Portrait de Francis Lamberg

Portrait de Francis Lamberg

Next (F9) vous propose des portraits de personnalités connues ou inconnues, des poètes ou des vendeurs de boutons, des gauchos ou des gauchers. L’important est de rêver. Chacune des personnalités est contactée personnellement, décide de sa photo à publier et raconte à Patrick Lowie un rêve marquant. Précision d’usage : ce portrait est un portrait onirique, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie.

Derrière moi, une lucarne qui offre un étroit panorama sur la Principauté de Liège. Je referme doucement et avec regret le livre de Clarisse Lispector après avoir lu la phrase si je regarde l’obscurité à la loupe, vais-je voir autre chose que l’obscurité ? Pour méditer au réveil. Je ferme les yeux et je respire profondément, respirer comme un soulagement. Dans ce rêve, je suis assis sur un banc en bois, un chapeau panama de couleur ivoire garni d’un ruban marron sur la tête, entouré de mille livres dans un atelier de forgeron, des fragments de corps d’ouvriers en pleine action. Je pêche les œuvres à la mouche, un par un, tel Lamartine, dans une mare d’eau limpide au cœur de cette manufacture rouge vif, comme du sang perdu, comme si la quête du poisson devenait la quête de soi. Un homme est poursuivi par quatre hommes nus, il se dirige vers moi et me dit : Je suis Francis Lamberg, vite, aidez-moi, vous le voyez bien, ils sont trois fois plus hauts et plus larges que moi. C’est vrai que l’homme était poursuivi par des hommes nus et chauves, c’est vrai qu’ils étaient blancs d’une blancheur macabre, d’un marbre de luni mat. Tout cela est vrai mais ils semblaient en même temps si lointains, si ridicules. Le visage de Francis Lamberg était éclairé par la lumière incandescente du fourneau. J’observais aussi au loin des vapeurs d’essence. Les quatre hommes nus avaient un sexe ridiculement petit par rapport à la taille de leurs corps. Asseyez-vous ici, Francis, je vous offre un peu de répit, observez la mare, pêchez un livre dans la foulée, ouvrez-le au hasard, lisez une phrase. Vous verrez, les rêves sont là aussi pour apaiser. Il pêche à la louche un texte d’Euripide et lit : Parle si tu as des mots plus forts que le silence, ou garde le silence. Dans ce rêve en forme de tableau, dans un style que l’on pourrait presque qualifier de réaliste, l’homme assis à mes côtés se présente, il me dit qu’il est écrivain, poète, militant homosexuel, chercheur dans la sidérurgie et syndicaliste. Il m’offre son livre à l’ombre des hanches des ouvriers, que je feuillette pendant qu’il me parle de ses luttes. Je sens monter en moi l’ardeur d’un premier haut fourneau alimenté au coke, indolore, insolente ardeur, je me perds dans ces souvenirs du futur, il me tend la main et je me soulève. Les quatre hommes s’approchent mais Francis Lamberg moins affolé, prend confiance, teste du matériel, met des mots au bout de grosses tenailles : nous voulons manifester notre indignation et nos inquiétudes, ne soyez pas cruels. Quatre ouvriers équipés de tenailles eux aussi, essaient de pousser la barre dans un laminoir pour fabriquer une feuille métallique. De feuilles en feuilles, ils impriment des phrases sur des livres métallisés. Puis nous rejoignent pour nous défendre. Finalement les quatre hommes nus nous rattrapent, nous agrippent par les pieds et les mains et nous démembrent en tirant. Patrick Lowie ! hurle le poète syndicaliste. Je le regarde et me réveille par cette phrase sibylline : nous voilà démembrés, par ces brutes à poil, noircis par la haine, plongeons dans la mare, trou d’eau à la profondeur infinie, nous nous reconstruirons.

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