’au château. Jusqu’au pont levis à flèche. Une madone illumine la voie. Il me dit qu’il n’avait qu’une seule phrase à me dire, et qu’il ne pouvait la dire qu’ici dans sa ville natale : « Le Plongeoir » doit reprendre forme, on doit le rejouer, revenez ici ! Je promets, je rentre au château, le jeune homme chante toujours, les doigts sur le piano, seul, sans affrontement, sans spectateur, pour qui chante-t-il ? Il se noie dans ses notes pour oublier l’ombre de ses désirs. En montant les escaliers, une ombre d’enfant tombe jusqu’en bas. Je retrouve mon lit à baldaquin et je me réveille, les écorchures de nos vies diffusent dans le tissu imprégné comme dans une éponge. Le téléphone sonne. Je sors d’ici, je sors de ce rêve.

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photo de Yuri Ruppenthal