Gérard Mordillat engage en littérature à « La Brigade du rire » !

 Gérard Mordillat engage en littérature à « La Brigade du rire » !

Après Xenia que j’avais adorée, Gérard Mordillat exprime dans son nouveau roman les injustices sociales du monde actuel et donne quelques solutions avec sa verve habituelle. Certes, même si ses personnages appartiennent au domaine littéraire, insoumis et solidaires, acteurs de « La Brigade du rire », les sept héros principaux, reforment l’équipe de hand-ball de leur adolescence à un près. Quelques décennies plus tard, ils décident d’enlever un éditorialiste d’un canard d’économie qui sévit pognon sur rue et petit écran pour le mettre au charbon, selon justement ses propres conceptions de la productivité et du salariat. Un roman optimiste à mettre entre toutes les mains, de par le choc qu’il occasionne et la joie de vivre qu’il distille, avec toujours autant de talent, de chaleur humaine, d’humour et d’une vibrante actualité.

Il y a des auteurs, quand tu ouvres leurs bouquins, tu y reconnais un style, une empathie avec les personnages, qu’ils ont dans la peau. Des personnages qui nous ressemblent et forcément ne peuvent pas nous laisser indifférents. On avait laissé Xenia, en solidarité affirmée avec ses frangines de la mouise du tiroir-caisse au super marché, qui chantait déjà le blues de la misère dans son précédent roman chroniqué ici même.

Cette fois Gérard Mordillat convoque des aminches au temps du bahut qui se sont perdus de vue. Au cours d’une réunion informelle où les bons souvenirs vont faire surgir une idée commune, liée à leur situation sociale de révolte, qui va se communier dans un acte collectif d’entrée dans l’illégalité.
Avec Gérard Mordillat, la marge et ses limites se mélangent souvent les paturons. Quand « le désespoir est la forme supérieure de la critique » comme le disait Ferré. On vient de s’en apercevoir une nouvelle fois lors de la mêlée ouverte à Air France, qui a volé sans chemise et sans pantalon. Presque tous les médias confondus ont asséné aux personnels en révolte le coup de grâce, au nom d’une certaine paix sociale régie par le grand Capital, qui ne supporte aucun débordement à son ordre établi et condamne sans vague à l’âme. L’excellent article de Médiapart soulève le problème du traitement de l’information liée à un événement et le son assourdissant qui retentit comme une seule voix, celle de la condamnation des révoltés traités comme des parias de droits communs. De là à conclure sur la criminalisation des sans dents et les violences verbales contre les syndicats par les médias aux ordres de l’Etat tout puissant...
« C’est bien simple : deux cadres supérieurs qui se retrouvent sans chemise, c’est insupportable, mais deux mille neuf cents personnes qui se retrouvent en caleçon, c’est la mondialisation… »
http://www.mediapart.fr/journal/france/071015/air-france-la-chemise-et-les-calecons

De ces mêmes pseudos journalistes à la langue de bois aux ordres et subventionnés par la pub qui les achète, il est justement question dans ce roman à propos justement de son héros malgré lui, le célèbre Ramut. L’homme qui brille dans les salons mondains du petit monde parigot et dont on s’arrache le dictat de la violence faite au réel.
Ainsi Kol l’un des brigadiers exprime consciemment : « Moi qui les aimais tant, je n’en lis plus aucun, plus un quotidien, pas même la feuille de chou locale. Plus de magazines, de mensuels, rien. Tout ça me fait gerber. Ils sortent tous des écoles de journalistes, alignent les mêmes phrases creuses, sans style, sans idée, du vomi d’information, comme dirait Rousseau » (un autre héros de la bande des 7) / (page 90).

Ecoutons Gérard Mordillat en personne, interviewé par son éditeur, nous raconter la genèse de son roman et les raisons très actuelles et bien réelles qui l’on poussé à écrire son brûlot si bien venu.

