Deux westerns des années 50 de Delmer Daves qui cartonnent !

Deux westerns des années 50 de Delmer Daves qui cartonnent !

Carlotta Films présente deux westerns de Delmer Daves cinéaste prolixe. John Ford peut bien aller ranger ses caméras et ses gros bras. « 3 h 10 pour Yuma » (1957) raconte, au nom d’une prime, le combat entre deux hommes que tout séparait dans l’échelle de leurs valeurs. En noir et blanc, les images se surpassent dans la luminosité et l’intensité. Cow-Boy (1958), quant à lui en couleur dresse le portrait d’un homme de la ville (Jack Lemmon) qui devient cow-boy et relève le gant de tous les clichés éculés sur cette profession pleine de dangers. Une fiction documentaire, ce film ! Bertrand Tavernier ne s’y était pas trompé quand il défendait Delmer Daves, comme un grand cinéaste !

Delmer Daves (1904 / 1977) était voué à une carrière de droit, frais émoulu de son université. Mais toucher du bois sur les planches et la mise en scène théâtrale auront raison de lui. C’est à travers le métier d’accessoiriste qu’il entre par la petite porte dans le cinéma. Remarqué pour un scénario, il écrira désormais des histoires qui seront filmées, au début forcément en noir et blanc et muettes. Puis finalement l’envie de tourner lui rendra grâce. Il a écrit 44 scénarios et réalisé 30 longs-métrages.
Il enchaine les comédies musicales légères. En 1943, en pleine guerre du Pacifique, la Warner Bros lui confie un film sur les sous-marins. Aussitôt, il s’immerge durant quatre semaines 20 000 lieues sous la mer. Il en tire un carnet de notes touffues et un Gary Grant enthousiaste de tourner en héros « Destination Tokyo », qui remporta un grand succès. L’occasion était trop bonne pour Delmer Daves de pouvoir ouvrir son champ d’écran.
Pour n’en citer qu’un, « Les passagers de la nuit », qu’il tourna avec Bogart en caméra suggestive au tout début du film. Car, comme on va le voir, c’était un cinéaste très lécheur d’images, qui adorait mettre au service du cinéma les nouvelles prouesses techniques.
Son gout prononcé pour le western, il le doit tout d’abord à son grand-père, immigré irlandais suite à la Grande Famine, qui après avoir réchappé durant quatre ans à la guerre de sécession devint chef de convoi durant 17 traversées du territoire. Il raconta de long en large ses aventures et donna envie à Delmer Daves d’aller à la rencontre de ces contrées et ses habitants les Indiens. Il passa tout un été avec les Apaches et étudia avec grand respect leur mode de vie.
On peut en avoir un aperçu dans « La Flèche brisée » (1950) qui présente les Indiens justement comme des êtres civilisés et non plus comme si souvent chez John Ford, des êtres sanguinaires et sauvages.

Pour en venir à nos deux westerns, Delmer Daves a pratiquement gardé les deux mêmes équipes de tournage. Il était parcimonieux sur le nombre de prises. Ce qui stimulait les acteurs et économisait leur énergie. Il gardait chevillé aux tripes ses débuts de comédien et savait se mettre à leur place. Il entretenait d’excellents rapports d’empathie avec eux. Contrairement à John Ford qui se comportait trop souvent en tyran. De plus, il avait la capacité technique d’écrire le story-board dont les techniciens raffolaient par la précision du trait. En un seul coup d’œil, ils percevaient tous les plans à tourner et ceux à venir.
Autre trait de caractère de ce sacré réalisateur peu banal, il ne voulait pas que le scénariste intervienne ou ne soit présent sur le tournage. Pour au moins deux simples et bonnes raisons : éviter les conflits de création entre les deux égos forts du réalisateur et du scénariste afin de se consacrer sur le plateau uniquement au tournage.

La montre tourne et le cadran indique déjà : « 3 h 10 pour Yuma » !
L’histoire est toute simple. Suite à l’attaque d’une diligence, Ben Wade (l’excellent Glenn Ford qui n’est pas parent de l’autre John) est arrêté. La justice décide de le transférer à la prison du canton, si possible sans éveiller les soupçons de ses hommes de main qui vont vouloir tout faire pour le délivrer. Dan Evans (Van Heflin) un fermier sans le sou décide de faire partie du convoi contre une prime qui lui sauverait la mise. Le convoi doit s’arrêter à la gare de Contention City pour prendre le train de 3 h 10 pour Yuma. En fin de compte, Dan, après mort d’hommes et démissions, se retrouve seul à seul en compagnie du meurtrier dans une chambre d’hôtel. Avec la mort aux trousses et toute la bande au complet qui les attendent au coin de la rue jusqu’au quai de la gare. Scène d’anthologie, garantie !
Pour son cinquième western, Delmer est content du résultat et se confie à Bertrand Tavernier en 1960 : « Je tiens « 3 h 10 pour Yuma » pour mon meilleur western. J’ai essayé de créer un nouveau style dans la manière de raconter une histoire et j’y suis parvenu, du moins je pense ». Tu peux le dire !

