La guerre des transports et si…

La guerre des transports et si…

A l’heure où les Taxis et les VTC (Véhicule de tourisme avec chauffeur) se livrent une guerre à couteaux tirés, l’on oublie qu’il existe d’autres acteurs dans le monde du transport, je rencontre l’un d’eux dans un charmant petit village Ardennais.

Molzer d’Ylian : M. Chauveau-Beaubaton, merci de me recevoir. Vous venez de créer votre société de transport, pouvez-vous nous en dire plus ?

M. Chauveau-Beaubaton : Oui, la société Arduinna transports a vu le jour le 2 juillet 2014 et ouvrira le 23 juillet 2014. Notre activité est donc lié aux transports de personnes et nous dépendons de la convention collective relative au transport en commun, si ce n’est que dans notre cas, nous sommes limités à 9 places chauffeur compris.

M.Y : Y a-t’il des conditions particulières pour pouvoir exercer votre profession ?

C.B : Oui, il faut être titulaire d’une capacité professionnelle de transport de personnes avec des véhicules n’excédant pas 9 places remis par la DREAL (Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement) après un examen et une formation. Puis il faut une licence sous conditions d’honorabilité et de capacité financière au prorata du nombre de véhicules.

M.Y : Qu’est-ce qui vous différencie de vos concurrents directs ?

C.B : Nous ne nous considérons pas directement comme une concurrence, plutôt comme une alternative, voir quelque part vers une évolution de la profession, et peut-être même la solution à un conflit et une réponse à la suprématie imposée et revendiquée par certains. Notre licence est gratuite, mais comme je l’indiquais ne s’obtient pas sans conditions. Il faut d’abord être formé et répondre aux exigences de la DREAL, et cette dernière n’est pas valable à vie, mais sous réserve de répondre aux exigences demandées. Les taxis eux doivent payer cette licence, souvent à prix prohibitifs. Je pense que cette solution justement serait une bonne chose pour tout le monde, on reste dans quelque chose de réglementé, il n’y a plus tous les travers liés à la licence payante et les gens sont formés, diplômés et ne peuvent exercer qu’après avoir répondu convenablement à des critères établis. Après le problème avec les VTC, surtout avec le groupe Uber, c’est qu’ils sont vraiment agressifs et ne respectent pas forcément les règles auxquels nous devons répondre, ce qui explique ainsi la grogne des taxis.

M.Y : C’est-à-dire ?

CB : Beaucoup de VTC démarchent à la sortie des gares ou des aéroports, ils circulent dans les couloirs de bus etc. et ça leur est pourtant strictement interdit ; nous-même n’en avons pas le droit alors que nous sommes réglementés et agréé par le ministère des transports ; nous ne pouvons être hélé comme un taxi et devons impérativement être commandé au préalable. Il faut jouer le jeu et respecter les règles pour que chacun s’y retrouve, il y a de la place pour tout le monde pour peu que celles-ci soient respectées ; enfin beaucoup de chauffeurs ne sont même pas formés, certains d’ailleurs n’ont même pas de permis valides, et ça c’est vraiment grave. Je trouve lamentable qu’il n’y ai pas plus de vérifications, on peut parler de taxis clandestins dans certains cas et hélas à cause de ces personnes-là, tous les transporteurs autres subissent la grogne des taxis, mais ils se trompent malheureusement de cibles, nous sommes la réponse à leurs exigences, notre profession est vraiment encadrée. Enfin il y a un autre souci, celui du co-voiturage, avec des sites comme « Blablacar ». Sur le papier c’est vraiment une très bonne idée, sauf que dans la réalité, c’est de l’activité illégale maquillée de transports, non pas de par l’entreprise elle-même qui est d’ailleurs très claire sur le sujet (il est en effet indiqué sur le site de Blablacar que ce système n’a pas pour vocation de faire du profit mais de diviser ses couts kilométriques, ni d’en faire une activité régulière), mais de la part des conducteurs qui en principe n’ont pas vocations à gagner de l’argent, mais à réduire leur coûts en partageant leur véhicule. Il faut plus de contrôle là aussi ou encadrer autrement.

M.Y : Je vois vos tarifs, comment pouvez-vous expliquer cette différence de prix avec vos concurrents ?