Ce qu’il y a d’agréable en plus dans ce roman, outre l’écriture fluide, la richesse des dialogues et leurs contenus à travers les personnages en verve, c’est le choix représentatif des 7 héros que nous côtoyons tous les jours autour de nous. Et forcément la révolte qui les anime de passer à l’acte afin de séquestrer Ramut, nous concerne dans nos tripes.
Une présentation s’impose : « Rousseau avait pu l’écrire (un poème), même s’il était incapable de désigner l’origine de cette colère qu’il partageait avec Dylan (l’un des héros). Kol était en colère contre l’injustice de son licenciement, Zac contre la stupidité des critiques de cinéma, Hurel contre quelque chose d’impalpable mais de terrible qui donnait ce visage blême, ce regard fixe, Dylan contre cette société où l’autorité du succès primait sur celle du talent ; Victoria contre la mort de Bob, quant à l’Enfant-Loup, il était l’éternel insatisfait, brûlant d’un appétit de vivre que rien ni personne pouvait combler. Sept hommes, sept colères en un seul corps. Sept samouraïs, sept mercenaire, une redoutable fraternité ». (page 107)

J’avoue qu’en plus de ces personnages qui me touchent et m’émeuvent, j’éprouve un grand faible pour les jumelles Dorith et Muriel, superbes et extraordinaires femmes d’une joie de vivre à toute épreuve, même si justement une sacrée difficile épreuve, qu’elles ont déjà vécue dans leur enfance. Ceci, expliquant peut-être cela !
Dylan y est aussi sensible : « - Dorith et Muriel sont géniales : elles trouvent agréable tout ce qu’elles font et ça rend tout agréable » (page 37).

Donc, ça fait forcément du monde qui gravite autour de Ramut, le prisonnier.
Imaginez sans trop vous creuser la tête, un zigue qui empeste les téloches, les feuilles de choux raves et les radios à vous conter le meilleur des mondes capitalo et vous donne la Solution miracle. Du style : la semaine de 48 heures, avec comme de bien entendu pour marquer le coup de production un salaire inférieur au SMIC et la productivité au max avec le travail du dimanche. Ramut va devoir avaler sa cravate pour se faire violence, il va goûter aux cadences infernales. Lui qui n’a jamais travaillé de ses mains. Alors forcément, il sortira métamorphosé de cette épreuve.

Ses ravisseurs, en regard de l’enlèvement d’Aldo Moro par les Brigades Rouges en Italie, ne veulent pas effectuer la même erreur qui leur serait fatale. A savoir communiquer. Silence média de leur part au sujet de l’enlèvement de Ramut.
« - D’abord, on ne veut tuer personne, ensuite on ne veut pas organiser un procès. On veut faire de la pédagogie, faire travailler Ramut, lui apprendre la réalité qu’il y a sous les mots dont il se gargarise. L’erreur, c’est que Moro était enfermé dans une cellule dissimulée derrière un mur de livres ». (pages 103 / 104),

Le film « Une jeunesse allemande » qui vient de sortir pose aussi la problématique de la lutte armée d’une jeunesse révoltée dans les années 70. Les personnages du roman n’entrent pas dans ce registre. Puisque au départ, c’est d’un grand éclat de rire que leur ai venu l’idée du kidnapping.

A propos de cinoche, justement, Gérard Mordillat cinéaste pose en débat une certaine forme du 7ème art qu’il affectionne à travers les propos de ses personnages,
C’est Claude Sautet qui aura le dernier mot, lorsqu’il se posait la question cruciale : « Comment ça finit ? ». (page 228).

En effet, après plusieurs semaines, la bande des sept commence à être épuisée de retenir au boulot Ramut qui se surpasse dans le boulot et les cadences infernales. Comment mettre une fin à sa détention, sans le tuer ?

L’humour toujours.... Ce cher Gérard Mordillat s’est une fois de plus surpassé pour nous proposer une fin de roman que je trouve excellente à laquelle je ne m’attendais pas du tout. Il a été puisé dans le registre du théâtre de l’absurde et du grand Guignol de bon aloi, avec une chute qui donne tout son sens au roman.

