Mika la passionaria A las barricadas !

Mika la passionaria A las barricadas !

Les éditions Milena qui viennent de naitre ont eu la bonne idée de republier l’ouvrage de Mika Etchébère « Ma guerre d’Espagne à moi » sous-titré « Une femme à la tête d’une colonne de combat » (du Poum). Un documentaire format DVD agrémente la lecture passionnante de ce récit singulier et fait résonner le texte avec les images. Cette femme argentine cultivée et révoltée a créé sa vie autour de ses combats pour la révolution. C’est surtout durant la guerre d’Espagne en 1936 qu’elle a révélé tous ses talents humains dans des conditions extrêmement difficiles. Une tranche de vie d’une femme libre débordante de cœur et d’esprit à l’écoute et en soutien actif des combattant(e)s contre le fascisme.

Ce pavé dans la marre qui vient de paraitre m’a remuée les tripes. Tous les capitaines d’Industrie femmes actuelles, qui se chauffent au nucléaire et qu’on encense dans les pages saumon du Figaro ou les pages éco du Nouvel Obs me donnent la gerbe. Je leur préfère le parcours semé d’embuches d’une Mika. Femme authentique émancipée qui fut révoltée toute sa vie. Elle se battait pour d’autres valeurs, que celles ignobles, matérielles et déshumanisantes, des femmes du fric.
Je laisse la parole à la jeune éditrice Lola Montalant, enthousiaste envers sa frangine Mika. « Je trouve Mika absolument splendide, car elle est allée au bout de ses convictions. Dans ce monde où règnent les envies fades, la légèreté, le cynisme et l’individualisme, l’existence de Mika est traversée de bout en bout par des désirs puissants, mais aussi l’amitié, le courage politique, le sens du commun, et enfin la modestie, qui est la particularité des esprits intelligents ».

Micaela Feldman Etchebéhère est née en Argentine en 1902 et s’est éteinte dans la banlieue de Paname en 1994, d’une vie bien remplie ! Elle avait de qui tenir, pardi. Fille de juifs russes, son enfance fut baignée par les histoires à connotation déjà révolutionnaire concernant les évadés des prisons et des pogroms, sous le règne du tsar. A 15 balais, elle a des penchants anarchistes. Lors de ses études à l’université dentaire de Buenos Aires, elle rencontra Hipolito Etchebéhère qui deviendra son amoureux. Ils se marièrent et eurent beaucoup de chicots…. Vous n’y pensez pas, les beaux sourires ne mènent pas seulement à se reproduire et vivre une vie pépère. Ils militèrent au sein d’un groupe politique d’obédience marxiste et anarchiste. Ils effectuèrent même un passage éclair sous la faucille et le marteau du parti communiste argentin, qui eut très vite ses nerfs de les virer pour activités révolutionnaires.
Un voyage en Patagonie bien avant l’autre évadé fiscal qui se réclame d’une forme de la libre pensée du show business, ils soignèrent les dents et tombèrent raides dingues d’un lac. Sans se noyer pour autant dans les illusions naturalistes. La révolution tonnait déjà leurs têtes ouvertes sur les cris des peuples du monde. Ils passèrent par Paname puis Berlin en octobre 1932.
Ils déchantèrent vite du parti communiste teuton pourtant très puissant, qui aurait pu se jeter dans la résistance active contre les infamies perpétrées et à venir du mouvement nazi en pleine expansion. Ils feront preuve d’une lucidité politique très rare à cette époque. Leur analyse pertinente de la situation, Mika l’exprime dans le documentaire qui lui est consacré, en complément de son livre. «  La révolution en Allemagne était, c’était possible. Nous voyons comment Hitler est appelé au pouvoir par Hindenburg, de façon si pacifique. Nous assistons au profond désarroi, à la passivité engendrée par la politique criminelle de l’internationale communiste. Vous voyez sombrer soixante ans de luttes ouvrières comme c’était le cas de l’Allemagne. Les organisations ouvrières les plus puissantes étayées par une théorie et vous voyez que tout ça disparait dans la honte, dans le noir, dans la misère, c’est atroce ».

