Portrait de Cathy Galliegue

Portrait de Cathy Galliegue

Next (F9) vous propose des portraits de personnalités connues ou inconnues, des poètes ou des vendeurs de boutons, des gauchos ou des gauchers. L’important est de rêver. Chacune des personnalités est contactée personnellement, décide de sa photo à publier et raconte à Patrick Lowie un rêve marquant. Précision d’usage : ce portrait est un portrait onirique, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie.

Je dis : nous ne savons plus nager. Nos corps à leur merci. Je sais trop bien comment tout cela va se terminer. On plonge, poussés par l’attraction de l’abîme. Mondes insondables dans d’autres décors.

La façon dont Cathy Galliègue me regarde après avoir prononcé ces quelques mots, c’est comme si j’étais mort et que je m’observais. Étrange rencontre dans ce rêve, dans un jardin d’arbres à boulets de canon, arbres sacrés des hindous, fleurs éphémères au grand disque staminal portées au vent, j’imite un serpent qui recrache un autre serpent vivant. Elle me dit : vous devriez faire du théâtre. Un serpent vivant sort vraiment de ma bouche. Elle hurle. Tout cela me semble normal, tout cela me ressemble. On entend des oiseaux s’effrayer, une longue fusée envoie un astronaute astigmate dans l’espace, ouvrier de l’espace que j’aurais aimé aimer. Je bois de l’eau sale qui sort de l’écorce. Les feuilles tremblent, je tremble comme elles, de bonheur. Après un long silence inutile, elle me dit : Patrick Lowie, il m’a basculée sur la table ronde et je n’ai rien dit, je l’ai laissé faire. On voit la fusée s’émanciper dans un ciel triste orangé angoissé. Je ne réagis pas, je savais déjà tout. Tout se fane en un instant, fraîcheur perdue, faut-il toujours se souvenir ? C’était une soirée où tout se fait, tout se défait, tout est permis, je le savais. Je lui ai demandé : c’est qui ? Un roi, un président, un mafieux, qu’importe. Ça faisait un moment qu’il la matait en biais avec l’œil qui frise. J’imagine la scène, la fusée disparaît dans le néant sans faiblir. Une poussière tombe dans mon œil. Je le ferme, l’enferme, le jardin se transforme en kaléidoscope imaginaire, le monde autour de moi change tellement, tout devient danger. Elle poursuit : j’étais à trois ou quatre hommes de lui, enfoncée dans un immense canapé très design en cuir blanc, jambes croisées, sirotant mes coupettes de champagne à la volée, écoutant les hommes sérieux se lâcher au fil des heures d’ivresse. Les boulets de canon tombent et écrasent des colonies de desmiphora, la suite de la conversation tombe comme un fruit mûr : les immenses portes-fenêtres étaient ouvertes sur le parc. C’était l’été. Un été de canicule comme on en voit rarement. Les cravates se sont desserrées, les deux premiers boutons ont sauté sur des torses souvent flasques. Sauf le sien. C’était une soirée en noir, blanc et doré. Une soirée Eyes Wide Shut, sans masques, sans plumes, sans femmes. Je me souviens lui avoir répété : mais de qui s’agit-il ?