Je ne vous en dirai pas plus de ce véritable pavé dans la mare de la rentrée littéraire, qu’il faut lire, déguster, soutenir, causer de l’écriture d’un écrivain visionnaire révolutionnaire sans être dogmatique et chiant et en plus optimiste malgré tout.
Ce que j’apprécie le plus chez Gérard Mordillat outre son humour, c’est sa conscience très présente de la situation sociale désastreuse, avec tous les acquis sociaux fichus à la poubelle de l’histoire par la sociale démocratie au pouvoir et la déconsidération active de la population si elle ne possède pas une célèbre marque de montre quand elle atteint la cinquantaine. Gérard Mordillat pose les bonnes questions et son roman représente un reflet bien réel de notre monde auquel il apporte quelques solutions, à travers ses personnages, qui proviennent de différents horizons. Ils et elles sont riches de leurs histoires et leurs révoltes légitimes.

Je ressens aussi chez lui au fil de ses romans comme une certaine nostalgie d’une époque révolue et à réinventer actuellement, dans de nouvelles formes de luttes où le slogan « Vive la Sociale » de la Commune de Paris rallumerait les feux du triptyque liberté égalité fraternité qui reprendrait tout son sens révolutionnaire dans des actes militants de solidarité.

L’un des symboles de la déliquescence du tissu social s’exprime chez les profs pour lesquels il est très attaché, ainsi que le rôle émancipateur de l’éducation qui ne joue plus son rôle. De son temps.... Il fait dire à un de ses personnages qui est prof d’anglais :
« Tous les profs, tous les instits habitaient le quartier. On les rencontrait aussi souvent à l’école que dans la rue, au café où ils jouaient au billard ou au marché pour faire les courses. On les voyait aussi dans les manifestations. Nous parlions la même langue, nous marchions du même pas. Nous étions d’un quartier où la Commune s’était battue au cri de « Vive la Sociale » et fiers d’être de ce côté-là du monde. Aujourd’hui 85 % de mes collègues au lycée habitent au loin et n’ont qu’une idée en tête quand ils ont fini leurs cours ; foutre le camp le plus vite possible ». (page 36)

Les sujets de société actuels ne manquent pas entre ses pages et voyagent de France jusqu’en Israël.

A quand enfin le sursaut salvateur pour vaincre l’oppression à la base, dans ses fondations s et ne plus accepter la servitude volontaire distillée par les politiques et les médias qui leur servent la soupe populaire à voter le suffrage et dire amen ?
« Où est la liberté quand vous devez vivre avec mille euros par mois ? Comment se loger alors que vous attendez une HLM depuis dix ans ? Que peut-on manger, sinon de la merde de supermarché ? Où peut-on aller en vacances ? Nulle part, même dans un camping pourri. Que peut-on offrir à ses enfants ? Absolument rien. Les nourrir est déjà un combat de tous les jours. Qu’est-ce qu’on peut faire de cette prétendue liberté ? Je devrais dire cette « apparence de liberté ». Cette liberté prisonnière d’une servitude sans fin. Seulement survivre, exactement comme vous survivez ici, avec juste de quoi restaurer votre force de travail, rien d’autre. Et encore, vous n’avez d’enfants à charge ». (page 450)

Tout est dit ! Qu’ajoutez de plus ? Si ce n’est une forme d’espoir dans les paroles de François Béranger* « Le blues parlé du syndicat » adapté de Woody Guthrie, qui ouvrait les chroniques syndicales, il y a très longtemps sur radio libertaire.

Je vous conseille ce fameux roman de Gérard Mordillat qui exprime à plusieurs voix la joie de vivre malgré tout, de toujours se battre au quotidien et de ne jamais baisser les bras. Un très grand merci encore une fois à lui. C’est bon pour le moral. Vive « La Brigade du rire » !

La Brigade du rire de Gérard Mordillat, éditions Albin Michel, 516 pages, août 2015, 22,50 euros

*(dont je reviendrai bientôt à propos d’une publication d’un conte du sieur intitulé : « Des rats zailés et des zhommes »)