Interview de Julien Richard Thomson à propos des suites judiciaires de son film Korruption

Interview de Julien Richard Thomson à propos des suites judiciaires de son film Korruption

L’année dernière, un projet de film avait donné lieu à une polémique médiatique très étonnante. Intitulé "Korruption", le long-métrage de Julien Richard-Thomson n’en était pourtant qu’au tournage de ses premières séquences et seul un teaser avait été produit sur le mode associatif avec un financement participatif de type crownfunding... Sur fond de querelles de clochers liées à une élection municipale, l’actuel maire (LR) de la ville d’Asnières (au sein de laquelle les premières scènes avaient été tournées) avait qualifié le film de pornographique, reprochant à son prédécesseur (PS) d’avoir autorisé le tournage.

Hier, l’un des volets de l’affaire était débattu devant le tribunal correctionnel de Paris en présence du réalisateur qui, depuis la polémique a perdu ses financements et jamais pu terminer son film. Les détracteurs du cinéaste (dont le maire M.Aeschlimann et un de ses adjoints, mais aussi le directeur de l’hebdomadaire Le Point) comparaissaient en effet, accusés de diffamation publique... Pour leur défense ils ont prétendu que l’oeuvre de Richard-Thomson était bien du "porno soft" au même titre que les oeuvres de Jean-Piere Mocky ou que la série Games of Thrones (!) Des arguments qui n’ont pas semblé convaincre le procureur qui a requis la condamnation des prévenus. Verdict dans deux mois.

En attendant voici le point de vue du cinéaste, que certains qualifient de "culte" ou encore d’ "outsider du cinéma français"...

Quel est le thème de Korruption ?

La corruption, l’argent roi et l’exploitation des êtres humains. J’ai voulu mettre dans mon scénario toutes les dérives qui me dégoutaient dans la société moderne. Bien sûr, c’est une comédie et les personnages comme les situations, sont exagérées. J’ai brossé une galerie de personnages tous plus odieux les uns que les autres : un parrain de la mafia proxénète et trafiquant de drogue, une politicienne extrémiste, un policier ripou, des journalistes corrompus, un chirurgien esthétique véreux, un directeur d’Opéra macho etc... Les deux héroines sont deux soeurs qui tombent dans les filets de la mafia et parviennent à s’en échapper. Tout est fictif bien entendu.

Est-ce une "série Z" ?

Pas à proprement parler, encore faudrait-il s’accorder sur le terme de "série Z" ! S’agit-il d’un film à faible budget, d’un nanard, d’un film de genre ?... Korruption est une comédie grinçante, un peu comme Les nouveaux sauvages, par exemple.
Le teaser a été tourné avec un budget dérisoire, mais le but était de dénicher des producteurs afin de monter une production sérieuse bénéficiant d’un financement suffisant. Sur le plan artistique ce film ne ressemble pas à une série Z mais les gens peuvent faire la confusion car ils gardent en mémoire que j’ai tourné, il y a vingt ans, des parodies de séries Z avec la revue Mad Movies, comme Jurassic Trash, un pastiche de Jurassic Park...

Le teaser a été qualifié de porno soft par ses détracteurs... Qu’en est-il ?

C’est ahurissant, toute l’équipe a été abasourdie par ces accusations, car le film n’est en rien un film X, ni même érotique. Il s’agit d’une comédie sans la moindre scène de sexe explicite. En effet, une partie de l’histoire se déroule dans une mafia qui tourne des films X mais tout est suggéré dans le scénario. Et ce sont les méchants du film, dont je dénonce justement les pratiques ! Cette mafia drogue les filles avec un produit stupéfiant fabriqué à base de billets de banque. J’ai justement tenu à dénoncer l’exploitation des êtres humains, le message est clair. Oser prétendre que c’est un film prônant le proxénétisme comme l’ont affirmé certains de mes détracteurs, est un contre-sens total et scandaleux, voilà pourquoi j’ai porté plainte en diffamation.

Certains médias, à la suite du maire (LR) d’Asnières, ont prétendu que tu avais tourné des scènes "torrides" dans une salle de conseil municipal...

C’est grotesque, il suffit de voir le teaser qui est en ligne pour voir qu’il n’en est rien. J’ai reconstitué une scène de tribunal dans une salle de la mairie d’Asnières, la scène narre l’intrusion d’un commando un peu loufoque en plein procès d’un serial-killer. Une pure scène de comédie, sans aucun érotisme. Les seules images légèrement hot du teaser durent 3 ou 4 secondes, sous forme de brefs flash d’une strip-teaseuse topless, ces images ne sont là que pour évoquer l’univers de la mafia. Elles sont issues d’une banque d’images et n’ont absolument pas été tournées dans les locaux de la ville d’Asnières. Ces accusations mensongères ont hélas été reprises sans vérifications par plusieurs grands médias, qui ont cru à la version du maire, dans un premier temps. Mais au bout de 48 h les médias se sont aperçus de la supercherie et ont publié des rectificatifs, certains journaux ont rédigé des articles démentant la rumeur comme Paris Match, Métronews, Marianne... Certains journaux qui étaient d’abord tombés dans le piège tel Libération se sont publiquement excusés et m’ont donné la parole ensuite pour rectifier. Les deux seuls médias français qui se sont obstinés à s’acharner sur le film sont Le Point et M6.

