« Contrecoups », quand la BD revisite la bavure contre Malik Oussekine !

« Contrecoups », quand la BD revisite la bavure contre Malik Oussekine !

Malik Oussekine, si ça tombe de nos jours aurait été déchu de sa nationalité pour crime de mine basanée et terrorisme. En 1986, il y a trente ans c’est une matraque haineuse d’un flic voltigeur qui lui a ôté la vie. Il aurait eu cinquante ans de nos jours. C’est à partir de ce constat révoltant que Jeanne Puchol et Laurent-Frédéric Bollée ont consacré de longs mois à mettre en scène et en images cette bavure qui a marqué toute une génération. Histoire de ne pas oublier. Un récit haletant mené tambour battant et en noir et blanc nous scotche à ce roman graphique de très grande qualité, par des artistes talentueux et généreux.

« L’Etat le plus froid des monstres froids » (Nietzsche) a déjà aligné maints cadavres de citoyens sur son tableau de bord, qui sont tombés sous la matraque ou d’une grenade en pleine tronche. Les exemples ne manquent pas, quelques soient les différents régimes de gôche comme de droite qui nous ont gouvernés. Je pense forcément à Vital Michalon soufflé par une grenade, qui lui a brûlé les poumons en juillet 1977 lors de la manif anti-nucléaire à Creys-Malville, Avec à la clé, la plus parfaite impunité pour l’assassin sous son képi doré. Plus proche de nous, Rémi Fraisse lui aussi est mort sous le tir d’une grenade à Sivens en octobre 2014. Idem pour l’instant le même verdict qui sied au parjure de justice. Le gendarme incriminé est placé sous le statut de témoin assisté !
Je ne parle pas non plus de tous les anonymes, femmes ou hommes qui ont perdu un œil ou ont eu un bras arraché lors de différentes manifs.
Dormez braves gens, la police veille à votre sécurité.

Actuellement, la révolte gronde encore et toujours. Des étudiants, lycéens, salariés, retraités et chômeurs battent le pavé contre la loi travail, qui concoure à l’esclavage moderne et la servitude volontaire obligatoire à la solde du Medef. L’état d’urgence et toutes ses mesures liberticides qui s’en suivent peuvent encore favoriser d’autres bavures mortelles, au nom de la Raison d’état. Raison de plus de ne pas perdre la mémoire.
Quelques images du sort réservé la semaine dernière en mars 2016 à des étudiants de Paname, pour vous mettre dans le bain de la BD.

C’est dont tout naturellement que je me suis attelée enthousiaste à la lecture de ce roman graphique intitulé : « Contrecoups ». Il relate dans le détail et selon plusieurs points de vue et tranches de vie, autour des derniers moments de Malik Oussekine, jeune étudiant de 22 ans à l’Ecole Supérieure des professions immobilières. C’était un jeune homme pas vraiment concerné par les manifs contre la loi Devaquet. Car, plus enclin de vibrer à la note bleue au sortir d’une boite de jazz, quand la mort en embuscade, la main à la matraque l’a cueilli et lui a éclaté la tête avec tact et dextérité. En ce temps-là régnait sur le macadam un peloton de voltigeurs à moto appartenant à une compagnie de CRS. Dont la création remontait à la suite des évènements de mai 1968 et à la chienlit que l’on sait, mon général !

Trente ans déjà ! Pour tous les cinquantenaires, cette période de répression policière accrue des années 1986 contre le mouvement étudiant s’était soldée par la victoire malgré tout, des jeunes, avec le retrait du projet et la démission du sinistre aux manettes. Toute une génération a été marquée par cet événement. Ce fameux projet qui aurait permis aux recteurs d’université de ne pas inscrire tous les bacheliers dans la filière de leur choix. Sélection piège à cons, comme leur ainés scandaient en 1968 : élection pièges à cons !