Premier western noir du genre et tête à tête entre deux hommes que tout sépare. Après avoir tâté de tous les styles de western, Delmer innove encore dans le drame psychologique et prend tous les risques. Suspense, action, on tourne dans un décor de ville cinoche typique du Grand Ouest en Arizona, qui sous n’importe quel angle donnait des airs de 19e siècle. Outre les qualités humaines de toute l’équipe soudée autour du réalisateur, il faut évoquer les prouesses du chef opérateur. Le choix de tourner en noir et blanc n’est pas un hasard. Il avait la possibilité d’opter pour la couleur. Sauf que le rendu aurait paru fade. Il fallait jouer avec la lumière et ses températures arides. C’est aussi pourquoi, le tournage avait lieu, soit tôt le matin ou tard l’après-midi. Afin d’obtenir des ombres mémorables et palpables qui donnaient du ressort à des fins dramatiques. C’est aussi ce qui fonde tout l’effet de son style.
Les deux acteurs principaux déjà cités sont parfaits et bien dans leur peau des personnages. Le paysan non-violent brave le criminel fier à bras, comme les prémices d’une fable humaine si humaine. L’objectif du fermier est de survivre à la sécheresse et étancher ses dettes pour sauver sa famille. Pour le hors la loi, un seul objectif : sauver sa peau à tout prix. Deux existences disjointes et pourtant qui se conjuguent dans la formation d’un couple d’hommes. Rien ne les relie, si ce n’est leur propre sens de la vie. Un pur joyau du western tant par l’image qui dépote et le sens littéral de l’affrontement entre deux hommes, à travers le regard et le lien qui se créent malgré eux. Testostérone plein les bonbonnes… qui vont leur exploser à la gueule !

Jack Lemmon, vous le connaissez en chaud lapin chez Billy Wilder, mais sans doute pas encore en « Cow-Boy » film en couleurs de 1958 ! Pourtant il s’y est essayé, même si on le constate dans le film de Delmer Daves, il n’est qu’un modeste cavalier plus doué à faire la cour à Marylin Monroe qu’à dompter un canasson.
Frank Harris (Jack Lemmon), un réceptionniste dans un grand hôtel de Chicago en a marre de sa vie terne et rêve de devenir cow-boy. Chaque année il en voit parader après une longue traversée pour accompagner des troupeaux. Il est tombé en amour pour une riche et belle brune dont le père est un grand marchand de bovins au Mexique et se fiche de la chique du simple réceptionniste. Frank profite que Tom Reece (Glenn Ford encore lui et toujours épatant et qui n’est toujours pas parent avec John Ford ni encore moins le constructeur de bagnoles) ait abusé du goulot et fait affaire avec lui afin de se faire engager comme cow-boy justement.
Revenu à la Raison, illico presto, Tom le met en garde contre tous ses rêves et préjugés positifs sur la profession dans une tirade ad hoc. « Et les boniments sur les chevaux ! La loyauté et l’intelligence du cheval. Les chevaux ont la cervelle de la taille d’une noix. Ils sont méchants, traitres, stupides. Même pas assez intelligent pour s’éloigner du feu. Aucun homme doué d’intelligence peut aimer les chevaux. L’homme tolère la sale carne parce que mieux vaut chevaucher que marcher » ! Mais rien n’y fait. Frank devient cow-boy et doit faire ses preuves ? Et le bleu est souvent mis en boite mais s’accroche à sa selle pour répondre au zèle de ses compagnons endurcis. Il subit plusieurs épreuves…