Peut-on parler de censure ?

Dans les faits, ce genre d’ affaires aboutissent à ce que les films ne se tournent pas. Korruption a perdu ses financements et pour d’autres projets, ce scandale a compliqué mes démarches.

Il y a la volonté d’une petit groupe de politiciens de droite radicale et d’une poignée de journalistes complices de me mettre des bâtons dans les roues en m’accusant des choses les plus délirantes. Le teaser de Korruption serait d’une "extrême violence" au motif qu’on voit un bandit pointer une arme sur la tempe d’un personnage, mais dans les 3/4 des films qui sortent sur les écrans on voit pareille situation. Il n’y a même pas de plan gore ! On reproche aussi au teaser sa soi-disante "immoralité" (une élue a parlé d’un film "contraire aux valeurs de la République"dans le Figaro, qu’il aurait "fallu interdire" !) en tentant de faire croire que le parrain de la mafia serait le héros positif du film, alors qu’il s’agit d’un méchant présenté comme particulièrement criminel dans le film !

C’est comme si on accusait le producteur des James Bond, Albert Broccoli, de prôner l’anéantissement de la Terre par un rayon laser géant, alors que ce sinistre projet est celui du méchant de l’histoire. Une manipulation totale !

As-tu reçu des soutiens du monde du cinéma ?

Heureusement j’ai reçu beaucoup de soutiens et d’encouragements de fans, de journalistes, de blogueurs, mais pas grand chose du côté des syndicats ou des institutions du cinéma. Certains me font remarquer que je suis harcelé par l’extrême-droite, mais rarement défendu par la gauche ou le monde officiel de la culture... Le milieu du cinéma est extrêmement frileux, si je m’appelais Kassowitz ou Audiard il y aurait sûrement quelques voix pour me défendre mais comme je suis un cinéaste moins renommé, les personnalités ne me soutiennent qu’en off et ne prennent pas position publiquement. Plusieurs revues de cinéma ont tout de même pris ma défense, So Film ou Mad Movies par exemple, et de nombreux blogs...

Au final, ce scandale inattendu te fait plutôt de la pub, non ?

Ce n’est pas ce genre de publicité que je recherche. Je suis un auteur et un cinéaste, pas un people qui cherche à faire parler de lui à tous prix. J’ai été choqué par cette affaire stupide et scandalisé qu’on puisse salir le travail de mon équipe.
Le drame dans ce genre d’affaires de calomnies est que même si les faits sont démentis, il en reste toujours quelque chose... Je veux me consacrer à mes prochains projets qui sont nombreux et bien plus passionnants que cette polémique idiote.

Pourrais-tu nous en dire plus ?

Il y a d’une part un long-métrage adapté d’une célèbre bande dessinée mais je ne peux pas en dévoiler le titre pour le moment, ce serait un film cinéma. Je développe aussi un film documentaire sur les tout petits candidats à l’élection présidentielle. J’ai aussi écrit plusieurs web-séries, plutôt humoristiques. Je préfère parler de "web-cinéma" d’ailleurs. Je pense que la création sur internet est une aubaine pour les jeunes créateurs, mais je reproche parfois aux web-séries leur manque d’ambition esthétique. J’ai envie de tourner de beaux films, mais écrits pour les médias digitaux. Je te rappelle que j’avais été l’un des premiers réalisateurs à m’intéresser au web puisque dès 2000 j’avais tourné une série interactive pour une web-télévision (Monsters Game), mais à l’époque internet n’était pas encore au point. Aujourd’hui on peut vraiment s’exprimer avec internet même si son modèle économique n’a pas encore vraiment fait ses preuves.


"Mon cinéma de A à Z" (édition Jaguarundi / Arcadès)
Julien Richard-Thomson a publié il y a quelques mois une "autobiographie alphabétique" retraçant son parcours atypique. Il revient sur ses débuts (il tourne les premiers Direct To Vidéo français dans les années 90 avec la revue Mad Movies, des "séries Z parodiques" à l’esprit potache) et les péripéties - souvent hilarantes - des tournages à tout petits budgets. Il aborde aussi la difficulté de tourner des films de genre fantastique ou d’anticipation dans notre pays, qui semble fermé au "cinéma de l’imaginaire". Ainsi il évoque longuement les pitchs de ses projets avortés faute de financement, de Cargo Vaudou à Crash Test, des projets décalés teintés d’humour et souvent de fantastique. Influencé par le cinéma américain, des frères Coen à Tarantino en passant par des cinéastes plus sombres comme Lynch ou Cronenberg, Julien Richard-Thomson apparait comme un artiste marginal mais attachant et disons-le, prometteur. A lire !

Le site de Jaguarundi Films : http://www.jaguarundi.fr