Redéfinissons l’espace public

Redéfinissons l'espace public

Je hais les voitures et les explorateurs (bon, moins les explorateurs, mais c’était pour le plaisir de faire un mot).
Pour commencer, j’ai horreur de conduire ; en voiture, on doit toujours être à la fois attentif à son propre itinéraire, surveiller qu’il ne se profile pas un connard menaçant dans le rétro central, et réfléchir à la vie et à la mort - ce sentiment de responsabilité pesante et d’impuissance totale me dégoûte.

Je refuse de renoncer au bonheur d’être conduit, partout où je vais ; les transports en commun sont sublimes, le train en particulier, on peut y lire des heures sans avoir à se préoccuper du numéro de la sortie, dans le bus on a le temps de regarder les gens et le paysage, de penser pour ainsi dire.

Quand on se fait conduire, on peut discuter, boire plus que de raison sans amertume, en taxi c’est encore mieux, pas besoin de faire la conversation - on a tout le loisir de se souvenir, d’imaginer, de penser encore une fois. Les voitures incitent ceux qui les conduisent, non pas à la pensée, mais au réflexe, à l’habileté rigide des laborieux satisfaits.

Je me souviens encore avoir entendu, cet été, dire qu’on était libre avec sa voiture - pitié -, je croyais pourtant que les derniers lecteurs de Kerouak étaient passé à l’UMP, mais non, il faut qu’on m’assène éternellement la propagande de la Bonne Humeur, voiture égale liberté, indivdu puissant, virées entre amis dans la savane, baise rapide avec une pom-pom girl. Le reste c’est perdu, t’es passé à côté de la vie, coco.

C’est donc le moment de notre atelier « Contemple ta liberté, elle est dans ton cul, un peu au fond à droite » : vous vous sentez donc libres, frais et purs, à désirer des charrettes qui valent le prix d’une maison ? libres, virils et conquérants quand vous passez une heure à chercher une place ? libres, fins et racés quand vous changez une roue, ou pire, que vous appelez Europe Assistance parce que vous ne savez pas vous servir d’un cric ? libres, raffinés et immortels quand on vous a piqué votre autoradio, et qu’il ne vous reste plus que la façade pour pleurer ?

Dans mon pays, on ne change pas les roues. Parce que les trains n’en ont pas, que si mon TGV est en rade, ce n’est pas mon boulot de savoir quand et comment il va repartir, et que s’il est à la bourre, je suis remboursé. Et je vous emmerde. Pour les ploucs geignards, qui ont besoin de leur voiture parce qu’ils habitent à cinquante bornes du premier point d’eau, et qui ne manqueront pas de protester, je vais commencer par rire un bon coup, parce que ça fait du bien ; ensuite, je leur dirai qu’il est peu de choses que j’exècre plus que la mauvaise foi déguisée en nécessité : ah vous l’avez voulue, votre maison de lotissement avec alarme, eh bien maintenant on assume. Vous passez votre vie en bagnole, entre Carrefour et le bourg le plus proche, c’est bien fait pour votre gueule ; tout ce qui vous arrive, vous l’avez choisi.

Bref, ce n’est pas là que je voulais en venir, mais que voulez-vous, quand j’ai Sarkozy avec moi, je m’emporte. Le diktat de la Bonne Humeur a fini par convaincre les bien-pensants de tous pays que la voiture polluait, ce qui est mal pour les générations futures. Pour conserver la liberté inhérente au déplacement individuel en restant en paix avec leur conscience, ces cinglés ont trouvé d’autres moyens pour me pourrir la vie. Suivant leur tribu, ils ont investi dans le vélo (macrobio et végétariens unis), les rollers (has been refusant la déchéance (on les reconnaît au nombre de protections) ou jeunes en mal d’intégration), le skate (lycéens et assimilés), voire la trottinette - mais la décence m’interdit d’évoquer ce dernier sujet.

Bien. Nous sommes donc entourés d’abrutis à roulettes, à qui la Bonne Humeur fournit des alibis de choc : ils respectent leur environnement et font du sport. Ils sont si sexys qu’on croirait des pubs roulantes pour la Vosgienne. Et surtout, grands dieux, qu’est-ce qu’ils sont cons. Ils roulent sur les trottoirs, sur la route mais alors à contre-sens, ou dans le meilleur des cas en brûlant les feux, ce qui fournit une occasion rêvée pour insulter les honnêtes piétons qui avaient entrepris, tel un brave bétail, de traverser au signal. Ils nous regardent, du haut de leur supériorité morale, et constatent qu’on fait tout pour les faire chier, eux qui se sacrifient pour leur environnement : il y a décidément trop de piétons sur les trottoirs, trop de voitures dans les rues, et trop de bus dans les couloirs.

Une chose me tracasse. Aucun d’entre eux n’a pensé à marcher ? Je suis sûr que je fais Carquefou - Atlantis plus vite qu’eux, juste avec ma carte TAN et mes pieds ; et à l’arrivée, je suis plus cultivé, moins fatigué, mes poumons sont moins remplis de kérosène, et je n’ai pas d’auréoles sous les bras. Général Spinoza vainqueur par KO.

Mouais. Pas si sûr. La Bonne Humeur a une arme fatale, les poussettes. Faisons un bref comparatif : les vélos roulent sur les trottoirs, les poussettes aussi, mais on ne peut pas insulter à sa guise les possesseurs de poussettes - je rappelle que les enfants, c’est bien, et qu’en plus, les poussettes n’ont pas le droit d’emprunter les couloirs de bus.

La poussette a l’avantage de doter son pilote d’une botte secrète : chez nous, les enfants sont sacrés ; une poussette vous défonce les chevilles, c’est vous qui vous faites pourrir, la poussette est lancée sur vous à pleine vitesse, elle est prioritaire, la poussette hurle, vous vous taisez. Car là est bien le pire : contrairement aux vélos, qui ont au moins cette décence, les poussettes prennent le bus. En plus du contingent de vieux qui campent sur les sièges, je suis contraint de me farcir un bout de viande hurlant dont le véhicule personnel me déséquilibre, qui suscite l’admiration de tous ceux qui n’ont pas encore d’enfants et me fait accidentellement euthanasier les quelques vieux encore debout, par la simple inertie de ma chute.

Choses à roulettes, je vous hais. Mais prenez garde, désormais j’ai des clous au bout de mes chaussures, et à la moindre occasion, je fais le serment de vous crever les pneus.

Choses à roulettes, je vous hais. Mais prenez garde, désormais j’ai des clous au bout de mes chaussures, et à la moindre occasion, je fais le serment de vous crever les pneus.