La révolution espagnole les cueille à Madrid en 1936, le 18 juillet lors de la tentative du coup d’état des généraux fascistes. Ils rejoignent le POUM (Parti Ouvrier d’Unification Marxiste). « Le peuple a pris le pouvoir, mais malheureusement il n’a pas pris le gouvernement. Le pouvoir, il l’a pris durant presque 6 semaines. Il n’y avait aucune légalité que la légalité révolutionnaire. Il y avait une solidarité à ce moment-là merveilleuse. On savait si tu es communiste, socialiste ou anarchiste, tout le monde était ensemble. Les chansons se mélangeaient. On chantait La Jeune Garde, on chantait les chansons anarchistes, on chantait l’Internationale. Cette révolution est née comme ça. Le 18 juillet 36 ! » (in documentaire) Avant que le pouvoir ne corrompe même certains anarchistes. J’y reviendrai en fin de mon article, avec un exemple précis bien installé dans la hiérarchie militaire dans l’entourage de Mika.

Hipolito fut à la tête du commandement d’une colonne motorisée. Il fut tué seulement un mois après, lors de la bataille d’ ;Atienza. Mika désarçonnée est complétement perdue. Elle le savait pourtant atteint de tuberculose, quand il crachait du sang et qu’il jouerait une vie brève. Mais plutôt que de crever au sanatorium en chantant du Brassens « Mourir pour des idées, d’accord, mais de mort lente » Hipolito s’est engagé, quitte à mourir d’une balle au cœur. Il a toujours voulu vivre à cent à l’heure, comme un Boris Vian allait cracher sur nos tombes dans un cinoche, lors de la première de son roman adapté de façon merdique, en plus !

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Si, à ce stade de mon article, je radine, ma fraise à la sauce littéraire pour ne pas sombrer dans le pathos, c’est aussi pour la simple raison qu’il est difficile de qualifier le livre de Mika. Récit de sa guerre d’Espagne ou roman ? Des zigues qui racontent des événements marquants courent les rues à la recherche d’un éditeur. Sauf que Mika a un sacré talent. La guerre des tranchées qu’elle nous narre n’a rien à envier aux «  Orages d’acier  » d’un Ernst Jünger inspiré, lors de la boucherie de 14 / 18 ! On y lit aussi la merde, les poux qui te bouffent comme un casse-dalle animal, toutes les calamités grégaires de vivre deux pas sous terre si près de la tombe, à se prendre les mitrailles des zingues et les obus des fascistes de Franco si bien armés. Avec, comme simple riposte des fusils issus de trois provenances, aux balles équivoques.
« Alors c’est ça la guerre, la vraie ? Des blindés qui veulent foncer sur nos tranchées et que nous tapis dans la boue, armés de fusils surannés, dépareillés, enrayés, de bombes artisanales allumées au feu des cigares, nous devons arrêter, vaincre en un mot. C’est dérisoire et tragique à la fois. Combien d’hommes affamés, fourbus, morts de soif, les mains brûlées, restent dans ce boyau puant la sueur et la merde ? » (page 176) Et pourtant la colonne de Mika remporte d’éclatantes victoires !

Mika attentive prévoyait les thermos de café pour les hommes au combat, elle était aux petits soins, la cuillère de sirop à portée de main pour ceux qui raclaient de la gorge. Elle faisait en sorte que les ventres ne soient jamais vides. Elle apportait même la culture dans les tranchées sous forme de livres et l’alphabétisation. Mère Courage à la Brecht, au cœur gros comme un camion, en grand partage de la révolution. Entourée de mâles machos qui ne juraient que par leurs burnes, Mika devient capitaine d’une colonne de cent cinquante hommes et est respectée. « J’essaie de repenser à mes rapports avec les hommes qui m’entourent depuis le début de la guerre. Que suis-je pour eux ? Probablement ni femme ni homme, un être hybride d’une espèce particulière à qui ils obéissent maintenant sans effort, qui vivait au début dans l’ombre de son mari, qui l’a remplacé à la tête de la colonne dans des circonstances dramatiques, qui n’a pas flanché, qui les a toujours soutenus, et, comble de mérite, est venu de l’étranger pour combattre avec eux  ». (page 164)

