Ang Lee nous met de bon appétit avec ses drames familiaux !

Ang Lee nous met de bon appétit avec ses drames familiaux !

La famille dans tous ses états décrite par ce cinéaste d’origine taiwanaise nous donne envie de danser la javanaise de Gainsbourg en visionnant ses deux films. Drame relationnel et comédie au programme, avec l’homosexualité masculine affirmée à New-York sur fond de mensonge contre-productif et des grosses bouffes chinoises et onctueuses entre un père et ses trois filles à Tapei. C’est la rançon de la gloire, puisque pour chacun de ses films il obtient des prix internationaux. Comme quoi son cinéma est universel et peut toucher tous les publics. Alors je vous souhaite bon appétit avec Ang Lee et son « Garçon d’honneur » et « Salé sucré ». Vous allez vous régaler.

Ang Lee est né en 1954 à Taiwan et s’est installé aux USA. Il cumule les talents de réalisateur affirmé, producteur et scénariste de films. Ce qui est le plus marquant chez lui, c’est l’éclectisme que l’on décèle dans son œuvre cinématographique. Il surpasse aisément les carcans des genres, pouvant passer sans difficulté du film intimiste, d’auteur, au film commercial, à la fresque historique jusqu’aux grands spectacles, avec tout le toutim des prouesses technologiques actuelles.
Il traite dans ses films de l’interaction générationnelle et du choc des cultures entre modernité et tradition chargées de mensonges. Mais aussi de l’affirmation de ses personnages à se confronter aux normes familiales envahissantes.
Le coffret chez Carlotta Films de deux longs métrages des années 90 en est la parfaite illustration.

Ainsi « Garçon d’honneur » (1993) est un film émancipateur pour son époque, qui introduit le thème de l’homosexualité dans le cinéma asiatique. Ang Lee affirma ce sujet avec brio une seconde fois quelques années plus tard avec « Le secret de « Brockeback Montain » (2005), qui raconte un amour pulsionnel et charnel entre deux cow-boys en Amérique.
Imaginez un garçon qui aime les garçons. Il se retrouve dans l’obligation de se marier sous la pression parentale. Puisque être encore célibataire et sans enfants représente un parjure à sa culture et déshonore sa famille et ses visions étriquées de la vie occidentale depuis Tapei.
Le couple de tourtereaux crèche à New-York. Wei Tong taiwanais naturalisé américain est en amour avec Simon. Tous deux résistent tant bien que mal à l’empressement des parents de Wei de le voir marié. La distance a parfois du bon ! Sauf que les parents de Wei débarquent pour le mariage de leur rejeton avec sa voisine, qui veut à tout prix elle aussi bénéficier de la carte verte, sésame pour séjourner aux USA.
Vous l’aurez compris, le ton est léger, comme dans une comédie sans pour autant faire affront au thème fort de l’homosexualité, qu’il traite avec intelligence et respect.

Oh les filles, oh les filles, Wei est un beau garçon qui a réussi dans la vie, au sens social du terme. Il vit à Manhattan, le quartier huppé et bobo de New-York Il vient d’être naturalisé amerloche. La seule chose qui cloche et est considérée comme une tare, pire que de ne pas avoir de boulot, il est encore célibataire.
L’outing, (ou en français, la révélation de son orientation sexuelle), il n’en est pas question pour notre héros. Du côté de Simon, ses parents sont au courant. Ca tuerait le père de Wei, général en retraite et rigide comme un képi. Qu’à cela ne tienne, la jolie artiste et voisine Wei-Wei sera l’épouse parfaite le temps de la cérémonie avec un Simon en garçon d’honneur outragé par le mensonge. Le choc des cultures explose à la tronche de Wei comme une bombe. Il doit faire fi des mœurs assez libres new-yorkaises pour rétablir l’équilibre et s’accorder au giron familial afin d’être en accord imparfait avec son éducation qui date de plusieurs siècles et n’a pas évolué. Le cul entre deux cultures, il culmine toutes les difficultés existentielles. Il vit comme américain alors qu’il est asiatique. Il est homosexuel et joue à l’hétérosexuel aux yeux de ses parents et avec sa biculture dans deux langues diamétralement différentes.
Wei-Wei commence à péter les plombs de devoir mentir à sa nouvelle belle famille et en vient même à vouloir retourner en Chine. Des parents attachants et encombrants à cheval sur les principes et qui s’en donnent à cœur joie lors du banquet par des quiproquos cocasses. Je passe sur les subterfuges du fils pour amadouer ses darons qui tournent au comique troupier.
Sujet intemporel et universel, à tel point que les berlinois lui ont offert un Ours d’or en 1993 et que j’ai adoré.


