DANS LA PEAU DE TPMP, par Lucien Blard, romancier.

DANS LA PEAU DE TPMP, par Lucien Blard, romancier.

Lové entre mes bras criards, le public hurle : « Ba-ba – Ba-ba ! ». Le chauffeur de salle a fait le job, c’est son tremplin pour une bonne place au soleil – jurisprudence José Garcia. Il y a dix minutes, c’étaient des individus qui partageaient des problèmes, à présent, c’est une foule enivrée, mais aussi fuyante qu’un banc de poissons.

Il a raison de se méfier. Mes loges chatouillent, ça s’enjaille, ça se chamaille. Cyril arrive, casquette en arrière – silence – il inspecte l’air de rien, les positions se rectifient. Dans son sillage, des chroniqueurs inquiets se faufilent entre les « fanzouzes », tous courent après Cyril qui marche vite, trop vite pour eux. Pas son truc, les serviles, il aime les enfants mais pas les faibles : c’est un mec de « tiéquar », le boss, faudrait pas l’oublier. L’animateur esquisse quelques pitreries pour mieux se concentrer, c’est sa manière.

Ça monte, ça vient. Une émission se construit comme une œuvre, d’abord l’architecture, ensuite les détails. Lui seul possède cette vision d’ensemble qui lui permet, d’instinct, d’écarter ce qui ne fonctionnera pas. C’est un don, voilà tout. Comme un compositeur repère les couacs sur une portée, lui corrige les « fausses bonnes idées » sans états d’âmes. Cette étape franchie, l’essentiel est fait, c’est avec une rapidité sidérante, qui forcera l’admiration et assoira le respect, qu’il va réécrire le conducteur – je le connais, c’est moi qui l’ai fait. Et ça fonctionne, presque toujours…

Il a pas toujours été comme ça, sur Comédie, on l’avait mis sous-fifre de Nicolas Deuil, lui-même sous-fifre de Søren Prévost, va savoir ce qu’ils sont devenus. Le métier, il l’a gravi à l’humiliation, l’écume aux lèvres, « pour bien apprendre, il faut que ça barde ». Il ne fait que reproduire, le petit gars des Lilas, le schéma est connu. Il sait tout ça, et aussi que tout peut s’arrêter, que tout va s’arrêter. Il frime mais il tremble ; au fond de son cœur, il y a un petit réfugié. Pour l’instant, on n’est pas tranquilles, les choses prennent une drôle de tournure, lui prétend qu’il maîtrise mais il se disperse, comme si le public lui bouffait le crâne à grosses bouchées…

Une émission, c’est une proposition, une affirmation qui finira par s’imposer si tel est son destin, pas un référendum. C’est par là qu’il fera naufrage. De toutes façons, il va me dynamiter avant que je sois devenue une vieille peau qui fait honte.

« Partir en beauté mes petites beautés ! », boum, terminé, hara-kiri. L’honneur sera sauf. On s’y attend, même si on n’a pas vraiment le temps de s’y préparer. Un an, deux ? Pas tellement plus… Les équipes seront à l’abri, enfin surtout lui, les canots de sauvetage emportent rarement tout le monde, il y a des précédents. J’espère que mon tombeau sera un peu au soleil.