Portrait de Daniel Simon

Portrait de Daniel Simon

Next (F9) vous propose des portraits de personnalités connues ou inconnues, des poètes ou des vendeurs de boutons, des gauchos ou des gauchers. L’important est de rêver. Chacune des personnalités est contactée personnellement, décide de sa photo à publier et raconte à Patrick Lowie un rêve marquant. Précision d’usage : ce portrait est un portrait onirique, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie.

Francis Drake ! Vous vous imaginez Patrick Lowie, j’ai vu Francis Drake. Nous jouions aux boules sur le « Plymouth Hoe » au large de Sagres ! Vous savez bien, vous connaissez Sagres, n’est-ce pas, pas la bière bien sûr, non, non, Sagres ! la pointe la plus occidentale et mystérieuse d’Europe, avec ses falaises à pic, quels vertiges, c’était éblouissant, fascinant. Francis Drake, je l’appelais Francis, nous étions devenus amis de boules, je marchais d’un pas léger, le monde aux pieds, couché Médor ! et je marchais sur l’esplanade, c’était plus qu’un rêve, c’était des instants saisis au vol, des espoirs entrevus, des secrets devinés, comme dirait l’autre. Sagres ! Patrick Lowie, souvenez-vous, nom de dieu, de là sont partis les folles idées, tout le monde croyait encore que la terre était plate comme une pizza, l’époque des Platistes, et ils reviennent les cons, de là sont partis les Navigateurs portugais, mais j’étais avec Drake l’anglais, le corsaire, l’explorateur, l’esclavagiste, le poète !

En effet, nous sommes à Sagres (Portugal), la brise est molle, le temps sombre, un drap gris enveloppe le jour qui s’achève mal. En l’observant plus tard, debout, je me dis que Daniel Simon est un artiste tel un arbre de quatre mille ans, la lune pleine éclaire l’homme impétueux, force humaine, malgré son éternelle impatience et faisant de l’ombre aux arbres sans ardeur, grinchons, sans valeur. On est planté-là à quelques encâblures du Cabo São Vicente. Il manie son épée avec maîtrise. Très belle épée à mi-ruban avec une croix droite, poignet salomonique en bois et pommeau sphérique, finitions en bronze. C’est l’épée de Francis Drake !, lui dis-je. Il allume sa petite radio, il capte une émission en ondes moyennes de Tanger, en arabe. On sent dans le vent qui souffle fort, vengeur, les poussières de mots envoûtants. On marche sur l’esplanade, on regarde l’Atlantique, médusée. Il pense qu’il est très vieux peut-être mais il se trompe, la jeunesse se dissimule dans la sève de l’arbre. On est loin, loin de tout, il regarde lentement, très lentement la violente harmonie qui s’offre à lui, et plonger dans l’invisible. Il grave, désormais silencieux, il enregistre, il engloutit l’air marin à pleins poumons. Je me dis que Daniel Simon n’est pas un artiste mais un poète mal lu. Il me raconte ses exploits avec Le Draque, son tour du monde et la preuve donc que la terre est bien ronde. Foudres de guerres inutiles. Ses mouvements sont plus lents, il jette son regard ailleurs, par delà les amours, dans l’ombre de la matière, il revoit les filles, les femmes, les voyages aimés, la saudade d’une vie. Patrick Lowie, n’était-ce qu’un rêve ? Si la vie n’est qu’illusion, les rêves sont bien réels. Votre costume vous va si bien, Monsieur Simon. L’arbre écrit dans les nuages qu’il rêve que le souffle des hommes, des animaux, la respiration des plantes, tout laisse une infinie trace, une particule qui doit être ma vison de ce que l’on appelle dieu. Il descend lentement jusqu’à la fin du jour jusqu’aux rochers éclaboussés de vagues. Il s’installe dans une niche juste au-dessus et à l’abri des flots, il sent le sable et des plantes sèches sous ses pieds, des insectes courent dans les traces de ses pas. Il reste sans bouger jusqu’à la nuit en respirant les embruns et, heureux, il expire une dernière fois.

Drôle de rêve n’est-ce pas, me dit Daniel Simon, assis tous deux à la table ronde d’une terrasse à Lisbonne, de la Sagres en apéritif. Je lui réponds que nous pourrions en faire un court-métrage et en plongeant moi-même les souvenirs dans les profondeurs du Tage je lui lance : mon retour à Lisbonne n’est pas exclu. Rien n’est exclu. Ce rêve est un combat, comment peut-on cesser le combat ? Silencieux, les lèvres dans la bière, il regarde le grouillement, les masses, les coulées d’humanité se déverser un peu plus chaque jour autour des métropoles exsangues.  [1]

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