Portrait de Jaeyeol Han

Portrait de Jaeyeol Han

Next (F9) vous propose des portraits de personnalités connues ou inconnues, des poètes ou des vendeurs de boutons, des gauchos ou des gauchers. L’important est de rêver. Chacune des personnalités est contactée personnellement, décide de sa photo à publier et raconte à Patrick Lowie un rêve marquant.

Jaeyeol Han, jeune peintre sud-coréen, me donne rendez-vous dans le centre historique de Séoul, ouvert sur le fleuve Han. Dans le rêve, il a les mains dans les poches, silencieux, introverti. Je lui pose quelques questions intimes. Je lui demande s’il est marié, s’il a des enfants. Il me répond : non. Dans la vie, je n’ai jamais été à Séoul. Pourtant, tout m’y est familier. Les regards, l’atmosphère, les ombres, les arbres, … je me promène avec l’instinct du tigre de l’amour dans la troisième mégapole la plus peuplée au monde. Je répète inlassablement à Jaeyeol Han que ses tableaux éveillent en moi ce désir d’aimer et d’être aimé mais il ne m’entend pas, il regarde le ciel qui plombe la ville, les lumières artificielles qui l’illuminent. Je vous avais pourtant bien dit Patrick Lowie, que je n’aime pas me souvenir de mes rêves. J’ai juste une image en moi, celle du dernier jour de ma vie, me dit-il sur un ton aux mille regrets, mais ce n’est pas un rêve. Pouvez-vous vous en contenter ? J’avais envie de lui poser d’autres questions, devant une bouteille de soju, cet alcool de riz à 20,1 %. J’avais envie d’un sérum de vérité. De l’écouter raconter son service militaire à Haïti juste après le tremblement de terre de 2010. De l’entendre me parler de ses émotions lorsqu’il touche la toile, les couleurs, la déraison. J’avais envie de me promener dans les rues hyper bondées près de Kang-Nam, une zone pleine de bars remplis de mecs toujours bourrés. Dans le rêve, mon abstémisme en prend un sale coup. Jaeyeol ne dit rien. S’ouvre peu. S’enveloppe dans les visages de ses œuvres. De ses portraits saisissants. Le dernier jour de ma vie, me dit-il, je me vois vouloir aller dans mon atelier une dernière fois. Réaliser ma dernière peinture. Sera-t-elle grande ? Que vais-je peindre ? D’un coup, je pense au monde, à la société, à l’individualisme, à l’égoïsme, à l’instinct, aux raisons de mon existence. Toute mon œuvre parle de ça. Tel un arc-en-ciel liquide et coloré, la fontaine qui s’écoule depuis les hauteurs du Banpo Bridge éclaire le beau visage du peintre sud-coréen. Avez-vous déjà parlé à votre double ? lui dis-je à brûle-pourpoint. Pourtant j’adorais parler, me dit-il en reprenant son souffle. La pluie accéléra nos pas. Le silence du fleuve Han m’angoissa soudainement. Les cinq autres cours d’eau entraient dans nos peaux comme des volts parfumés à la fleur d’hibiscus. Le serveur dépose deux shots de soju sur le bar : Vous prendrez bien quelques électrochocs ? Toujours dans le silence de nos intimités, la promenade du Cheonggyecheon nous épuise, le mur en lui se fissurait, abrupt, confus, en vapeur, dérobé, on avait la sensation de s’étendre dans l’infini. Sans tarder j’ajoutai Vous connaissez Mapuetos ? Sa réponse, son bien sûr, son léger sourire, un rien narquois, un rien rédempteur, un rien moqueur, suivi encore de ce silence me mis en rage. Je voulais savoir en sachant qu’il ne dirait rien. Le réveil me le confirma.

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