Parallèlement du côté anar, à la même époque, on aurait pu croire que les femmes deviendraient libres à l’égal des hommes combattants pour la liberté. Il n’en était rien. Le mouvement Mujeres Libres (Femmes libres), organisation féministe libertaire espagnole naquit en avril 1936 : http://www.monde-libertaire.fr/portraits/17226-feminisme-ou-humanisme-integral-lucia-sanchez-saornil-1895-1970 L’une de ses créatrices est morte ce printemps 2014. http://www.monde-libertaire.fr/portraits/17180-deces-de-concha-liano-co-fondatrice-de-mujeres-libreset Elle relatait le machisme présent chez certains hommes libertaires de la CNT (Confédération nationale du travail, syndicat anarchiste) ou au sein de la FAI (Fédération anarchiste ibérique), majoritaires sur le terrain des luttes à Barcelone ou Saragosse aux mains des anarchistes durant la guerre d’Espagne.
En revanche, jamais au grand jour Mika ne se revendiqua du féminisme si j’en crois Lola éditrice du livre, avec laquelle je partage son point de vue. « Le récit d’une femme au combat ne peut être que salué ; en plus d’offrir le seul témoignage existant d’une femme-capitaine, "être hybride" dans un monde essentiellement masculin, Mika n’est jamais amère ni rancunière. Elle met en pratique un féminisme profondément égalitaire, mais qu’elle ne revendique jamais non plus. Elle fait, c’est tout. Et il faut voir ce que cela représente, être aux commandes d’une colonne de 150 hommes, en majorité Andalous, dans les années 30 en Espagne ! Mika dira "mes hommes" comme elle dit "ma guerre", et prônera la "confiance" comme méthode de commandement  ».

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Narratrice de tous ses combats en solidarité avec l’Espagne libre, Mika, en plus d’être une fameuse conteuses des évènements douloureux de la guerre, nous offre aussi des dialogues d’une teneur réaliste qu’elle n’a pas pu inventer. Je vous le dis, elle est digne d’une très grande littératrice. Ses amis du champ plumitif, Copi et Cortázar ne s’y sont pas trompés. Tous deux à leur façon d’origine argentine ont adopté Paname comme leur seconde patrie. Lola éditrice nous comble en plus de quelques photos en noir et blanc à la fin de l’ouvrage d’une lettre en fac-similé et traduite de Cortázar écrivain.
« Beau, nécessaire et efficace, ton livre témoigne de la guerre d’Espagne, mais également des ruines de notre époque et de l’invincible espoir qui est le nôtre. Tout ceci, j’aurais mieux su te le dire de vivre voix, et je t’en parlerai à mon retour. As-tu la possibilité de le publier ? Les éditeurs imbéciles de naissance, reculent généralement devant un tel livre, mais si je peux t’aider à quoi que ce soit, n’hésite pas à m’en faire part  ». (page 363)
A croire que les éditeurs ne sont pas tous des idiots indécrottables, c’est le regretté Maurice Nadeau grand découvreur des nouveaux talents qui lui a porté son soutien éditorial. L’ouvrage de Mika fut édité une première fois en France chez Denoël en 1975, puis Actes Sud en 1998, en Espagne en 2003 et enfin (il était temps) en Argentine en 2013.Il fut un succès en librairie, au point même que Bernard Pivot, le pape de la littérature à la télé l’apostropha.
Et encore cet ouvrage de 340 pages aurait pu avoir une pagination du triple, si Mika dans ses combats n’avait pas perdu quelques précieux carnets de notes.

L’intervention soviétique dans la guerre d’Espagne scella sciemment par Staline la victoire de Franco et la mise au pas du Poum et la tentative d’attenter aussi à la CNT et la FAI, par l’assassinat de Buenaventura Durutti général sans grade de la CNT. Afin de mettre un coup d’arrêt aux exploits de sa colonne qui portait son nom, peuplée de plusieurs milliers de guérilleros libertaires. Parmi lesquels, échappés des camps de concentration français qui accueillirent dans la fraternité les républicains espagnols vaincus par les fascistes, certains survivants aguerris aux combats rejoignirent la 2e division blindée Leclerc, surnommée la « Nueve  ». Elle était composée de 160 hommes dont 146 républicains la plupart anarchistes qui entrèrent les premiers le soir du 24 août 1944 pour libérer Paname : http://florealanar.wordpress.com/2012/08/25/la-veritable-histoire-de-la-liberation-de-paris/