« Salé sucré » (1994) dans un autre style tourne toujours autour du thème de la famille. Un père élève seul ses grandes filles, suite au décès de leur mère. Veuf depuis 16 ans M. Chu est le plus grand cuisinier de Taipei.
Avant de vous mettre en appétit, il y a de quoi, avec les images en plans serrés autour des plats concoctés par cet homme habile de ses papilles. Juste un conseil. A ne pas voir ce film le ventre vide, sinon vous allez souffrir ! Ang Lee vous prévient : « Je rêvais depuis longtemps de faire un film dont les gens sortent en ayant l’eau à la bouche. Plus qu’une des bases de la culture taiwanaise, la nourriture est une culture en soi. Dans n’importe quel endroit du monde, lorsque vous croisez quelqu’un, vous dites : "Comment vas-tu ? A Taiwan on demande : "As-tu mangé ? » Et on enchaîne aussitôt sur ce qu’on a mangé à midi et ce qu’on va manger le soir. C’est une obsession ».

A croire encore que la cuisine est le liant entre ces deux films !
« Chaque dimanche soir, c’est le rituel du repas chinois partagé en commun entre le père et ses trois filles. Sauf qu’à force, les filles paraissent lassées voir blasées. Les plats à choix et saveurs multiples qui squattent la table, à force dresse comme un mur entre les membres de la famille ». (Ang Lee)

M. Chu a trois jolies filles très différentes de caractère et d’aspirations. On est en joie d’ailleurs de reconnaitre un certain nombre d’acteurs qui nous subjuguaient déjà sur l’écran de « Garçon d’honneur ». Le Bartos, en cave parfait qu’il est, me glisse à l’oreille que les petites chinoises sont trop mignonnes. Va ronger ton os ailleurs, du Kong et laisse-moi écrire mon article !
Je confirme qu’elles sont jolies et ce qui ne gâche rien, elles ont du caractère. Ning jeune étudiante travaille dans un fast-food (génial le contraste, j’adore !). Chen est une businesswoman aux dents longues, bouffée par son travail et qui voudrait voler de ses propres ailes. Jen est prof de chimie coincée catho. C’est forcément elle, qui, lorsqu’elle va se réveiller de ses frustrations va imploser au canif le contrat familial. Enfin, bref, elles aspirent toutes à se vivre libres.
C’est lors de ces repas que ce dénouent les tragédies familiales. Il y a cette scène où Ning annonce de façon très brève qu’elle est enceinte. Elle sort de la maison et enfourche la moto de son amoureux.
« Parfois, ce que les enfants ont besoin d’entendre est ce que les parents ont le plus souvent le plus de difficultés à exprimer, et inversement. Quand on y arrive, nous recourons au rituel. Pour la famille Chu, le rituel est le repas du dimanche soir. A chaque dîner la famille se retrouve au complet, et alors quelque chose se passe qui les pousse à aller plus loin. » (Ang Lee)

Il y a aussi la scène où M. Chu confie à son meilleur ami qu’il a perdu ses capacités en matière de goût ! Pour un cuisinier, c’est un crime de lèse-majesté.
Comme dans « Garçon d’honneur », Ang Lee démontre les difficultés des jeunes femmes pour échapper à l’emprise du pater. Acte d’autant plus difficile, quand elles résident toutes sous le même toit.
De l’art culinaire à l’art des corps en osmose, Ang Lee nous gratifie aussi de son talent sensuel. Encore heureux, l’un ne va pas sans l’autre et vice et versa et tout le tagada tsoin tsoin de ses bons soins, à nous régaler l’imaginaire fécond de l’estomac et des sens en effervescence. Miam miam. J’ai toujours faim !

Vous l’aurez aisément compris, je vous recommande encore ce film ci.

Coffret 2 DVD : Ang Lee Garçon d’honneur et Salé sucré, nouveau master restauré en DVD ou Blu-Ray, avec comme toujours chez Carlotta Films ses suppléments toujours très instructifs, sortie le 25 novembre

Vous pouvez retrouver ces deux films en coffret ou vous les procurer individuellement selon votre propre appétit.