Avec Alain Guyard, sur la route de la philo vagabonde ! (seconde partie)

Avec Alain Guyard, sur la route de la philo vagabonde ! (seconde partie)

On connaissait la verve d’Alain Guyard en littérature. Dans ce documentaire qui sort le 5 octobre, il met à nu la philosophie dans sa dimension subversive et charnelle, en grand partage fraternel avec tout le monde, y compris les laissés pour compte du système. Le public ne s’y trompe pas et aiguise ses propres outils critiques et se forge aux concepts philosophiques une autonomie de penser pour se projeter citoyen(ne)s actifs dans le monde et agir. La condition humaine se bouge, gare à vous les politiques !

Loin de lui l’idée de vulgariser la philosophie, comme un prof de bahut. Il a déjà donné 20 ans de sa vie à cette œuvre.

Alain Guyard a des opinions politiques très noires et forcément très généreuses matinées à la graine d’ananar. Je ne l’ai jamais entendu prononcer une seule fois les noms de Bakounine, Proudhon, Stirner ou autres. Chez lui à son bureau, il exprime ses idées autour de la démocratie et le système économique capitaliste, il déplore l’instauration de l’homme nomade, de l’homme sans attaches nulle part, de l’homme seul sans relations et donc dans l’incapacité de créer des réseaux de solidarité, d’entraide de résistance, d’amitié, d’affection… La commune ne joue plus son rôle du partage en commun d’un territoire par des gens. Il explicite toutes les expériences ratées et se rattache aux traditions anarchisantes à travers les communes autogérées et dans leur rapport contre l’Etat mais aussi contre le discours bipartiste si simpliste : être de gôche, être de droite. On va avoir droit au grand carnaval en 2017. Petit rappel des faits en chanson qui n’a pas pris une ride, par François Béranger : « Magouille blues » (1975 en public).

Il recompose avec l’esprit des bourses du travail au début du 20 ème siècle, mais aussi dans la tradition de l’éducation populaire.
Il garde espoir néanmoins tout comme méziguette dans l’intelligence collective des mouvements qui s’expriment dans les luttes, véritables utopies en marche. Il manque encore quelques coordinations.
Je pense à l’effet des ZAD, aux nuits debout ici et là en ville ou à la campagne, cette fabuleuse parole citoyenne volée aux politiques et au ridicule bulletin de vote. Le régime capitaliste fabrique de la pathologie. A commencer par le travail salarié. « Ca fait trois siècles qu’on a inventé le travail salarié et ça fait trois siècles que les gens passent leur vie à la perdre. Il y a une urgence. Il faut lutter avec ce qui veut vampiriser ton existence pour en faire des choses qui n’ont pas grande valeur ».
D’autant que la problématique du travail est encore très taboue. Le genre humain, selon moi, s’y accroche comme à une bouée de survie qui va les engloutir dans un esclavage consenti.
Il pose la question primordiale qu’on devrait tous se poser et y réfléchir avant de répondre. « Il faut se poser la question d’une vie qui vaut la peine d’être vécue. La valeur d’une existence ! »
Il détonne le zigue avec la parole admise et colportée par les médias à la solde du grand capital.

Bon d’accord, on le cerne un peu mieux, mais qu’est ce qu’il veut à travers sa philo vagabonde, à la rencontre des vrais gens comme vous et moi. Je préfère lui laisser la parole, afin de ne surtout pas le trahir et rassurer certaines personnes qui auraient les chocottes du personnage pourtant si attachant et humain dans ses relations à autrui.
« Lorsque je fais une intervention philo, en prison, HP, bistrot…. C’est une gymnastique intellectuelle en mettant à la portée de mon public des penseurs, des autres qui ont pensé avant nous, bien pensé la condition humaine. C’est comme si je mettais à disposition une boîte à outils avec des marteaux, des tournevis, des trucs, des machins. Après chacun s’empare des outils, adapte à son défi de construction. C’est la raison pour laquelle, je ne suis pas porteur d’une philosophie propre. Je ne suis pas un philosophe, je n’ai pas vocation à produire des concepts et à faire ma philosophie. Par contre, ma très modeste expérience m’a fait découvrir ce que chaque philosophe a bâti pendant des décennies une boite à outils. Il est possible dans les innombrables boites à outils qui ont été fabriquées par les innombrables philosophes, il en est une qui dispose d’un outil qui corresponde au problème de construction que vous avez dans votre existence ou pas ».

A vous de vous construire votre propre esprit critique et vous coltiner les concepts pour avancer avec les outils qu’il vous propose et bon voyage au pays de la pensée humaine en mouvement. Il y a de la subversion dans l’air du temps, il serait grand temps.

A présent, quelques mots à propos du réalisateur Yohan Laffort. Il réalise des documentaires depuis une vingtaine d’année. Il s’intéresse aux personnages qui interrogent les formes politiques et poétiques de résistance. Des personnages hors la norme ambiante toujours humains très humains avec autrui et ouvert sur la vie.

Je voudrais également le féliciter pour le montage de son film, avec ses respirations sur la route aux côtés d’Alain. Il a donné la parole à des personnes qui ont assisté à la philo vagabonde et de ses images ressort un éclat entre les propos tenus par ces personnes et Alain, comme un jeu de miroir. Y compris d’ailleurs avec une dame un peu en colère qui ne sait plus trop qui croire. Ce à quoi, Alain toujours en verve répond dans une interview au réalisateur : « La philosophie est là pour abattre des fondations croulantes et pour que les gens se mettent en chantier ! Abattre les fondations, c’est une espèce d’outrance joyeuse à laquelle il faut convier les gens ! »
Le réalisateur ne se cantonne à aucune hiérarchie sociale dans ses représentations. Ses images de paysages vous donnent envie de vous y rendre. Je tenais aussi à préciser et c’est important, ce film militant a été financé de façon participative, avec l’apport généreux et fraternel de 228 souscripteurs. Qu’elles et ils en soient chaleureusement remerciés ainsi que toute l’équipe de tournage qui a suivi durant de longs mois passionnants Alain Guyard, dans ses pérégrinations en verve verbale et philosophique.

O fête, si Alain tu veux venir à la Pointe du Médoc où le front national a élu domicile des spécimens en campagne, bienvenue à toi. La gymnastique intellectuelle que tu propose pourrait s’avérer salutaire pour comprendre ce phénomène et le contrer de façon efficace et collective. D’autant qu’il a urgence.
Chiche que je trouve un lieu original (chai, bouquinerie, plage, marché, lieu naturiste…) et quelques bonne boutanches du cru pour fêter ton passage par chez nous.

Je finirai par ces mots ouverts et optimistes d’Alain Guyard : « Celui qui se met à philosopher n’a ni maître ni esclave, il échappe à la servilité et il connait la plus belle des joies qu’est la liberté ».

La philo vagabonde, documentaire de Yohan Laffort, avec Alain Guyard, distribué par Les Films Des Deux Rives, couleurs, 1 h 38, dans toutes les bonnes salles obscures dès le 5 octobre 2016