On marche, anonymes, nus, décoiffés, refaire lentement le grand parcours dans un labyrinthe invisible. L’œil sans poussière voit à peine, la sève monte dans les arbres sans tête, la scène est biblique, avec ses moments dissipés, j’essaye de croiser son regard mais je ne la reconnais pas. Elle ralentit le pas, s’arrête, lève la tête et poursuit : et je suis là, sur le dos, jambes ouvertes, matant les moulures dorées au plafond. Il y en a beaucoup trop. Beaucoup trop de monde aussi. Des gens qui passent, une coupe de champagne à la main. Des hommes débraillés, rien que des hommes. Et puis eux, les men in black, oreillette, costard, lunettes noires, visages fermés. Ils m’angoissent, ceux-là. Des fauves s’approchent et viennent boire aux fontaines à vin illimitées. Les lieux deviennent un espace de détente, j’ai la sensation d’être un pèlerin, le dernier desmiphora de la colonie rend l’âme écrasé par l’ultime boulet de canon. Ma barbe pousse, je la sens malheureuse. Comme perdue dans son histoire. Me raconte-t-elle un rêve ? C’était qui ? Qui ? Je lui demande si elle écrit des rêves, des romans, des poèmes. On assiste à une orgie entre animaux au fond du parc, la nuit tombe. La nuit, je mens – murmure-t-elle, écrire, c’est parler dans le noir à quelqu’un qu’on aime très fort. J’ose lui dire : oui, mais vous aimez qui ? Silence. Une deuxième poussière tombe dans l’autre œil. Je ne vois plus rien. Juste la sensation d’être au milieu de danseurs du ventre plat au parfum d’un trip boisé. Les rythmes s’accélèrent. Puis-je continuer mon récit ? Il s’est allongé à côté de moi. Son bras touche le mien, il s’agite, je le sens. Mais je regarde toujours le plafond pour ne pas voir les gens qui doivent me regarder, j’en suis sûre. Pour ne pas le regarder, lui. Je sais qui il est. Tout le monde sait qui il est, tout le monde est là pour lui, pour le servir, rire en même temps que lui, lui taper un coussin dans le dos, l’éblouir d’un trait d’esprit, d’un mot bien senti. Que ne ferait-on pour lui ? Il m’a basculée là, avec son air mi-goguenard mi-lubrique, celui des hommes dont les yeux puent le trop-plein d’alcool et le manque de sexe. Qu’est-ce que je fous là, jambes écartées sur une table ronde dans un immense salon doré. Où est ma culotte ? Nous sommes côte à côte, son bras a cessé de s’agiter, sa main se pose sur le haut de ma cuisse et puis elle monte. Jusqu’où va-t-elle monter ? Elle bute sur un mont, elle atteint son but. Disciplinée, j’ouvre un peu plus. Le Roi dit « nous voulons ». Je m’exécute dans une révérence mentale qui consiste à le laisser passer, à m’incliner. Le Roi est doué, j’en suis gênée. Devant tous ces hommes qui passent, pensez…Je tente de tirer sur ma robe, de recouvrir ma honte, mais je n’ai plus de robe. Un trench rouge traîne sur la table. Une tache de couleur qui n’est pas à moi. Je tente de couvrir au moins sa main, je n’y parviens pas. Je cache alors mon visage sous le trench, je ne veux pas voir ces hommes qui regardent, je veux que ma tête disparaisse. À l’abri, je le regarde enfin. C’est bien ce que je craignais. C’est bien lui. Un garde du corps vient près de son oreille, lui rappelle qu’il va devoir partir, que la voiture est avancée. « Un moment, répond-il, on y est presque, elle va venir, elle est en marche. »

C’est qui ? Cathy Galliègue est devenue blême d’effroi. Tout le monde est parti manger, les poussières s’envolent. Je vois à nouveau, yeux ouverts, serpents chauds enlacés entre les arbres désenchantés. Un chamane s’avance. Les esprits de la nature nous transportent vers d’autres magies. Une autre fusée s’échappe comme une bougie allumée dans la nuit. Nous sommes en Guyane, je sens mon corps endormi. Elle me prend la main comme si j’avais quatre ans. Des hommes à têtes d’élans nous évitent. Le chamane nous propose une pipe avec ses cinq éléments. Il me regarde et me dit : vous allez faire un rêve étrange, vous serez dans un ascenseur d’un bâtiment à vingt-cinq étages, vous allez pousser sur le bouton du niveau inférieur, mais l’ascenseur va monter, au premier, deuxième, troisième, de plus en plus vite, comme une fusée. La vitesse sera telle que l’ascenseur s’échappera du bâtiment, s’envolera vers le ciel, à ce moment précis, vous aurez peur, des angoisses, vous serez pris de panique, un puissant vertige affecte votre système neurovégétatif, ça vous prendra à la gorge. Ce que vous n’avez pas compris, c’est que ce rêve vous parlera de votre succès. Vous avez peur du succès car il sera fulgurant, imprévisible. Pour vous aussi, Madame. J’avance tout seul vers la piscine d’argile et plonge. En sortant de la boue, je demande au chamane : et évidemment, vous savez qui c’est ? Il sourit et prend un autre chemin. Le goût de la pipe est âcre, il plonge dans le silence. Cathy se rhabille. Moi aussi. Elle me dit : On fait quoi maintenant ? Vous savez ce qu’on dit ici ? Ou pa ka konté dizé landan vant fronmi takoko [1]

Est-ce que je serai dans l’ascenseur ? Je suis incapable de mentir, de jour comme de nuit, je lui réponds par l’affirmative. Oui, vous serez là et comme l’écrivait André Gide : « c’est dans l’abnégation que chaque affirmative s’achève. Tout ce que tu résignes en toi prendra vie. Tout ce qui cherche à s’affirmer se nie ; tout ce qui se renonce s’affirme. » Nous devons partir immédiatement à Paris. J’avais gardé ceci dans ma poche : voici une serpentine. Il s’agit d’une pierre qui éveillera vos capacités médiumniques. Gardez-la sur vous. Toujours. Vous verrez, tout changera en mieux encore.

Elle s’avance dans le labyrinthe, le trench rouge sur les épaules.

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