La première séance

La première séance

Le septième art, ah, ah ! Post-synchro, oh, oh ! Balbutiements gamins, tics adolescents, misère adulte, génies en peine, l’avant-Hitchcock, l’après-McCarey, hier, aujourd’hui, demain, toujours vivant ou déjà mort, le cinéma, c’est quoi ? Et le critique, il sert ou pas, il existe encore ou pas ? Au moins, faire semblant, pas con, non ?
Je vous avais promis un peu d’amour, on y vient, la voix baisse d’intensité, la séance commence, noir !

Quelques jeunes crétins qui croient connaitre ce qu’est le cinéma, qui croient savoir ce qu’est l’amour, pensent que Sur la route de Madison est le plus grand film romantique de tous les temps, à croire qu’ils n’ont jamais vu Elle et Lui de LeoMcCarey avec la flamboyante Deborah Kerr et l’élégant Cary Grant... D’Elle et Lui où le désir rejoint enfin le sentiment, où le sensuel se confond avec le sexuel, on en parlera pas plus (d’autant que le grand Louis Skorecki a déjà écrit tout ce qu’il fallait dire sur le sujet, Les violons ont toujours raison, ed. Puf, 2000, Paris). Sur la route de Madison, on peut, bien sûr qu’on peut...

Le môme n’avait pourtant pas confiance : Une passion ? Le romantisme conjugué à tous les temps ? Clint Eastwood ? Pfff, n’importe quoi...

Le petit n’en était pas là, tout juste voulait-il savoir ce qui se cache sous les jupes des filles, enlever leur culotte, se branler devant ses premiers pornos.

Tu as tort, tu sais, gamin, tu mouilleras devant le regard égaré de Merryl Streep, tu les regarderas s’aimer et comme tout le monde, tu succomberas. Sur la route de Madison, c’est ça, tout à fait ça : une rencontre, l’amour fou, surtout pas de happy end. Une femme mariée qui se sent délaissée, un photographe du National Geographic qui se perd dans un trou paumé, il n’en faut pas plus. Quelques jours, juste quelques jours d’une étincelle qui restera comme le plus beau des souvenirs car tout de suite, c’est le coup de foudre, tout de suite, ils s’embrassent, très vite, ils ne peuvent se passer l’un de l’autre... Ils vivent comme si le monde n’existait pas, n’existait plus, comme s’il n’existait plus qu’eux... Eux, c’est nous, on voudrait tellement que ce soit nous, se retrouver dans leurs bras, dans leur lit mais on ne fait que jouer les voyeurs, c’est déjà quelque chose, non ?

Dans le plus beau film de Clint Eastwood, la musique des mots, la douceur des gestes ressemblent au plus merveilleux rêve de notre vie, d’une vie qu’on ne peut s’empêcher de fantasmer, ah, si seulement... Même le môme finit par comprendre, tu vois ?
On oublie un peu trop vite que l’existence, ce sont aussi les fêlures, on oublie un peu trop vite qu’eux aussi vont devoir se séparer, on oublie un peu trop vite que rien n’est jamais totalement possible. Elle a le choix pourtant : partir avec lui pour ne plus revenir ou rester et regretter. C’est cela le brusque retour à la réalité, les interdits nous dépassent, bien sûr qu’elle va rester, bien entendu qu’elle va pleurer. Les passions ne se vivent qu’au présent, les souvenirs ne se conjuguent qu’au passé, les espoirs ne se rêvent qu’au futur. Drôle de sentiment, monde de larmes...

Au moins, jusqu’au bout, ils auront tout partagé, jusqu’à l’incandescente douleur, souffrir à deux, c’est toujours moins con que souffrir tout seul, non ? ça y est, le môme chiale ! Le père s’approche doucement et lui susurre à l’oreille : "chut, tu vas réveiller ta mère, tu ne voudrais quand même pas réveiller la plus extraordinaire des femmes ?". Tout est fini, le gamin, rassuré, s’est endormi. Bientôt, il tombera amoureux, qui a dit qu’il n’y aurait pas de happy end ?

Sur la route de Madison}, Clint Eastwood

Sur la route de Madison}, Clint Eastwood