Evénements Oshima sur les petits et grands écrans !

Evénements Oshima sur les petits et grands écrans !

Nagisa Oshima s’illustre chez Carlotta Films par trois évènements majeurs. La sortie le 11 mars 2015 en DVD et Blu Ray d’un coffret de 9 films tournés entre 1961 et 1972. Au ciné, « Le petit garçon » a ébloui les écrans depuis le 4 mars ainsi que « La pendaison « et « La Cérémonie » depuis le 18 mars. Cerise sur le gâteau, les parigots veinards ont droit à la rétrospective intégrale OSHIMA du 4 mars au 2 mai 2015 à la cinémathèque française ! Nagisa Oshima fut un cinéaste de la contestation, la sensualité, l‘irrespect familial du fait même de son extrême richesse stylistique. Son œuvre magistrale couvre sur presque un demi-siècle du noir au blanc à la couleur, mêlant des sujets politiques historiques et très tabous au Japon, qui ont gardé toute leur verve. Alors, pourquoi bouder notre plaisir de voir enfin ou découvrir ses fameux films ?

Au Mague, on admire Oshima et pas de quartier. En occident, on a surtout retenu ses deux grands succès d’estime et le potentiel choc que suscitèrent L’empire des sens (1976) et Furyo (1996). Mais à moindre raison Max mon amour (1986) où Charlotte Rampling avait pour amant un chimpanzé. En réalité, Charlotte s’envoyait en l’air ni plus ni moins avec une vulgaire marionnette, comme méziguette la Singette pour vous taper dans l’œil. Bonjour l’arnaque, espèce de macaque !
Alors que l’œuvre sublime et si riche d’Oshima sur près de quarante ans compte pas loin de 50 films très variés (fictions et / ou documentaires) pour le cinéma et la télévision. Il nous a quittés le 15 janvier 2013 à l’âge de 80 ans.

Je l’ai maintes fois évoqué dans mes chroniques. Il fut souvent comparé à Godard ou Pasolini en tant que contemporain de la Nouvelle Vague sans cause à effet. Son nom signifierait : grande île et son prénom : l’endroit le plus haut atteint par la marée. En ce sens et se fiant à son courant, c’est un cinéaste de l’après-guerre issu d’une génération qui était ado durant la guerre. Il porte la révolte de tous les phénomènes politiques et sociologiques de cette époque charnière du renversement des valeurs et du chaos total. Il est le tsunami qui va dévaster celle qui l’a précédée. en tant que courant de régénération et révolte contre les ancêtres réacs et rassis qui s’accrochaient encore aux branches de l’Empereur divin et sacré.
Pour me restreindre, je vais me consacrer cette fois aux 9 films du coffret collector, que Carlotta Films lui consacre. J’insisterai sur ceux qui m’ont le plus bouleversée et vous offrirai une échappée belle au pays du soleil levant par le prisme d’un cinéaste pas toujours très tendre pour la culture et l’esprit nippon.

Mathieu Capel, spécialiste d’Oshima, en supplément de chaque DVD nous offre ses éclairages passionnants.

Carnets secrets des Ninjas (1967), noir et blanc, 113 minutes.

« Film-strip, réalisé à partir de dessins originaux du mangaka Sanpei Shirato, alors très populaire auprès de la jeunesse japonaise  » (Mathieu Capel). Ou si vous préférez un manga filmé durant deux heures avec des images fixes superposées et mises en abîme, qui vous racontent les péripéties de la lutte vitale d’une communauté paysanne contre les seigneurs locaux avec le support des voix off des comédiens. Les amateurs de mangas seront comblés, les autres, passez votre chemin de ce cinéma expérimental et courageux lié aux arts populaires ….

