Le photographe Yves Sarrans expose à la Galerie Mansart, Paris 5 ème, un travail global, extrêmement puissant, maîtrisé et unique qui n’a pas de titre, des tableaux qui n’ont pas de noms. Ce minimalisme - volontairement anonyme - participe, sans doute, au fait que cette superbe mise en place de grands tirages photographiques couleurs agit en nous en profondeur dans une idée d’Eternité, de témoignages historiques et intimes, tout sauf scientifiques, qui laissent la part belle à l’émotion, à la poésie, au rêve. Si bien que le photographe n’est plus un technicien de l’image mais bel et bien un conteur, celui d’un monde que lui seul est capable de voir, de ressentir, de comprendre et de partager avec le public.

L’impression visuelle générique est bichromique, des formes simples, premières, géométriques ou non, des traces du temps, de la Nature, des traces de vie qui deviennent ainsi captées, cadrées et choisies par le Photographes des dessins faussement naïfs ou enfantins qui touchent à l’âme, qui nous racontent de drôles d’histoires, en mouvements - métaphoriques, toujours. Parfois c’est un Icare simplifié, qui exploserait dans la Lumière et revisité par Wim Wenders que l’on croit entrapercevoir dans une des oeuvres exposées, une autre fois c’est un chaos magnifique, puissant comme un big bang fantasmatique qui nous renvoie aux plus belles visions du cosmos. Et puis à un autre endroit c’est un corps disloqué qui, muet, nous raconte, ses souffrances sa cruelle destinée, avec une belle dignité. C’est à nous d’accepter le concept, de communiquer avec l’objet photographique, c’est notre oeil et notre esprit qui font la dramaturgie, la narration implicite. ces oeuvres-là son profondément modernes et interactives.

Le grain de sable fait figure de pixel naturel. La mise en scène c’est un Dieu de l’Art bienveillant qui l’a faite accompagné par un Yves Sarrans, à la force tranquille, qui avec son talent et sa bienveillance fait ici à la fois figure de créateur mais aussi de passeur d’Art, d’ethnologue, de sociologue, de voyeur -medium - dans le sens le plus noble du terme.

Ainsi les Histoire s’entremêlent. Diachronie, synchronie, grande et petite histoire, la Terre devient sable, le sable devient stigmates, les traits deviennent sens. On est dans le réel, rien que le réel. Tout est vrai, aucune retouche, aucune amélioration ou trucage de la vérité de regard posé. C’est le triomphe de la vision nue -objective, sans filtres, sans sublimation.
Une grande Unité se dégage de tous ces tableaux qui pourtant ont été pris à des époques, des temps, des lieux et des lumières différentes mais la méthode de travail et la grande exigence formelle d’Yves Sarrans font que l’on est dans l’illusion du même espace lieu et temps.

Cette exposition est un voyage, jamais anodin, surpuissant qui agit sur notre coeur, nos sens et notre mémoire référentielle. Yves Sarrans est l’écrivain d’un monde qui n’appartient qu’à lui mais qu’il offre instantanément à la mémoire collective. Le travail est admirable, l’oeuvre est forte, l’artiste humble, rigoureux, curieux, intelligent et conscient des véritables enjeux de l’Art. Il ne perd pas son temps dans la facilité ou le déjà-vu. Yves Sarrans sait quelles sont les forces en présence et sait rester à sa place, celle d’un simple artisan, mais qui est le meilleur dans son domaine.

A côtoyer les éléments premiers avec une telle acuité, on acquiert une grande sagesse, Yves Sarrans est un artiste rare, un guide d’une grande compétence. Son travail est métaphysique, saisissant, passionnant, mystique mais profondément humain. Il a un regard et une patte indéniables, une Vision d’art. Un univers abyssal, dense, complet et étourdissant à voir absolument.

EXPOSITION YVES SARRANS, Galerie Mansart, Paris 3 ème. (Actuellement)