Quand un serpent est jeté par jeu sur l’épaule d’un de ses compagnons et lui crache son venin en le mordant. Pas d’homélie funèbre au programme. La vie continue rien de plus. Demain au boulot, il faut rassembler les bêtes….
Bertrand Tavernier dira de ce film dans une interview toute son admiration et le talent de Delmer Daves sans concession pour la dureté des cow-boys. « La vie des cow-boys était pénible, leur humour était rude et nous l’avons montré. Les nuits étaient de véritables nuits et non ces crépuscules bleutés en Technicolor, des nuits comme on les vit dans la prairie, dans les canyons ».
Bien entendu c’est une fiction qui a le caractère parfois du documentaire. En effet le scénario a été inspiré du récit autobiographique de Frank Harris. A propos, c’est John Turbo le scénariste dont le nom n’apparait pas à l’affiche, puisque au temps des sorcières d’hier, John était fiché comme communiste.
Pas facile de gérer un troupeau de 300 bêtes sur un plateau géant à ciel ouvert. Jack Lemmon s’avère épatant et risque tout. Le réalisateur a refusé qu’il soit doublé par un cascadeur, afin de l’endurcir dans son rôle. Je pense à la scène du train où il entre dans un wagon à bestiaux pour sauver un bovin à terre qui va être écrasé par ses congénères. Il devait pousser les bêtes et c’était très dangereux. C’est lui qui aurait pu être écrabouillé. Il a été vacciné pour tout le reste de sa carrière à ne jamais plus jouer un cow-boy.
Les acteurs sont formidables et incarnent leur personnage. On y croit. Au départ, étant donné la thématique du convoyage d’un troupeau et la vie au quotidien des cow-boys, on aurait pu croire qu’on allait s’ennuyer. Il n’en est rien. Toutes les scènes sont animées et rendent le film vivant jusqu’à l’amitié viril qui va s’en suivre entre les deux héros.


Je n’irai pas à dire, que pour palier la frustration du manque de femme durant cette longue épopée de l’Ouest, les hommes s’aimaient entre eux, comme le suggère la chanson des Au bonheur des dames (dans Métal Moumoute, dernier album en date). « Dès le lever du soleil, encore tout ankylosés / Les cow-boys repartent et se mettent à chanter Bien qu’en selle ce soit parfois douloureux / La chanson du cow-boy heureux » (in « La chanson du cow-boy heureux » Rita Brantalou / Fabrice des Dieux).
A propos de chanson justement dans ce film, on se serait cru chez un film de John Ford, tant les résonnances chient à l’oreille. Je vous rassure, ce sera mon seul point de comparaison navrante. Car si Ford représente l’archétype du réalisateur classique de western, Monument Valley c’est son territoire filmique, alors que pour Delmer Daves, c’était Sedona dans l’Arizona, sans doute moins touristique !
Même si l’humour et la dérision manquent dans ce film, je me rattraperai avec un morceau de choix d’un Frank Zappa qui a mis en scène sa vision des cow-boys dans son “Lonesome Cowboy Burt” extrait du film 200 motels elle (1971)

Après cet interlude musical charmant pour en revenir au film, je crois que la trouvaille stylistique dans ses images de trés grande qualité provient en partie de l’utilisation à bon escient de la grue.
Son fils, en tant que premier assistant sur le tournage, raconte dans un interview en supplément du DVD “que son père était fasciné par les prises de vue à la grue, mais il veillait à ne pas en abuser. Afin de rester dans les limites du style. En fixant une extension au bras de la grue, il était possible de faire descendre la caméra pratiquement au niveau du sol. Il a pu ainsi expérimenter différents types de plans. En faisant toujours en sorte que l’aspect visuel soit en accord avec le contexte imposé par le cadre de l’histoire. Il filmait à la grue pour l’aspect dramatique dans le seul but de servir le film”.
Un film épatant, une fiction documentaire sur la vie des cow-boys nous en apprend et nous conte fleurette sur une existence duraille, dur dur la vie du rail. Des images cette fois en couleurs sans fioriture excessive qui ne gardent que l’essentiel et c’est suffisant pour nous couper le souffle avec ces paysages grandiose. Du grand cinoche des années 50 par un grand cinéaste qui n’a rien à envier à John Ford et l’a dépasser en bien des points.

3 h 10 pour Yuma de Delmer Daves, (1957), 88 minutes, noir et blanc, distribué par Carlotta Films, nouvelle restauration, disponible en BLU-RAY DISC et DVD collector, 24 juin 2015

COW-BOY, de Delmer Daves, (1958), 88 minutes, couleurs, distribué par Carlotta Films, nouvelle restauration, disponible en BLU-RAY DISC et DVD collector, 24 juin 2015

Avec comme toujours chez Carlotta Films, de nombreux suppléments, dont l’interview du fils de Delmer Daves qui fut premier assistant sur les tournages.