Journal de Yunbogi (1965), noir et blanc, 24 minutes

Le Japon a été l’occupant de la Corée entre 1905 et 1945. Il en résulte depuis cette date des citoyens vivant au Japon qui ne sont considérés ni comme japonais ni encore moins comme coréens et souffrent de fait d’une discrimination très importante. C’est un film tourné et élaboré à partir de ses propres photos lors de son séjour en Corée durant deux mois qui l’a beaucoup marqué. Il a été très impressionné par la misère qu’il a trouvée à Séoul. Il décide d’adapter le roman « Journal de Yunbogi  » de façon non traditionnelle en introduisant encore des bandes d’actualité dans son film pour relater les luttes.
Oshima le tourne de façon précaire, même s’il a constitué sa propre compagnie de production. Il ne peut ni le tourner en Corée ni au Japon. Il décide alors de réaliser son film sur un banc titre à partir de ses propres photos et de rehausser son montage photographique d’un commentaire écrit comme une adresse à ce jeune Yunbogi. Clin d’œil aussi certainement à « La jetée  » de Chris Marker sortie en 1964 au Japon et d’un autre film japonais dont Oshima a été un grand rival avec le réalisateur.
«  Deux choses que je n’oublierai jamais à propos du « Journal de Yunnbogi » : non seulement qu’il était le tout premier film indépendant de la Sozosha, mais surtout que s’ouvrait une période, où tout comme ces enfants en Corée, les lycéens japonais auraient bientôt une pierre à la main  ». (Ohsima)

Le petit garçon (1969), couleurs, 93 minutes

Ce conte cruel familial met en scène un père invalide de guerre et qui se veut incapable de gagner sa vie de façon légale, un petit garçon d’une dizaine d’année très débrouillard, sa belle-mère et son demi-frère à travers tout le Japon jusqu’à Hokkaido. Pour survivre, le père suggère à sa femme puis à son fils aîné de faire semblant de se jeter sous les roues des voitures, afin de tirer de l’argent des conducteurs. Tiré d’un fait divers, Oshima nous brosse un portrait qui déchante sur l’avenir de la famille japonaise. « J’aurai dû être capable d’élaborer une histoire de ce genre par la seule force de mon imagination, mais les faits entrainent toujours les situations beaucoup plus loin qu’on ne saurait le concevoir  ».
Ce film touche un des thèmes majeurs de l’œuvre d’Oshima dans la porosité entre rebelles et criminels contre la société. Il correspond à sa propre désignation : « je suis un criminel ».

La cérémonie (1971) couleurs, 118 minutes

Si vous avez adoré Quatre mariages et un enterrement et si vous avez le béguin pour le charme désuet d’un Hugh Grant à l’humour so british, La cérémonie, les cérémonies devrais-je dire d’Oshima et ses moult suicides raffinés ne devraient pourtant pas vous laisser indifférent !
La famille japonaise dans tous ses états sous les traits de l’arbre généalogique des Sakurada tisse les liens profonds avec l’histoire du Japon à des dates clés. Un grand-père règne sans partage et s’octroie même les faveurs de la gent féminine à ses pieds en fécondant ses belles filles, puisque seul porteur de la pureté pour assurer la lignée. De ce dévot, il n’y a qu’un pas pour un vaudeville familial et bourgeois avec toutes les explosions nucléaires dont est capable le cinéma japonais dans une esthétique poussée à son paroxysme. Sans doute le film le plus intime d’Oshima. « La cérémonie est une poursuite de mon idée personnelle selon laquelle je voulais mourir. De tous les films que j’ai faits, c’est le plus proche de ma propre vie ».

Journal du voleur de Shinjuku (1969) noir et blanc et couleurs 92 minutes

Oshima parle des enragés, les habitants ainsi désignés de ce quartier. Il film quasi en direct les évènements qui s’y déroulent tel que le cinéaste Wakamatsu mettait en début de ses films des images d’émeutes filmées trois jours auparavant. La révolution presque en direct avec le passage du noir et blanc à la couleur ! En filigrane, on reconnait une référence littéraire européenne à Jean Genet et le quartier des mauvais garçons dans un Saint-Germain des Prés japonais en extension, avec une place Saint-Michel en plus spacieuse et moderne et ses voyous de bon aloi. L’essentiel du film a été tourné dans une librairie en plein centre du quartier de Tokyo. Bel hommage aux artistes et à la jeunesse digne de la désobéissance créatrice des situationnistes visionnaires qui désignaient leurs actions comme des « performances de joueurs de situations  » et ses héros qui lisent Genet, Bataille et s’ouvrent à la veille Europe décadente. Il exprime aussi la contemporanéité des révoltes de mai 1968 dans le monde. J’ai retenu une scène émouvante où l’actrice principale au corps menu construit une pyramide de livres la nuit dans une librairie, éclairée par un rais de lumière et où ses mains graciles donnent présence à une architecture et à une maçonnerie de papier. Film expérimental de cette époque vivante et révoltée d’un Oshima très inspiré !