C.B : Tout simplement parce que notre prix de revient n’est pas le même, ce n’est pas que les taxis s’en mettent plein les poches contrairement aux idées reçues, c’est que leur coût de revient grimpe à cause, du moins en partie, du prix de leur licence par exemple, ils doivent bien le répercuter. Réformer de ce côté-là permettrait d’avoir des tarifs assez proche de ceux que nous pratiquons, voilà pourquoi je parlais de solutions plus tôt ; tout le monde s’y retrouverait, sociétés comme clients. Certains pays pratiquent déjà cette méthode depuis longtemps, ce n’est pas de la libéralisation à outrance et il n’y a pas non plus le côté « cercle fermé ». L’avenir c’est ça, un juste milieu entre les taxis et les VTC (rires).

M.Y : Quand vous parlez de « cercle fermé », on sent dans votre voix une certaine amertume ; est-ce une impression ou…

C.B : Disons que nous subissons beaucoup de pressions, comme je le disais, nous sommes mal vu car l’on nous confond à tort avec les VTC, puis en France et c’est d’autant plus vrai dans des petits villages, on n’aime pas trop la concurrence, ce qui se comprend lorsque celle-ci est déloyale, or même si je suis habilité à faire du service à la demande, ma cible de clientèle n’est pas exactement la même. Aussi surprenant que cela puisse sembler, je respecte beaucoup les transporteurs classiques, mon père a longtemps travaillé comme chauffeur de bus chez Francotte et pour M. Bridoux père qui faisait les ambulances et les taxis ; voici aussi pourquoi je les comprends dans leur colère, mais au risque de me répéter, je suis une alternative et je ne suis donc pas là pour les enterrer, juste proposer un service différent surtout orienté vers les familles nombreuses, les petits groupes, les petites associations ou les usines. Nous avons avant tout une vocation touristique, familiale, d’ailleurs notre nom joue surtout sur l’identité ardennaise. Je m’échine dores et déjà à tisser des liens avec les acteurs touristiques de notre belle région, Les Ardennes ne sont pas un mouroir, le décor est superbe et il y fait bon vivre. Vrai que dans la vallée de la Meuse celui qui n’a pas de permis est un peu embêté et les moyens de transports classiques sont ce qu’ils sont, avec leurs qualités et leurs défauts.

M.Y : Justement, n’avez-vous pas peur du contexte économique local ?

C.B : Il est vrai que les fermetures à répétitions sont un véritable coup dur pour la vallée de la Meuse qui est gravement touchée, la main d’œuvre et la qualité du travail y sont pourtant reconnus, mais rien y fait. Mais il faut bien trouver des solutions, il y a un tel potentiel ici que si l’on s’y met tous ensemble, il est possible de changer les choses. Beaucoup comme moi, croient dans le potentiel touristique, un parc de loisir s’est créé au lac des vieilles forges, on a « terre altitude », rayon gastronomie nous ne sommes pas en reste, le restaurant « Robinson » propose des balades en gyropodes etc…, nous avons de petits hôtels de charmes comme le moulin Labotte situé au cœur même de la forêt… puis d’ici quelques jours c’est le Fest’ in Haybes, le Aymon Folk festival et bientôt le cabaret vert, qui plus est, nous sommes une terre de légende, j’ai plaisir à conter moi-même ou même écouter ces contes et légendes qui ont bercé mon enfance …Non les Ardennes ne sont pas en train de mourir, passez la frontière et vous verrez comment nos voisins belges ont su rendre la gloire à leur région en tout point égale en terme de beauté de site, en jouant la carte du tourisme. Le seul moyen de ne pas sombrer c’est de se reconvertir.

M.Y : On sent beaucoup de passion quand vous parlez de votre région...

C.B : Je n’y suis pas né, mais j’y ai toujours vécu pour ainsi dire, ma grand-mère était issue d’une des plus anciennes familles de Haybes, c’est elle qui m’a principalement éduqué et je me sens avant tout ardennais… ce qui est assez amusant quand on pense que, comme nombreux de mes amis, on a voulu en partir pour finalement y revenir. On pense trouver mieux ailleurs lorsque l’on est jeune, pour voir finalement que l’essentiel est ailleurs, je suis revenu dans la région il y a 8 ans lors de l’enterrement de mon grand-père, un jour triste qui me chagrine encore aujourd’hui, mais c’est aussi le jour où j’ai eu à nouveau le coup de foudre en regardant ce qui m’entourait, je me suis toujours demandé comment je n’ai pas su voir alors le trésor que j’avais sous les yeux.

M.Y : En tout cas vous êtes un bon promoteur de votre ville, mais revenons-en à notre sujet ; Vous dîtes mettre un accent sur le tourisme mais dans les faits comment allez-vous fonctionner toute l’année ? Il y a forcément un phénomène de saisonnalité, non ?