Mika évoque à plusieurs reprises et avec raison dans son livre le danger que représentait l’incorporation des milices dans l’armée régulière et à plus forte raison la suppression du POUM, par le grand frère du peuple soviétique, sous la férule de Staline. « Le plus grand danger, dit quelqu’un, c’est qu’avec les armes viendront peut-être les « Tchekas » soviétiques et les conseillers politiques  » (page 133). Comme un retour de bâton pour tous ces adeptes de Léon Trotski créateur enjoué de l’Armée rouge, terreur de la même couleur sanguinaire à l’égard de tous les opposants au régime à commencer par les anarchistes. Ce même Trotski qui considérait en 1931 la Tcheka comme « le véritable centre du pouvoir, pendant la période la plus héroïque de la dictature prolétarienne  ». Ca fait froid dans le dos.
Le 20 juin 1937, Andreu Nin chef du Poum (à ne pas confondre avec Anaïs Nin à l’écriture si intime et si sensuelle) est torturé et assassiné le 20 juin 1937 par la police politique de Staline.

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Dans son roman vécu « Hommage à la Catalogne  », George Orwell engagé du côté républicain, lors d’une permission à Barcelone constate les conflits armés qui opposaient les anarchistes de la CNT qui détenaient le terminal téléphonique contre les staliniens. La désinformation régnait sur le front à propos du Poum mis hors la loi. « Je sais bien que c’était une tactique courante de laisser ignorer aux troupes les mauvaises nouvelles. (…) Mais c’était tout autre chose d’envoyer des hommes au combat, et de ne pas même leur dire que derrière leur dos on était en train de supprimer leur parti, d’accuser leurs chefs de trahison et de jeter en prison leurs parents et leurs amis  ». (in Hommage à la Catalogne de George Orwell)

En clin d’œil à Mika, je pourrai bien évidemment évoquer le film Land and freedom de Ken Loach.

Avec la militarisation forcée, elle rejoignit la 38e brigade. Bien vite, sa compagnie fut décimée. Elle en réchappa de justesse. En tant qu’officier, elle intégra la 14e division sous le commandement de l’anarchiste Cipriano Mera pour lequel elle éprouvait une certaine empathie. « L’homme qui incarne pour moi l’anarchisme intransigeant et austère qui m’a conduite à la lutte révolutionnaire sitôt sortie de l’enfance  ». (page 309)
Sauf que le masque de son héros est sujet à trahir son idéal de liberté. Le pouvoir, une nouvelle fois corrompt toutes les personnes sans exception. «  Alors je me demande si ce qu’on raconte par ici est vrai, s’il a vraiment fait fusiller cinq, dix – certains disent davantage – miliciens cénétistes pour stopper une débandade durant l’offensive fasciste du mois dernier  ». (page 311)

Un livre épatant très émouvant étayé. Il émet certaines hypothèses quant à son analyse de sa guerre d’Espagne, qui forcément se discutent avec le recul nécessaire. Une femme authentique qui se livre au combat et entre les lignes de son ouvrage. Une femme libre en révolte permanente, fraternelle et rebelle. Une femme comme je les aime. Une vraie femme en quelque sorte !

Un grand merci à Lola Montalant, jeune éditrice, d’avoir réédité avec en sus un documentaire pertinent et limpide sur l’histoire de Mika avec son appel au large et son invitation au voyage et à la révolution permanente.
Clin d’œil aussi sur notre époque et à l’obscurantisme crasse qui éteint les Lumières des consciences à agir contre la peste brune, qui guette et qui tue la culture dans L’œuf du serpent (clin d’œil au superbe film de Bergman).
Longue vie aux éditions Lola Montalant et un grand merci à elle, pour tous son travail d’historienne, de chercheuse de sens à la réalité d’un passé proche. Merci aussi aux réalisateurs du documentaire et à toutes les personnes autour et proches de Lola qui l’ont soutenue. A suivre…

A ce propos, je peux d’ores et déjà vous annoncer que le 16 août à la Bouquinerie dans le Médoc chez Delphine Montalant et Eric Holder, une soirée fraternelle sera consacrée à Mika et son ouvrage, en présence de Lola éditrice, avec des animations autour, des débats, de la vie en mouvement, en avant la zizique aussi chez des personnes chaleureuses et accueillantes, comme toujours.

Mika Etchebéhère : Ma guerre d’Espagne à Moi Une femme à la tête d’une colonne au combat, éditions Milena, livre DVD, documentaire de Fito Pochat, et Javier Oliviera, durée 80 minutes, photos inédites, lettre de julio Cortázar en fac-similé, 368 pages, avril 2014, prix 16 euros