Le piège (1961), noir et blanc 101 minutes

Dans un autre contexte aux accents villageois similaires dans les attitudes d’ostracisme, le film d’Oshima me rappelle Scènes de chasse en Bavière de Peter Fleishmann (1969) tourné en Allemagne qui relate la chasse à l’homme soupçonné d’être homosexuel et au prénom Abram pas assez catholique.
Nagisa Oshima s’inspire d’une nouvelle et raconte les derniers jours de la guerre entre le Japon et les ricains, la chasse à l’homme noir tombé du ciel depuis son avion qui devient la proie de toutes les haines dans un village qui crève la faim et les privations. « Quelqu’un d’autre aurait collé à l’œuvre originale, en la mettant sur un piédestal. Ma première impulsion était au contraire de faire un film qui en soit la critique, parce qu’elle n’allait pas assez loin. Si vous parlez de la guerre, alors il vous faut poser radicalement la question des responsabilités et des crimes de guerre  ». (Oshima)
Toutes les rancœurs ancestrales et de classe ressurgissent comme en miroir dans le village à travers la figure de l’étranger qui vole la nourriture des habitants. Tous rapports et discours avec un certain parti de la haine raciale en France sous l’étendard bleu marine découlent de ce sentiment du manque profond de solidarité et de fraternité. Un film coup de poing d’une violente actualité surtout en zones rurales marquées par la poussée du F’Haine !

La pendaison (1968) noir et blanc 118 minutes

Dans la bande annonce de son film, Oshima se met en scène et fait entendre sa voix. « En 1967, d’après les sondages, 71 % des japonais étaient contre l’abolition de la peine de mort  ». Il se rend dans le studio où a été filmé le La pendaison. Il explique les conditions du tournage pour nous mettre dans la peau du condamné et coller au plus près de la réalité. Il se passe la corde au cou en déclamant une vérité universelle : « pourquoi un état a-t-il juridiquement la possibilité de tuer un individu ? Pourquoi a-t-il le droit de tuer ? Même condamnés à mort, nous ne mourrons pas ! Nous vivrons tant que des gens mourront, à cause des guerres ou des intérêts étatiques. Tant que l’Etat existera, nos actions seront justifiées. C’est l’Etat qui est criminel, pas nous. L’Etat est coupable et nous sommes innocents. C’est pour ça qu’on a fait ce film, nous et les rebelles ». A cette diatribe libertaire, Stirner aurait dit : « Aux mains de l’Etat, la force s’appelle « droit », aux mains de l’individu, elle se nomme crime  ». (in L’Unique, 1848)
D’après un fait divers réel. Oshima raconte l’histoire d’un assassin condamné à mort. L’exécution foire et cet homme survit. Il s’agit d’un coréen né au Japon. Les geôliers vont devoir lui prouver qui il est vraiment, et le crime qui lui incombe et donc les raisons pour lesquelles il faut l’exécuter. Ce film sur un thème tragique tourne vite à la comédie tant la situation est ridicule où aucun maton n’est en mesure de lui expliquer ce qu’est d’être coréen. La tirade du gardien à ce sujet est désopilante. C’est le résultat d’un voyage d’Oshima en Corée et son choc immense devant une telle situation de misère dont le Japon était responsable. Ce qui l’intéresse surtout dans sa vision de cette situation, c’est le regard extérieur des coréens portés sur le Japon avec la figure forte de l’étranger. Jamais un film japonais ne m’avait autant soutiré des éclats de rires sur un sujet grave, pas même les comédies italiennes que j’adore par-dessus tout !
Sujet fort pour un cinéma militant, qui pourrait porter après projection, à un débat entre citoyennes et citoyens actifs. Tant le racisme, la haine, la misère sociale, l’Etat destructeur, la liberté de se penser et se réaliser deviennent de plus en plus présents, dans le quotidien de notre existence.