C.B : Je vous remercie, et je pense que les meilleurs ambassadeurs d’une région sont ses habitants. En effet pour ce qui est du tourisme il y a une saisonnalité, voilà pourquoi je m’adresse aussi aux petits groupes, aux associations, aux familles pour du service à la demande ; la question et les besoins ont été étudiés. Beaucoup de jeunes n’ont pas forcément les moyens financiers par exemple de bouger, puis le durcissement au niveau des points du permis de conduire, du code de la route etc. font qu’il n’y a que trop peu de solutions mis à leur dispositions, ici c’est plein de petites villes ou villages pas forcément bien desservis, encore que niveau train quand il n’y a pas de grèves ou de travaux on a pas trop à se plaindre pour ce qui est de la ligne Charleville-Mézières-Givet, mais là encore prendre un train en groupe coute très cher, puis le samedi soir lorsqu’ils vont en boite, trouver de quoi les rapatrier tiens de la gageure.

M.Y : Comment fonctionnez-vous justement au niveau de vos prix, prestations ?

C.B : Nous avons un prix global du véhicule qui est calculé au kilomètre et divisible ou non, selon le choix du ou des clients par le nombre de personnes au prorata si les départs ne se font pas tous au même endroit. Nous mettons aussi en place des systèmes de pass payants annuels permettant un prix plus bas sur tous les voyages (excepté tarif de nuit sauf pour les travailleurs) qui est très vite rentabilisé pour peu que l’on voyage souvent.

M.Y : Avez-vous bénéficié d’aides pour vous établir, avez-vous rencontré des difficultés particulières ?

C.B : Il est clair que les banques se sont montrées très frileuses, ils voient les choses avec leurs yeux de banquiers seul une grosse rentabilité les intéresse, quant à certains, l’on m’a refusé de l’aide par manque d’expérience, forcément je viens d’avoir mon diplôme pour avoir le droit de créer ma société, mais si je ne peux pas exercer un jour, je n’aurais jamais d’expérience, heureusement j’ai pu compter sur le soutien d’autres personnes et de précieux conseil, comme le CISE de Vireux-Molhain, Le conseil général, le PLIE et d’autres acteurs privés aussi bien société que particuliers, c’est ce qui m’a donné la force de me battre contre vents et marées et de ne pas lâcher. Il est vrai que financièrement il a fallu couper et revoir nos ambitions à la baisse, mais au final c’est un mal pour un bien, ça m’a permis de redéfinir les choses et d’être plus raisonnable, plus sage. Quelque part toutes ces épreuves m’ont endurci et ce n’est pas plus mal, je remercie les personnes qui me font confiance et me soutiennent, quant aux autres, à moi de leur faire changer d’avis et de leur prouver l’intérêt de mes démarches. Je ne pars en guerre contre personne, je veux juste proposer aux gens des alternatives qui les concernent selon la situation locale et vivre honnêtement d’un métier qui me passionne.

M.Y : Lors de notre discussion préalable et même dans notre entrevue, je n’ai pu m’empêcher de remarquer un côté social dans votre discours, cela vient-il d’un vécu personnel ?

C.B : En fait je suis issu professionnellement de ce milieu, j’ai longuement travaillé auprès de jeunes et je dois beaucoup aux entreprise pour lesquelles j’ai travaillé, j’ai toujours une pensée pour eux, aussi bien pour mes collègues que pour ceux dont j’ai eu la charge, même lorsque j’étais en congé, je ne partais pas en vacances, afin d’encadrer des centres de loisirs, j’adore ça ; il faut que je bouge constamment.

M.Y : Pourquoi ne pas avoir continué dans cette voie alors ?

C.B : J’ai eu de gros bouleversements dans ma vie familiale, surtout à la naissance de ma fille atteinte de trisomie 21, à ce moment-là j’ai compris que je ne pouvais plus assurer un travail correct ; on ne peut s’occuper des autres lorsque l’on n’est plus capable de gérer sa propre vie. Il m’a fallu faire un point et aujourd’hui j’ai compris la voie que je devais suivre… Alors forcément, on ne peut changer sa nature, d’où mon discours ; aussi j’ai décidé d’œuvrer autrement en suivant et respectant mes convictions, en proposant un service adapté et répondant aux besoins de chacun.

M.Y : Un mot pour conclure ?

C.B : Pas spécialement, si ce n’est que vous serez les bienvenus pour l’ouverture de notre société

M.Y : Je vous remercie d’avoir accepté de nous recevoir et je vous souhaite bonne chance et bon courage dans votre entreprise.

C.B : Je vous remercie de m’avoir permis de m’exprimer.