Crepax en visite chez Dracula et Frankenstein !

Crepax en visite chez Dracula et Frankenstein !

Toc toc toc, laissez entrer Crepax. Il va vous raconter en extase deux œuvres majeures de la littérature fantastique. Avec sa faconde habituelle et son style ciselé si particulier, il convoque Eros qui le subjugue sous toutes les coutures féminines, auxquelles s’est amourachée toute son œuvre.
Dracula l’a mordu sang pour sang et Frankenstein créature du savant fou ne lui a pas non plus jeté la pierre. Deux œuvres majeures inédites qui peaufinent du regard la peur bien heureuse, à nous confondre les consonnes et les voyelles dans son alphabet O combien sensuel. Hum, encore Monsieur Crepax, j’en redemande, c’est trop bon !

Les études d’architecture mènent à tous les murmures de jouissance. Surtout à la transfiguration des femmes chez Crepax. Il se les coule en fluidité et sensualité affirmées dans ses pages. Il les colore seulement en noir et blanc. Eros vient les hanter dans leur sommeil éveillé. La littérature d’essence érotique lui brûle des soupirs dans de grandes inspirations. Parmi ses nombreuses adaptations.
« Histoire d’O » de Pauline Réage (1975), « Emmanuelle » de Emmanuelle Arsan (1978), Sade n’est pas en reste avec « La Nouvelle Justine » et « Juliette » (1979 / 1980). Quant à « La Vénus à la fourrure » (1984), Crepax s’est surpassé et Polanski dans son cinoche désuet actuel peut bien aller se tresser le pelage.
Le domaine fantastique, avec l’édition inédite des deux œuvres, dont je vais parler, ne lui est pas étrangère non plus. « Jekyl et Mister Hyde » de Stevenson et Edgar Poe battent aussi le pavé dans ses tempes un sacré tempérament.

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Mais d’abord, d’abord, Crepax connaissait la musique et illustra moult pochettes de disques de jazz à ses débuts. Pas étonnant, cézigue était né à Milan en Italie en 1933 dans une famille de musiciens. Il jeta ses pinceaux dans la tombe en 2003, bien diminué par une saloperie de maladie.

Ce serait aller vite en besogne en réduisant Crepax uniquement à un fameux adaptateur, illustrateur de littérature. Puisque durant presque trois décennies, il inventa dès 1965 le personnage de « Valentina Rosseli  » alias « Valentine » qu’il déclina en neuf volumes. Il acheva de dessiner la mine si fine de son héroïne qui se mirait derrière l’objectif de son appareil photo, comme une apothéose avec « Au diable Valentina ». Pour vous donner un aperçu de son physique et de son caractère, elle représentait le contraste flagrant avec ses homologues blondasses et si fadasses mises en scène par ses comparses Jean-Claude Forest et Guy Peellaert. Son visage et sa coiffure revêtaient traits pour traits ceux de Louise Brooks l’insoumise, avec laquelle il partagea une correspondance fusionnelle. Elle apparut lors de la seconde guerre mondiale et matura en compagnie de Crepax sur des périodes historiques évoquant les déboires de la société sur fond politique et psychanalytique.

Chantal Montellier l’artiste de BD engagée décrit parfaitement les sentiments de Crepax à l’égard de ses héroïnes qu’il chérit. « Malgré 68, grâce à 68, on cherchait de nouveaux modes de vie et d’expression du sexe  ».

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Pour en venir aux deux œuvres qui nous intéressent, les éditions Actes Sud BD ont eu la bonne intention de réunir dans un même volume l’adaptation par Crepax encore inédite en France de « Dracula » de Bram Stocker et « Frankenstein » de Marie Shelley, deux grands classiques de la littérature fantastique !

Fidèle, fidèle, Crepax est resté fidèle au texte d’origine qu’il adapte avec brio. Il réalise Dracula en 1983, au même titre qu’un réalisateur de cinéma découpe son scénario et y dessine à grands traits son story-board.
« De profondis », Oscar Wilde, tombé pour homosexualité considérée à son époque absurde comme un gros péché relevant de la psychiatrie, n’aura pas eu la chance de passer à travers les carcans de l’ère victorienne. Il croupira quelques années dans les geôles. Son homologue irlandais Bram Stocker, féru à convoquer les esprits autour d’un guéridon, réussira quant à lui à déjouer la sévère censure. La sensualité qui transpire à mots couverts dans son Dracula, Crepax avec le sang d’encre qu’on lui connait a convoqué Eros au banquet du comte Dracula où des femmes gourmandes et affamées se régalent du courtier d’assurance naïf et novice.
Les cases débordent des planches et épousent les courbes féminines des héroïnes en proie au pouvoir des métamorphoses de Dracula. J’en suis restée baba !

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« Frankenstein » sort des cartons de Crepax en 1999, époque où déjà engourdi par la maladie, ses doigts sont résolus de clore ses actes de création.
On est surpris à la première lecture par l’organisation narrative du récit qui fonctionne comme des poupées gigognes. Un récit peut en cacher un autre. Gare à la chute pardi ! Transfuge de l’enfance et de l’âge adulte, le héros apprenti sorcier crêt sa créature et est vite dépassé par elle.
Fi des présences féminines. Subtilement, les pinceaux de Crepax délaissent son sujet de prédilection pour les vêtir de crinoline qui ne laisse plus guère passer la mise à jour de leur peau soyeuse. Désormais, la main de l’artiste tremble. Par souci et dans l’obligation de simplification du trait, il s’active désormais à dessiner la tronche en parchemin de son monstre couturé. Crepax effectue sa mue avant de nous quitter.

Pour conclure, je vous offre bien fraternellement deux commentaires enthousiastes que je partage et qui consacrent le hourra bien mérité à Crepax.
Tout d’abord dans un registre un peu guindé, Roland Barthes qui préfaça son « Histoire d’O » d’un « J’écoute et j’obéis » considérait tout son œuvre comme « une métaphore de la vie ».
Bruno Vincens en bon macho pour le journal l’Humanité déclara sa tristesse au décès de l’artiste : « Crepax ou le dessin qui bande  ».
En tant que chroniqueuse femelle fière de l’être et qui aime mes semblables des deux sexes, je lui préfère : « Crepax ou le dessin qui mouille », bande de nazes !

Vive Crepax et merci encore à toute son œuvre et ce dernier opus très réussi une fois de plus.

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Dracula suivi de Frankenstein de Guido Crepax d’après Bram Stoker et Marie Shelley, traduit de l’italien par Delphine Gachet, éditions Actes Sud BD, mai 2014, 25 euros