Une petite sœur pour l’été (1972) couleurs 91 minutes

« C’est un film de fantômes. Ils sont tous morts. C’est pour ça qu’ils sont habillés en blanc. Ce n’est pas sans lien avec le fait d’être allé à Okinawa. En ce sens, on peut dire que c’est l’épilogue de la « Cérémonie  ». (Oshima)
C’est aussi l’histoire de la rétrocession de l’île d’Okinawa au Japon par les Etats Unis, occupée et déculturée depuis 1945. Avec une population décimée durant la guerre et adonnée à d’épouvantables brimades par un occupant venu se venger de son ennemi et installer un bordel géant pour le repos de ses yankees. Au point même que les habitants de l’île utilisent un dialecte, que les autres japonais ne peuvent pas comprendre.
Sunako, adolescente délurée de Tokyo vient passer un séjour à Okinawa. Elle est accompagnée par la maîtresse de son père qui pourrait être sa sœur aînée, tant la différence d’âge ne saute pas aux yeux. Le leitmotiv officiel de cette visite repose sur une lettre adressée par un grand frère, dont elle ne soupçonnait même pas l’existence.
On circule sur l’île entre les vivants et les morts qui se confondent dans des paysage somptueux qui laissent baba très cool à jeter son pétard dans l’océan et rejoindre les personnages à la nage, dans leur épopée familiale compliquée et parfois invraisemblable. Ce qui fait tout le charme de ce film.

Il est mort après la guerre (1970) noir et blanc 90 minutes

J’avoue humblement que pour ce film, si je n’avais pas visionné la préface de Mathieu Capel, j’aurai décroché du sens qu’a voulu lui donner Oshima.
Déjà le titre est pour le moins énigmatique ! De quelle guerre il s’agit ? Corée ou Pacifique ? Le film est tourné durant les événements des années 1968 dans un Tokyo en rébellion. Il s’agit de l’histoire d’un jeune homme décédé qui laissa un film testament. Un jeune activiste étudiant en fac de cinéma aperçoit un de ses camarades qui se jette du haut d’un immeuble. Sa caméra est intacte, il s’en saisit pour essayer de décrypter les images censées représenter les manifs de l’époque. Macaque bonobo, il a tout faux. La bobine représente des paysages de la ville de Tokyo bien loin des affrontements entre les manifestants et la police. Il se demande alors quelle corrélation existe-t-il entre ces images et ce jeune cinéaste dont la mort au fur et à mesure devient une énigme. Le camarade qui aurait trahi la cause marxiste de ces jeunes bornés et autoritaires au manque criant d’humour et de dérision ressemble à ces sectes trotskistes de mal baisés !
La petite amie du cinéaste, celle du défunt ou du chercheur de sens est la victime de plusieurs viols que j’interpréterai comme le symbole féminin de la ville de Tokyo aux paysages déchirés. En effet, à cette époque Oshima porte un regard très critique à ces cliques de cinéastes militants qui se filment le nombril. Il partage avec des proches le corpus théorique de « la pensée du paysage  ». Ce qui correspond à l’urbanisation croissante de tout le Japon et donc forcément à l’uniformisation selon ce modèle de ville à grande échelle. Tous les migrants qui ont quitté leur campagne ont perdu le paysage de leur enfance en s’installant dans ces grandes villes. C’est-à-dire l’idée de profondeur historique. Fini la vision marxiste de la classe dominante et de la classe prolétarienne. Dorénavant on va filmer d’une autre façon les paysages urbains qui deviennent les paysages majoritaires et énoncer une nouvelle carte qui correspond aux quartiers où vivent désormais les prolétaires.
J’ai reçu aussi ce film en plein gueule dans son mélange d’images d’actualités des révoltes d’Oshima, comme un documentaire sur cette époque si importante de moult changements au sein desquels des jeunes se battent contre l’oppression.
La petite amie du cinéaste, celle du défunt ou du chercheur de sens est la victime de plusieurs viols que j’interpréterai comme le symbole féminin de la ville de Tokyo mis à feu et à sang dans ses représentations, dont la femme est toujours la première victime du machisme.
La scène ou la petite amie nue explose l’écran des images projetées en noir et blanc en incrustation dans ses pores, est d’une splendeur cinématographique dignes de certains collages dadaïstes berlinois, une autre capitale incontournable.
Un film mouvant, émouvant qui ne laisse pas indifférent.

Je vous recommande chaleureusement la Projection privée proposée par Michel Ciment sur France Culture avec ses nombreux invités de la table ronde autour de Nagisa Oshima
http://www.franceculture.fr/emission-projection-privee-evenement-nagisa-oshima-2015-03-07