Portrait de Rodrigo M. Malmsten

Portrait de Rodrigo M. Malmsten

Next (F9) vous propose des portraits de personnalités connues ou inconnues, des poètes ou des vendeurs de boutons, des gauchos ou des gauchers. L’important est de rêver. Chacune des personnalités est contactée personnellement, décide de sa photo à publier et raconte à Patrick Lowie un rêve marquant. Précision d’usage : ce portrait est un portrait onirique, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie.

Gottfried Helnwein a dit : Donald Duck m’a appris bien plus que toutes les écoles où j’étais, le rêve que je vais vous décrire aujourd’hui commence comme ça : une courte phrase sortie de son contexte, une phrase maligne, imberbe, obsolète, une phrase sans innocence, anodine, une phrase puérile peut-être pour vous prouver que vous avez en vous, chers lecteurs et lectrices, des notions ou connaissances cachées au cœur de vos plus belles intuitions. La suite du rêve avait cette force de l’apaisement et de l’angoisse, deux électrocutions de l’âme, opposées, à faire pâlir mes joues violettes de bébé, j’étais dans la foule dense, une foule de millions de Donald Duck, la haine en bandoulière, la bêtise en pin’s, tous armés d’un missile nucléaire prêt à être envoyé. Je passe devant le Boulevard des rêves brisés, et au comptoir glacial, à côté des quatre monstres sacrés, embaumés, je vois assis là, rêvant, troublé troublant, Rodrigo M. Malmsten, comédien, metteur en scène, écrivain, dramaturge, poète, scénariste et artiste multimédia argentin. Il papote avec James. J’entre dans le bar et les salue. Il me dit : Patrick Lowie, amour impossible, quel honneur de vous retrouvez ici. Vous avez vu l’invasion infâme des Donald ? Quelle horreur ! C’est le retour du fascisme. Je ferme délicatement les paupières, j’avance vers lui, les yeux fermés. Je me disciple. Mon grand corps prend le large d’un monde étourdi. Je revois ma mère aveugle me plonger tout petit dans l’eau vive d’un fleuve pour que mon corps devienne invulnérable, je sens mon talon désobéissant. Je propose à l’Argentin de s’asseoir à une table ronde, apparaissant tous deux dans ce tableau étoilé. Toujours dans le rêve, en observant à travers la vitre, je pouvais constater que les Donald continuaient à se donner à cœur joie. Mais nous n’étions pas dans la même ville. Ce bar est un vaisseau. Là, étrangement, alors que je n’y suis jamais allé, nous étions à Buenos Aires. Rodrigo voulait que nous exprimions chacun nos idées calmement autour d’une conversation franche et donner librement nos points de vue et discordances. Il voulait surtout aborder différents thèmes tel Dieu, l’art de traduire, le tango, les rêves, le cinéma, le théâtre. Mission impossible dans ce nouveau monde qui vit de cruautés sans plus d’importances. Il me parle de son projet Aquiles aussi. Bref, l’échange est passionnant et chaleureux entre nous. Je lui dis soudain : vous savez Rodrigo, notre rencontre est certes un heureux hasard mais c’est la chute des anges, là je reviens d’un espace que je situerais entre l’enfer et la terre. Tous ces Donald, c’est une représentation affreuse, digne des pires moments de l’histoire humaine, on a craint les robots, on a droit aux poupées sanglantes de nos enfances. Ils distribuent la guerre comme on distribuait les petits pains. Un groupe de personnes entrent dans le bar, on comprend vite que c’est un groupe d’amis, ils fêtent Nouvel An en plein été. Venait-il désaouler en buvant du maté ? Une des femmes lance : Qu’on me divinise ! J’observe ce groupe d’amis qui symbolise, comme ça, extérieurement, en apparence, avec nos regards de sociologues de comptoir, l’idéal d’amitié, de solidarité et de liberté. Je sens aussi que tout va mal se terminer. Intuitions de clairvoyant. Mais quelle année fêtent-ils déjà ? Rodrigo, peint avec ses yeux, sa bouche n’émet que des voyelles, ses images fondent sur le bout de longs doigts sans Dieu ni maîtres, les ombres de ses mots sont de beaux cavaliers aux yeux bleus. Tous les personnages disparaissent dans un même éclat de rire, le bar devient la mer, des requins survolent nos tables. Je dis : Je crois que nous sommes dans des parodies, des parodies de Nighthawks d’Edward Hopper. On ne ressent rien, là-bas dehors des hélicoptères silencieux d’un monde lointain balancent des ordonnances sur les Donald pas Duck, dans la foule et les IRM des cerveaux aussi. Dans ce rêve plutôt cauchemardesque, on s’invite tous les deux à déguerpir. Loin de l’avenir décidé sur Terre, on embarque dans le vaisseau spatial. Dans le bar à cosmonautes du Boulevard of broken deams tout le monde en combinaison blanche d’astronaute, loin des folles imprudences du monde, baignés dans le silence tumultueux de nos pensées entachées. Je commande deux absinthes pour mes deux mois intérieurs et un Fernet-Branca pour Rodrigo. Je sors mon chéquier et je lui file 100.000 $ pour son film. Sauve-nous ! lui dis-je. Je le vois disparaître aussitôt rejoindre ce groupe d’amis qui était son équipe de tournage. Je le vois voler, entre le cœur d’un ciel bleu sur un dauphin en observant les montagnes, la mer étalée, le soleil dispersé, les forêts bleues, aimant l’homme aimé. La chanson des Green Day s’achève enfin. Me laissant-là, seul entre Hopper, Helnwein … et un Laotien, lui aussi perdu dans les notes d’un tango trop lointain. Nos regards se croisent et l’envie d’un pas de danse nous tente mais coincés dans nos verres à rêver, nous sommes restés là à observer l’âme de l’autre dans l’attente de la fin d’une guerre sans fin. Il me dit enfin : Je me sens honoré tel un héros, voire comme un dieu. Je me sens beau, valeureux, encensé, champion d’une morale orgueilleuse, incarnant l’idéal moral du parfait chevalier homérique. Je lui offre mon absinthe.

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