Ce roman graphique est d’autant plus étonnant que son scénariste Laurent-Frédéric Bollée, lui aussi était étudiant à l’époque, un peu comme Malik. Puisque, comme lui, il se confie en toute franchise dans la préface, ce conflit, « il me passait au-dessus ». C’est tout à son honneur cette franchise que j’apprécie de sa part et surtout son intérêt présent à raviver le devoir de mémoire. « Ce livre né de la volonté de ne pas oublier un événement important de l’histoire de France récente. C’était il y a trente ans. Un jeune homme de 22 ans est mort un soir de manifestations étudiantes sous les coups de matraque d’une force policière. Il s’appelait Malik Oussekine ». (page 3)

Il a fonctionné sur le parti pris d’entremêler faits avérés et fiction. Sous la forme d’un chant choral et la mise en abime lors de cette nuit du 5 décembre 1986, où tous les acteurs du drame ont gravité autour du héros, malgré lui. Pas loin d’une bonne dizaine de personnages entrent en scène et en premier lieu étudiants et flics, comme il se doit. Passants du sans-souci forcément très surpris. Infirmiers du SAMU, un médecin légiste, des décideurs de l’ombre. C’est un flash de la société de cette époque qui nous est offert en direct. Avec des précisions, jusque dans les chansons, l’écran de télé et le présentateur du journal, une radio nationale, des discours des ministres, l’émission littéraire Apostrophe, Pif Gadget, le sida et la foi..,
N’allez pas vous attendre à un brûlot anti flics de sa part. Même si heureusement, plus aucun doute ne subsiste dans la tête du scénariste, quant au massacre à la matraque dont Malik a été la victime et le symbole officiel.

Laurent-Frédéric Bollée n’est pas un débutant en scénario. Il a déjà à son actif moult albums aux noms qui sonnent fort : « Apocalypse Mania », « Deadline », « Terra Australis »…

C’est tout naturellement qu’il s’est adjoint Jeanne Puchol, avec laquelle il avait collaboré vingt ans plus tôt pour la revue « A suivre ». Cette artiste s’est intéressée à d’autres événements de notre histoire troublée : « Charonne-Bou Kadir » à propos du massacre de manifestants pro FLN et contre la guerre d’Algérie, ou « Vivre à en mourir ». Elle renoue avec sa verve historique très documentée, qu’on s’y croirait. Le noir et blanc s’y prête pour travailler les nuances avec un trait qui n’hésite pas un seul instant à nous convier à frayer avec la réalité pure et dure de cette époque. On ne s’ennuie jamais entre ses pages. On passe d’un personnage à un autre qui revêt sa propre personnalité. Je me suis attachée à Oscar l’infirmier du SAMU toujours jovial et très conscient de son sens de l’humanité à partager.

Ce qui m’a marquée, c’est tout de go la BD nous ouvre une autre porte incroyable. Et si rien ne s’était produit et si Malik était encore vivant… Que serait-il devenu ? Il aurait cinquante ans. « A quoi ressemblerait-il ? Serait-il cet anonyme employé de bureau, agent immobilier ou fonctionnaire. Serait-il au chômage ? Serait-il seulement marié et aurait-il des enfants ? Vivrait-il encore en région parisienne ? » (page 5).
On le voit au fil de ces toutes premières pages endosser la peau d’un personnage qui se serait projeté dans notre présent. Excellente entrée en matière et quelle bonne idée !

J’apprécie aussi tous les points de vue, que les personnages expriment à leur échelle, suivant leur condition sociale. Qu’ils soient flics voltigeurs, étudiants, hommes politiques, tous leurs propos sont intéressants et nous ouvrent des pistes de compréhension de l’évènement pour aller dans le sens d’une analyse systémique de la société de l’époque.
Les dialogues sont percutants et réalistes et le coup de crayon de Jeanne Puchol fait mouche à chaque fois.

Je recommande bien fraternellement la lecture vraiment très instructive de ce « Contrecoups », bel hommage mérité à Malik Oussekine.

J’espère que d’autres actrices et acteurs de la BD vivante s’intéresseront eux-aussi à Vital Michalon, Rémi Fraisse et aux autres anonymes tabassés pour l’exemple. A suivre et rendez-vous dès le 31 mars pour une grève générale, toutes et tous ensemble dans la rue afin que nos revendications d’une société juste et libre vibre à l’unisson. Et que le souffle de la jeunesse en liesse et en révolte légitime polisse la pierre pour l’édification d’un autre futur dans un avenir fraternel solidaire et laïque.

En attendant, vous pouvez lire pour comprendre tous les ressorts de la bavure assénée contre Malik Oussekine, qui aurait dû fêter avec sa génération, ses cinquante ans.

Contrecoups, Laurent-Frédéric Bollée / Jeanne Puchol, format 17 x 24 en noir et blanc, 208 pages, broché, éditions Casterman, 18,95 euros, 16 mars 2016

Visuels copyright Laurent-Frédéric Bollée / Jeanne Puchol, éditions Casterman