Portrait de Karim Gharbi

Portrait de Karim Gharbi

Next (F9) vous propose des portraits de personnalités connues ou inconnues, des poètes ou des vendeurs de boutons, des gauchos ou des gauchers. L’important est de rêver. Chacune des personnalités est contactée personnellement, décide de sa photo à publier et raconte à Patrick Lowie un rêve marquant. Précision d’usage : ce portrait est un portrait onirique, et donc, ce n’est qu’un portrait onirique et imaginé. Par conséquent, l’histoire qu’il raconte n’est pas une histoire vraie.

Il s’approche et je lui dis : - Vous habitez au 111 ? Je veux dire : vous logez au n°111 d’une rue sans nom ? C’est incroyable. Vous savez que le 111 représente le sommet de l’ascension spirituelle, de la pleine conscience ? Karim Gharbi, la plus belle voix, les plus beaux yeux et les plus beaux textes de la chanson française contemporaine me regarde de son air éternellement et joyeusement surpris. Patrick Lowie, pourquoi vous me vouvoyez ? Nous nous connaissons depuis plus de vingt ans ! Est-ce un jeu ? Je l’avais vu arrivé sur son vélo, les routes givrées, le vent glacé en pleine face, les cheveux mi-longs durs comme des baguettes de laiton. Il neige sur la ville. Il s’est ensuite précipité pour me saluer, sauf qu’au moment de cette accolade bien chaleureuse, comme des retrouvailles fraternelles, j’ai eu un moment d’égarement, un instant d’oubli, une longue respiration de vide. D’un coup, Karim Gharbi, ça ne me disait plus rien. Son regard flou ne me disait rien. Sa voix m’était inconnue. Que faisais-je au 111 de cette rue sans nom ? Il m’emmène dans un appartement où tout est parfait : les bonnes lumières tamisées au bon endroit, le parfum d’un thé ancestral. Les années ont passé, me dit-il. Je souris béatement. La musique d’ambiance est bien ajustée, des voix grégoriennes, les ombres en forme de déraison, l’énergie de la transmutation, de la destruction et de la régénération, dans un bocal : un poisson dort. Karim s’arrête un instant et je lui dis : on se connaît ? Je m’assieds, je me couche, mon corps flanche. Un poids en moi. Les yeux fermés, je projette sur les murs des images peu intéressantes du passé puis le futur, comme dans un rêve, la projection du subconscient. Je me souviens lui avoir dit que les gars de notre espace – lapsus intéressant – n’ont pas droit au sourire de la crémière, ni à l’argent du beurre et encore moins au beurre. Comme une envolée lyrique. Puis, tout est revenu, ses plus belles chansons, nos anciennes et tendres rencontres. Le Bruxelles des années 90. En me servant le thé il me dit : j’ai vu vos projections sur mes murs. Si je peux me permettre, c’était incroyable, Mapuetos, c’est beau. Le volcan est majestueux. Il y avait un orchestre et vous lisiez, chantiez peut-être, impressionnant vraiment. Ces deux heures ont été grandioses. Pourquoi tout ça ? Est-ce une proposition professionnelle ? Je lui réponds : Mettez-vous dans cette même position, fermez les yeux, ouvrez vos canaux pour que je puisse observer à mon tour. La séance se termine. Silence. Je ne dis plus un mot. Puis en me servant une nouvelle tasse de thé ancestral : Vous voyez Karim, ce que disent nos projections, c’est que Mapuetos existe. Et que nous devrions écrire cet opéra ensemble. Profitons de nos pleines consciences, de ce 111, pour écrire en musique cette ville qui n’existe pas. Dans le bocal, le poisson d’or se réveille.

Crédit photo : Deborah Gigliotti