NATURE MORTE DANS UN FOSSE de Fausto Paravidino mise en scène de Wally Bajeux.

NATURE MORTE DANS UN FOSSE de Fausto Paravidino mise en scène de Wally Bajeux.

Une scène vide, des panneaux noirs fixes qui parfois bougent et re-dessinent l’espace, un gros projecteur. Quatre heures du mat et des frissons. Quelque part entre Milan, Gènes et Turin. Un petit village oublié du fin fond de l’Italie. Une route rectiligne et désertique propice aux drames, une sale ambiance, forcément noire. Un jeune homme, émotif et un peu ivre, trouve le cadavre d’une femme nue en rentrant de Boite de nuit.

Dans un vulgaire fossé, Boy découvre le corps sans vie d’Élisa Orlando. Elle est morte assassinée car c’était un « sujet à risque » et qu’en plus elle avait des vergetures sur les fesses. Le décor est planté, le style aussi, un humour fou du désespoir, tellement latin et distancié et une étude de moeurs brillante. Un régal pour la vermine et le spectateur, aussi.

Mais qui a bien pu tuer cette fille boulotte et quel est le mobile de ce crime ? Une enquête est ouverte, une instruction qui part dans tous les sens, explore toutes les pistes, même les plus obscures.

Nous sommes dans un thriller théâtral très cinématographique, très chorégraphié, musical, prenant, haletant, étrange et fascinant. Nous sommes sans un monde misérable et sordide peuplé de lâches, de loosers, de bras cassés, de paumés agaçants ou touchants, un univers fantasque glauque, jubilatoire, sarcastique, ironique et désespéré.
L’affaire n’est pas simple du tout. Considérée comme une oie blanche par ses parents, on découvre que la victime aimait baiser avec tout ce qui bouge et côtoyait les plus mauvais garçons du coin qui l’ont vraisemblablement entrainée dans la débauche, le joint, la coke et les plus bas comportements humains.
Il y a aussi une fille de l’Est fuyant la guerre dans son pays et faisant le tapin sur le périphérique pour tenter de changer de vie et qui a vu des choses mais ne les dit pas !

Entre une société bourgeoise policée d’un côté et un monde en proie à la grande violence d’un univers corrompu jusqu’à l’os de l’autre, Cop, assisté de Mussi/Di Paolo, un flic à l’ancienne mène une enquête étonnante, dangereuse, hors norme et pleine de rebondissements et suspens.

8 comédiens, 6 parlants, un rythme tonitruant et étourdissant qui ne laisse place à aucun temps mort, pendant 1 heure et quarante cinq minutes, on assiste à la pièce rêvée de tout passionné de criminologie, de polar théâtral avec des moments pluriels, effrayants palpitants et comiques à la fois. On assiste à la pièce idéale pour tout amateur de grand texte et de mise en scène inventive, audacieuse et ultra maîtrisée.

Une galerie de personnages détonants comme Pusher et ses Punchlines marquantes « Alors je lui dis franco qu’il y a deux possibilités soit je le tabasse, soit je le fais tabasser et ce sera pire » ou encore celle de celles de la Bitch « Il y a ceux qui naissent pour vivre et ceux qui naissent pour mourir ».

Wally Bajeux produit, une fois de plus, un spectacle d’une grande exigence, d’une extraordinaire vitalité, densité qui fait qu’on est nourrit du début à la fin par le fond et la forme. Elle trouve des espaces nouveaux, invente des mondes parallèles pour mieux servir la pièce et les liens entre les personnages et le propos surtout. On comprend bien ce qu’elle veut exprimer de la contemplation de ce monde et elle le fait sans jamais être explicative ou démonstrative, ses dizaines et dizaines de trouvailles servent l’âme même de ce texte d’une qualité inouïe et rare.

Par un procédé narratif audacieux qui sert de fil conducteur et qui mêle à la fois la Littérature et le Théâtre, les comédiens jouent et nous font immédiatement prendre du recul sur l’histoire, ses tenants et ses aboutissants. Nous ne sommes pas dans le réel, nous sommes dans un monde onirique où si forte et puissante qu’est l’intrigue, elle est un prétexte à un voyage irrésistible, profond et brillant au coeur de l’humain et de ses zones d’ombres et de lumières.
Wally Bajeux utilise tous les procédés imaginatifs pour nous faire douter que nous sommes bien au théâtre, elle ouvre le champs des possibles pour démultiplier les limites de la scène. Ainsi la bande son est très importante, les voix off et les jeux de décors aussi.

Nous sommes dans une magnifique réflexion sur la violence sociale, formidablement mise en voix, en lumière, en son, en jeux par la metteuse en scène qui a compris tous les enjeux de ce grand texte et ne nous fait rien perdre de sa magnifique complexité voire de son génie parfois. « C’est que la violence n’est pas prévisible, que le monde est partagé entre victimes et bourreaux, que personne ne sait de quel bord il est tant qu’il ne rencontre pas l’autre moitié de la pomme... Celui qui le tuera ou celui qui se fera assassiner. »

Une belle troupe de comédiens d’une belle qualité globale et individuelle. La prestation remarquable du jeune Morgan Costa Rouchy prodigieux de naturel et de joué-juste dans chacune de ses scènes, un jeune comédien très prometteur à suivre. Les femmes ne sont pas reste Isabelle Kern campe une pute de l’Est avec une belle émotion et une grande poésie touchante donnant tout son corps et son âme, elle aussi au rôle.
Wally Bajeux nous offre des moments de pure d’émotion(s) avec sa dégaine superbe, sa belle présence, son aura et son timbre de voix hypnotique et doux au service du personnage de la mère de la Victime, et elle prouve ainsi qu’on peut à la fois exceller dans la mise en scène et fait montre d’un talent indiscutable de comédienne sur les planches.

« Nature mort dans un Fossé » se rejouera à la rentrée 2017 et je ne peux que vous encourager à ne pas louper ce Cluédo noir de chez noir flippant et jubilatoire à la fois. C’est un moment séduisant et inoubliable d’Art qui mérite d’être vu par les plus curieux, exigeants et esthètes d’entre vous.

NATURE MORTE DANS UN FOSSE de Fausto Paravidino
Mise en scène et scénographie de Wally Bajeux.

Création lumière : Rodolphe Hamel Pineau. Son : Antoine Diaz
Avec par ordre d’apparition sur scène : Nicolas Jean, René Carlon, Julien Girault, Jonathan Arrial, Wally Bajeux, Morgan Costa Rouchy et Isabelle Kern.

Du 18 Octobre au 27 Décembre, les Mercredis 21h30. Théâtre du gymnase.

Théâtre du Gymnase. Production Acte 2 scène.